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cimens à madame de Staël, pour leur avoir révélé le secret des initiés; mais les Français ne lui auront aucune obligation de la manière dont elle les traite. Tout son amour est aujourd'hui pour les Anglais; ce qui ne doit pas étonner. Les esprits qui planent au-dessus de ce bas monde n'ont pas de patrie, et même, à tout autre titre, il est permis à madame de Staël de n'en point avoir....

Nous glisserons sur la morale de ce roman, guide parfait pour ceux qui veulent s'égarer avec méthode; anssi ne séduira-t-il que les esprits faux et les cœurs déjà corrompus... F.

V I.

But philosophique des Eloges académiques à l'occasion des Eloges du maréchal de Catinat, du chancelier de l'Hospital, de Thomas, et de ClaireFrançoise de Lespinasse, par Guibert.

Si l'Académie, ennuyée des discours de morale

qu'elle recevoit depuis un siècle, n'avoit proposé à la place, pour sujet de ses prix, que l'éloge des écrivains originaux, des hommes célèbres dans les lettres, elle eût fait une innovation utile. L'enseignement appartient aux corps littéraires; et c'est une partie de l'enseignement que d'indiquer les modèles, d'en prescrire l'étude approfondie, et de couronner les efforts de ceux qui ont le mieux apprécié les maîtres de l'art, qui ont pénétré le plus avant dans les secrets de leur composition, et qui les ont révélés avec le plus de sagacité et de talent, II

eût été bon que nous eussions beaucoup d'ouvrages tels que les éloges de Racine, de Molière, de la Fontaine. Mais une carrière aussi bornée ne suffisoit pas à l'ambition des gens de lettres du dixhuitième siècle; ils avoient une bien autre idée de leur ministère. Ils se firent, comme le dit en propres termes M. de Guibert, le tribunal de la postérité: les héros, les hommes d'état, les magistrats, devinrent leurs justiciables. Leurs arrêts choisirent les grands hommes, les proclamèrent; les éloges décernés par eux furent des autels élevés à des mánes illustres qui erroient sans tombeau. Ce sont encore les expressions de M. de Guibert, qui ne vouloit pourtant pas dire que les phrases académiques fussent le tombeau de ces mânes. Ainsi s'élevèrent. à côté d'un gouvernement foible, et, pour ainsi dire, sous sa protection, les premiers Représentans du peuple, qui prétendirent acquitter la dette de la pàtrie, et décréter la gloire comme récompense nationale. Ce fut le signal de cette anarchie de l'opinion, qui a précédé et préparé l'anarchie des pouvoirs. Les passions jalouses et haineuses qui avoient érigé un corps de grammairiens en sénat politique, présidèrent souvent à ses jugemens. Dans sa balance, Pascal et Bossuet furent trouvés plus légers que Fénélon; Catinat l'emporta sur Luxembourg et Villars, uniquement parce qu'on avoit entrepris de faire de Catinat et de Fénélon des philosophes, et ce qui étoit plus imposant encore, des philosophes persécutés.

Car l'idée de la persécution étoit chère à la philosophie; dans la naïveté de son orgueil, elle donnoit ce nom à tout ce qui n'étoit pas un hommage pour elle. Etre persécuté, ce n'etoit pas comme nous l'avons vu depuis, être emprisonné, dépouillé, mis à mort c'étoit ne pas être premier ministre.

Ainsi fut persécuté Fénélon, revêtu d'une des premières et des plus riches dignités de l'Eglise, dont il jouit paisiblement jusqu'à la fin de sa vie ; mais qui ne gouverna pas son souverain dont il avoit perdu la confiance. Ainsi fut persécuté Catinat, élevé des derniers rangs de l'armée au grade de maréchal de France, comblé des honneurs militaires, et à qui il ne manqua de récompenses que celles qu'il ne voulut pas accepter; mais qui cessa de commander dans sa vieillesse, et lorsqu'il écrivoit lui-même qu'il observoit en lui de la diminu→ tion et du dépérissement. Ces hommes véritablement illustres, que n'a pu flétrir l'admiration hypocrite dont ils étoient les objets, eussent désavoué les indignes plaintes qu'on osoit former en leur nom, pour les détourner ensuite à des applications plus directes. En effet, si Catinat et Fénélon avoient été persécutés, combien l'étoient davantage les Helvétius, les Diderot, et tant d'hommes de génie, dédaignés d'une cour ingrate qui les aban donnoit aux censures de la Sorbonne ? D'Alembert se crut en butte à une persécution affreuse; il le dit, et ses amis le répétèrent pendant trente ans, parce qu'il n'avoit que des pensions et un logement au Louvre, qu'il ne soupoit pas avec Louis XV comme avec Frédéric, et qu'on ne lui proposoit pas en France, comme en Russie, l'éducation de l'héritier présomptif du trône.

