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promet devant ses gens, la ramène à Paris, et, toujours en menaçant de se tuer et de la barbouiller de sang, la fait consentir à vivre avec lui, et l'envoie à la campagne au milieu de l'hiver. Pour que leur liaison soit moins remarquée, il va régulièrement passer les soirées et une partie des nuits chez elle; ils s'entrelacent dans les bras l'un de l'autre, soupirent, parlent de vertu et du bonheur de mourir, sans que la pudeur puisse en murmurer. Oh! que les femmes passionnées doivent aimer un roman aussi commode!

Delphine est obligée de recevoir chez elle un M. de Valorbe ; la première fois que Leonce le rencontre chez sa vertueuse amie, il le regarde avec des yeux! M. de Valorbe, qui sait la politesse, le salue; Léonce le regarde encore ; nouveau salut, nouveau regard; et Delphine est réduite à user d'adresse pour éviter une scène dans sa maison et en sa présence. Certainement il est sans exemple qu'un amant, tel fougueux qu'on le suppose, se permette de refuser le salut à un homme qu'il voit pour la première fois chez une femme respectée; mais le premier malheur des femmes passionnées, c'est qu'on ne les respecte jamais.

Dans une Église, se passe une scène plus extraordinaire; il ne s'agit de rien moins que de prononcer un serment d'adultère sur l'autel du mariage, tant les cœurs corrompus sont difficiles en crimes; il leur faut du piquant. Léonce, qui est trop passionné pour être sensible, mène cette pauvre Delphine si durement, qu'il devient indispensable qu'elle perde encore connoissance pour éviter un sacrilège, et qu'elle tombe malade pour sauver le matériel de sa

vertu.

A quelque tems de là, M. de Valorbe court le

danger d'être arrêté; Delphine consent à lui donner asile pendant une nuit. Léonce, qui par hasard se trouve à une heure suspecte à la porte de la femme qu'il adore, saisit M. de Valorbe au collet, et voilà une nouvelle scène qui compromet cette femme à Jaquelle son bel amant n'épargne rien de ce qui peut la déshonorer. Pour faire taire les propos, Delphine forme le projet de reparoître avec éclat dans le monde. Après s'être bien préparée, elle entre dans un salon brillant, y est assez mal accueillie, perd la tête, se sauve, oublie ses gens et sa voiture et ne retrouve sa raison que pour se voir, toute parée, seule au milieu de la place Louis XV, où son amant la rattrape. Bras dessus, bras dessous, ils vont sur le pont Louis XVI, dans la louable intention de se noyer. Léonce soulève Delphine pour la jeter à l'eau, elle trouve cela bien doux ; mais il la remet à terre, et comme il faut toujours qu'il tue quelqu'un, il jure qu'il tuera ceux qui ne croient pas à la vertu de sa belle c'est beaucoup s'engager. Les gens de Delphine, qui couroient après leur folle maitresse, arrivent, et on remonte en voiture.

Quand on se vante d'avoir de l'imagination, comment ne sait-on pas que rien ne l'arrête comme la précision géographique, et que la place Louis XV et le pont Louis XVI suffiraient pour glacer le lecteur, s'il n'étoit pas plus amusé qu'attendri de la conduite du bel homme et de l'héroïne passionnée.

Enfin Delphine en fait tant, que Matilde vient la prier de vouloir bien lui laisser son mari, et Delphine, chassée du monde, part pour la Suisse, où après s'être compromise encore une fois, elle se fait religieuse, en protestant bien qu'elle ne croit pas à la religion qu'elle jure. Toutes les fois que ma→ dame de Staël parle de couvent, on s'apperçoit ai

sément qu'elle n'y a jamais été il y a beaucoup d'hommes qui n'ont jamais été non plus dans des couvens de blles, et qui cependant en ont très-bien parlé. Que madame de Staël calomnie la religion, c'est son métier, il n'y a rien à dire, car cela peut entrer dans ce qui compose l'égoïsme des ames sensibles: mais, lorsqu'elle peint une cérémonie religieuse, une prise d'habit, qu'elle peigne du moins avec vérité le matériel de la cérémonie : c'est ce qu'elle ne fait jamais. Son ignorance à cet égard surpasse tout ce que l'on peut dire.

