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rent. On s'enleva les grands hommes, on en fit, on les envahit au dehors, on en chercha parmi les femmes. L'éloge retentissoit de toutes parts; il sembloit que la France entière fût occupée à dresser des statues, à graver des épitaphes, à pleurer sur des tombeaux allégoriques, si près, hélas! de la tempête qui alloit renverser les vrais tombeaux et livrer aux vents leur poussière. Il s'est imprimé à cette époque des milliers de panégyriques, dont on ne lit pas un seul aujourd'hui, Dans cette profusion de la louange, il étoit plus mal-aisé d'y échapper que de l'obtenir : elle pénétroit partout, et la plus profonde obscurité ne fut pas toujours un asile sûr. L'amitié, l'amour, la reconnoissance, toutes les affections privées, se signaloient par des monuments publics. Pour avoir beaucoup estimé l'abbé Raynal,ou plutôt, comme il le dit lui même, pour n'avoir estimé personne autant que lui, Eliza Draper fut le sujet d'un chapitre de l'Histoire des deux Indes. Nous avons vu dans le même temps les Diners de madame Geoffrin payés de trois éloges, tous trois sortis de plumes académiques. Il étoit nécessaire de tirer ces faits de l'oubli pour faire comprendre à la génération actuelle comment, dans le volume d'éloges que nous annonçons, de mademoiselle de Lespinasse se trouve à côté des noms de Catinat et de l'Hospital. (1) P. P.

(1) Ou plutôt Delospital; car c'est ainsi que signoit cet illustre chancelier; et sans doute il lui eût été bien moins glorieux de pouvoir confondre son nom avec celui de la noble et ancienne famille de l'Hospital qu'à celle-ci de compter un tel magistrat parmi ses ancêtres. Quoi qu'il en soit le chancelier Delospital, rappelle souvent sa médiocrité première dans ses poésies, et ce n'est pas sa faute si ses historiens n'ont pas su écrire son nom,

VII.

Quelques traits du char

Suite du même sujet. latanisme philosophique.

JE me propose, dans cet article, de faire voir à

quel point la philosophie du dix-huitième siècle avoit corrompu à la fois le goût, la morale et la politique. Les éloges de M. de Guibert sont une oc'casion favorable de saisir dans les ouvrages des disciples, l'empreinte et la doctrine des maîtres. Tout le monde connoit ceux-ci, leur fanatisme, leurs jongleries, leur impudence: ce n'est point de quoi 'il s'agit ici. M. de Guibert n'est qu'un homme du monde qui veut parcourir une grande carrière, et qui prend les sentiers battus pour arriver à son but: il n'a ni l'ardeur d'un sectaire, ni l'hypocrisie d'un conjuré ; il lui importe de réussir, et non de nuire. Loin de se cacher pour lancer ses traits, il prétend que ses écrits servent à son avancement comme à sa gloire, et il ménage la cour et les ministres, en même temps qu'il carresse l'opinion dominante. En un mot, il n'est pas philosophe par choix, mais par bienséance, et, sous ce rapport, il sera pour nous un témoin irrécusable de la folie de son temps. (1)

Uu des traits les plus généraux de cette folie, c'est l'ambition de la pensée, c'est-à-dire le mé

(1) Plus son caractère privé fut honnête, dit ailleurs, le même critique, plus ses écrits sont propres à marquer la profoɑdeur de cette dépravation incroyable, dans laquelle l'insolence ne fut que de l'adresse et le ton séditieux, un lâche tribut payé aux distributeurs de la renommée.

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pris du vrai, quand il est simple et clair, et la recherche du faux, quand il est extraordinaire bizarre, inintelligible. Voulez-vous savoir quel est le motif de notre avidité pour les détails de l'enfance des grands hommes? On croit trouver la réponse dans la question même; M. de Guibert remonte plus loin, et il découvre deux solutions inattendues de ce grand problème: l'une générale qui est que nous voulons expliquer tous les phénomènes de la nature; l'autre particulière, qui est que le philosophe, guidé par des vues plus utiles, travaille à réduire en système l'éducation qui a formé un grand homme. Si vous vous écriez que le philosophe est un sot, M. de Guibert est de votre avis quatre lignes plus bas : dès qu'il a payé son tribut à l'esprit philosophique, le bon sens reprend sur lui tous ses droits, et il prouve fort bien que la nature se joue des systèmes, et qu'elle a seule, dans sa marche impénétrable, le secret de produire les grands hommes.