L'Académie eut un autre motif, en s'emparant, au nom de la nation, des hommes qui l'avoient servie avec éclat dans la carrière publique. Elle s'emparoit par là de la politique et de l'adminis‐ tration, non plus par des définitions de dictionnaire, seule chose qui fût de sa compétence, mais par d'insolentes théories fécondes en allusions

et en parallèles. Bossuet (1) « n'avoit pas su mêler » à ses discours de la philosophie, de la morale » publique, et de grandes leçons pour ceux qui » gouvernent les hommes. » C'étoit un vide à combler ; on y travailla sans relâche, et, comme il arrive toujours en pareil cas, les grandes leçons ne furent pas épargnées à un gouvernement qui consentoit à les récevoir. On se croyoit courageux, parce qu'on étoit insolent. L'éloge des morts consista sur-tout dans la satire des vivans; les institutions et les hommes, tout fut attaqué par des déclamateurs arrogans; l'Académie dirigeoit les coups. C'est de cette littérature énergique que madame de Staël a dit avec vérité, qu'elle avoit fini par ébranler le trône.

Sous le rapport purement littéraire, l'institution des éloges a eu des effets qui durent encore. L'exagération appartient essentiellement à ce genre d'écrire, et toute exagération est une erreur ou un mensonge. Il faut d'abord que le personnage loué soit un grand homme, et le plus grand homme possible; il faut ensuite qu'il obscurcisse tout ce qui est autour de lui.

Primo, son bien; et puis le mal d'autrui.

Voilà les données de l'éloge académique. Il en résulte que les faits y sont altérés, les foiblesses du héros dissimulées, ses vices, s'il en eut, palliés ou ennoblis, ses côtés les plus vulgaires présentés avec ostentation. Malheur à ses rivaux ! on les dégrade sans pitié. Malheur à ses ennemis ! le mépris et l'horreur les attendent (2). C'est l'art de la flatterie employé à faire naltre (1) Eloge de Thomas.

(2) Essai sur les Eloges.

de grands hommes (1). Je n'examinerai pas si la nouvelle direction de cet art fut une découverte utile en morale et en politique; je veux seulement remaquer que la corruption de l'éloquence en fut la suite nécessaire. Le faux enthousiasme et le mépris de la vérité, premières conditions du programme, donnèrent au style des formes nouvelles; la roideur, l'obscurité, l'emphase, les tournures ambitieuses prirent la place de cette facilité, de cette clarté, de cette simplicité noble ou élégante, qui avoient été jusque là le caractère de la langue. Avec la justesse des idées disparut la propriété des termes; on tourmenta les uns pour confondre les autres; les mots cessèrent d'exprimer les choses, ils ne furent plusqu'une méthode d'imposture, à l'aide de laquelle on apprit à se jouer de tout. On apprit aussi à parler avec autorité de ce qu'on savoit le moins. De jeunes écrivains, appelés à juger des plans de campagne, des systèmes de législation ou d'économie publique tous sujets aussi étrangers à leurs études qu'à leur expérience, rendoient leurs oracles en lieux communs, enflés de sentences impérieuses. L'ignorance affectoit la profondeur, et déclamoit ses leçons dans un style énigmatique. Si on veut remonter aux élémens de l'éloquence révolutionnaire, on les trouvera presque tous dans la rhétorique des éloges.

Lorsque l'Académie française se chargea de dis. tribuer sur la terre et la gloire et la honte (2), elle se flattoit sans doute d'exercer seule cette fonction divine; mais elle lui fut bientôt disputée par les acadé¬ mies de province, et les particuliers même l'usurpès (1) Eloge de Thomas.

(2) Essai sur les Eloges.

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