Matilde meurt en arrachant des larmes à son mari, qui ne se voit pas plutôt veuf d'une de ses femmes, qu'il court après l'autre. Qu'on juge de son désespoir de la trouver sous la grille ! Il veut encore mourir. Delphine viole son serment, quitte le cloître, pour confier à jamais sa destinée à son aimable ami̟...... qui ne veut plus d'elle aussitôt qu'il peut la posséder sans obstacle. Il la laisse là, seule dans un pays étranger, à la merci de tous les événemens; mais elle ne perd pas la têle, et se met à courir, après lui; elle court tant qu'elle arrive assez tôt pour apprendre qu'il vient d'être arrêté comme émigré armé. Ici Delphine se déploie avec énergie; armée d'une bague qui contient un poison subtil, elle prodigue par-tout son éloquence pour sauver son ingrat : les paroles n'y pouvant rien, elle s'enferme dans la prison avec lui et lui propose de manger la bague ensemble. Léonce, qui a toujours voulu se tuer, dit qu'il aime mieux être fusillé tout seul que de mourir avec son amante. En conséquence on le mène à la mort. Delphine, qui ne veut pas perdre une si belle occasion de confesser, marche auprès de la charrette, pour convertir son amant qui étoit athée, Tome V.

et qu'elle rend presque déiste. Quand elle le voit en si bon train de faire son salut, elle avale le poison, et tombe morte, après avoir été mariée, veuve, passionnée, amante, religieuse, fugitive et folle sans cesser d'être vierge.

Les soldats, frappés d'un pareil miracle, ne veulent plus fusiller Léonce qui, à force de prières, obtient d'un militaire moins crédule que les autres ce que ceux-ci lui refusent, et le roman finit sans qu'on sache ce que devient une jeune fille à laquelle Delphine avoit juré de servir de mère, serment qu'elle ne s'est jamais amusée à tenir, car on jure par entraînement, et on se dégage d'un devoir sacré, parce que l'égoïsme est permis aux ames sensibles.

Telle est la marche de cet ouvrage, dans lequel la vraisemblance est toujours choquée, et qui n'est embelli ni par les épisodes, ni par le style, qui ressemble assez à une traduction d'allemand en français, Madame de Staël a cependant mieux fait qu'elle ne croyoit: elle a révélé le secret de trois caractères nés de la philosophie du dix-huitième siècle le premier qui se compose d'égoïsme et d'exaltation; le second, de commérage et de prétentions morales et politiques; le troisième, de niaiserie et d'instruction. Un M. de Lebensei, qui joue un rôle très subordonné, est le type de ce troisième caractère. Il est impossible de moins connoître les hommes, de faire plus de mal à ceux qu'il veut servir: il va toujours proposant le divorce, comme Crispin conseille les pillules, et il ne s'apperçoit jamais qu'il exalte les passions qu'il croit calmer. Cette niaiserie, accompagnée de beaucoup d'instruction, est si repandue aujourd'hui,

qu'à tout instant on peut répéter ce vers de Molière :

Un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.

On doit également savoir gré à madame de Staël d'avoir mis à découvert l'ame d'un déiste. Delphine est déiste, et rien n'est si plaisant que sa manière de vivre avec son Etre suprême: tantôt elle en veut, tantôt elle n'en veut plus, elle le boude, l'agace, lui demande pourquoi elle est malheureuse, tandis que des gens qui ne la valent pas goûtent le bonheur, ce qui l'amène à dire du bien d'elle et du mal des autres ; c'est le plus dròle de ménage qu'on ait jamais rencontré. On sent combien il est aisé de se faire une morale, quand on est déjà en arrangement réglé avec Dieu. Ecoutons Delphine :

<< Quand j'implore le ciel, où ma raison et mon >> cœur placent un Etre souverainement bon, il » me semble qu'il ne condamne pas ce que j'é» prouve; rien en moi ne m'avertit qu'aimer est >> un crime, et plus je réve, et plus je prie, et plus » mon ame se pénètre de Léonce. »

On auroit grand tort de ne pas vouloir d'un Dieu avec lequel, sans troublejet sans remords, on se pénêtre l'ame d'un amour adultère. Comment les athées ne se font-ils pas déistes ? il n'y a rien à perdre;au contraire,cela donne un peu plus d'assurance dans le crime. Si cet extrait n'étoit pas déjà trop long, nous citerions quelques prières de Delphine, qui, presque toutes commencent par son éloge qu'elle adresse au ciel avec ferveur. Cette pauvre fille est si persuadée de la pureté de sa morale, qu'elle voit la cause de ses malheurs par-tout, excepté dans sa liaison avec un homme marié.

Je le répète; les moralistes doivent des remer

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