Après la journée de la Marsaille, Catinat envoie à la cour une relation où il attribue tout l'honneur de la victoire au duc de Vendôme, au comte de Tessé, à la valeur des troupes. Fénélon, son ami, lui écrit à ce sujet, qu'il ne lui trouve qu'un défaut, celui d'étre trop modeste. Il semble qu'on ne puisse pas être assez malheureux pour entendre finesse à une chose aussi simple; mais il n'y a rien de simple pour l'esprit philosophique, qui va cherchant partout le trésor enfoui de la pensée. M. de Guibert se tourmente donc à découvrir un sens caché dans le compliment si naturel de Fénélon, il hasarde divers conjectures, et il suppose enfin que Fénélon a peut-être voulu dire que les vertus trop sublimes doivent éviter de se montrer

tout entières. Ce seroit le cas de répondre par ce mot connu: Eh! mon ami, reste de toute la hauteur; tu seras toujours assez près de terre. Il ne s'agit ici ni de Fénélon, ni de Catinat, mais de l'imprudent panégyriste qui les travestit en charlatans ridicules, en voulant les élever au-dessus de l'humanité. Ils savoient l'un et l'autre que la plus parfaite vertu est la moins imparfaite ; la plus pure, celle qui a le moins de taches; qu'elle s'acquiert par de longs combats, et se conserve par une vigilance sévère: ils craignoient de faillir, et non d'être trop sublimes ; et cette défiance d'eux-mêmes étoit leur véritable force, et l'appui le plus solide de leur conduite.

Bossuet veut louer la bonté dans les héros ; il dit: << Loin de nous les héros sans humanité ! Ils pour>>ront bien forcer les respects et ravir l'admiration, » mais ils n'auront pas les coeurs. Lorsque Dieu » forma,le cœur et les entrailles de l'homme, il y » mit premièrement la bonté comme le propre ca>>ractère de la nature divine...... La grandeur, qui ›, vient par-dessus, n'est faite que pour l'aider à se >> communiquer davantage, comme une fontaine >> publique qu'on élève pour la répandre. Les cœurs » sont à ce prix ; et les grands, dont la bonté n'est » pas le partage, par une juste punition de leur » dédaigneuse insensibilité, demeureront éternel»lement privés du plus grand bien de la vie hu>> maine, c'est-à-dire, des douceurs de la société.»

M. de Guibert rencontre aussi dans l'éloge de Catinat celui de la bonté : voici les idées que lui fournit l'analyse philosophique : « Pourquoi aimons-nous >> tant à trouver dans les grands hommes ces traits » de naturel et de simplicité ? c'est sans doute » parce que ces traits les rapprochent de nous, et

» qu'ils nous soulagent un moment de l'effort d'ad>> mirer, en y substituant un sentiment plus facile >> et plus doux. Le héros qui ne se communique >> pas, qui ne descend jamais de son piedestal, finit >> bientôt par nous importuner, nous blesser, peut» être même par se faire hair; et cette haine est » fondée: car, si l'on admire sans regret, les prodi»ges de la nature, on n'admire un grand homme » que par la différence qu'on sent entre lui et soi, >> et ce sentiment ne peut durer long-temps, du >> .moins dans les ames vulgaires, sans qu'on réclame >> contre l'injustice du sort, et que bientôt, de la » haine du sort, on ne passe à la haine de celui » qu'elle a favorisé. »

Je ne m'arrête point à la prodigieuse différence des styles (personne n'est tenu d'écrire comme Bossuet), je veux seulement remarquer la manière dont chaque orateur est entré dans son sujet. Dès qu'il s'agit de l'homme, Bossuet remonte à Dieu, son auteur; M. de Guibert ne voit que le sort et ses injustices: Bossuet élève l'homme en lui montrant, dans la bonté qui lui a été donnée, le propre caractère de la nature divine; M. de Guibert le rabaisse, en confondant sa propre nature avec les passions qui la dégradent: Bossuet fait de la bonté le lien de la charité universelle; M. de Guibert regarde la société comme rompue par l'inégalité même naturelle des hommes, si la bonté des uns ne vient soulager l'envie légitime des autres. Bossuet menace l'orgueil des grands; M. de Guibert révolte celui des petits contre toute supériorité qui ne saura pas se dissimuler à leurs yeux. C'est d'un côté la morale religieuse, pure, touchante, ennoblie par le rapport de l'homme à Dieu; c'est de l'autre côté la morale philosophique, dure, haineuse, resserrée dans les calculs d'un lâche égoïsme

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