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de jeunesse dans ses sentimens, point de naturel dans ses paroles, tout est exaltation ou dissertation: l'ame reste froide, car l'imagination du lecteur ne retrouve jamais l'héroïne printannière dont on lui avait fait le portrait.

Léonce, le héros du roman, est, dans toute la force du terme, ce qu'on appeloit autrefois un capitan:il veut toujours tuer ou se tuer. Il n'y a qu'une femme dégradée qui puisse supporter l'insolence et les violences d'un tel homme, qui peut bien dire aussi que l'égoïsme est permis aux ames sensibles, car, dans toute sa vie, il ne fait le bonheur de personne; il ne voit que lui au monde, et sacrifie tout à à lui. Madame de Staël exalte continuellement ce personnage, et elle a totalement oublié de lui faire faire une seule action bonne ou seulement raisonnable; tout ce qu'on peut dire de plus positif en sa faveur, c'est qu'il est beau. Aussi, lorsqu'il est condamné à mort, et qu'un quart d'heure avant d'être fusillé, il dort, la tête appuyée sur les genoux de Delphine..... Elle le regarde dans toute sa beauté : >> ses cheveux noirs tomboient sur son front, et son >> visage conservoit encore une expression d'atten» drissement dont le sommeil n'altéroit point le » charme. Les yeux de Delphine se portoient alter» nativement du visage enchanteur de son amant, » à ce ciel dont les premiers rayons devoient le >> lui ravir.

Quelles pensées et quelle description! La beauté, le charme et le visage enchanteur d'un homme qui va être fusillé, remarqués dans un pareil moment, par une femme pour laquelle cet homme est tout.... Si la décence n'arrêtoit notre plume, nous couvririons d'un mépris ineffaçable ces êtres dégradés dout les passions ne peuvent être amorties par l'image de

la mort. Quelle dégradation! et des femmes croient faire honneur à leur sensibilité, en vantant un pareil ouvrage ! Qu'elles y prennent garde! trop souvent, en jugeant une fiction, on révèle son propre secret. Je ne connais pas un seul roman fait par un homme, dans lequel une femme parle positivement de la beauté de celui qu'elle aime, et Delphine fait continuellement les descriptions les plus détaillées des beautés de son amant.

Voyons comment une folle et un être vain et insolent marcheront ensemble.

Delphine a épousé M. d'Abhémard, qui lui avoit servi de père, et qui, en mourant, lui laisse une fortune considérable. M. d'Abhémard avoit une sœur, madame de Vernon, à laquelle il n'a donné aucune part dans son héritage, parce qu'il ne l'aimoit pas, pour des raisons connues de lui seul. Delphine, veuve et riche, respectant beaucoup la mémoire de son mari, qu'elle regarde en tout comme un oracle, ne s'en passionne pas moins pour madame de Vernon, et en fait sa meilleure amie. Première inconséquence, car il est assez niais de compter sur l'amitié d'une femme prodigue, à laquelle on a enlevé 60,000 1. de rente, mais madame de Vernon a un charme qui subjugue, et Delphine a beaucoup d'entrainement ; elle est donc entraînée par le charme d'une femme qu'elle devoit craindre, ne fût-ce que par respect pour la mémoire de son mari. Ici nous observerons que Delphine peint l'amitié comme une passion, ce qui la conduit naturellement à peindre l'amour comme une fureur.

Madame de Vernon, athée, a une fille, Matilde, qu'elle fait élever dans les principes les plus rigoureux du catholicisme. Matilde est le personnage sacrifié du roman, et, malgré toutes les calomnies

inventées pour arrêter l'intérêt qu'inspire sa position, elle est la seule qui, dans toutes les circonstances, se conduise toujours bien : c'est la femme que tout homme qui connoît les devoirs du mariage, desireroit pour la sienne.

Il est question de marier Matilde, avec un Léonce de Mondoville, d'une famille française établie en Espagne. Madame de Vernon, qui fait servir l'amour propre de Delphine à tous ses desseins, l'engage à assurer un mariage aussi avantageux, en cédant à sa cousine une partie de l'héritage que celle-ci avoit naturellement droit d'attendre de M. d'Abhémard. Delphine cède 20,000l. de rente: toutes les difficultés s'aplanissent, et le contrat se dresse, que Léonce est encore en Espagne.

Delphine, très-causeuse par habitude, parle tant de Léonce avec son précepteur qui l'a devancé à Paris, qu'elle devient amoureuse du futur de sa cousine, sans l'avoir jamais vu, mais qu'importe, elle le connoît par oui-dire, elle a lu plusieurs de ses lettres, en faut-il davantage pour les passions qui naissent dans un cerveau exalté ? Léonce est blessé en route; il arrive malade, ne peut se rendre chez madame de Vernon, et l'engage à venir le voir. Madame de Vernon propose à sa fille de l'accompagner; Matilde refuse, parce qu'elle n'ignore pas qu'elle ne peut décemment rendre visite à un homme qui ne s'est point encore expliqué sur un mariage traité jusqu'alors par les parens seuls. La conduite de Matilde est forcée par les bienséances et il n'y a d'étonnant que la proposition que lui fait sa mère; mais, dans ce roman, il faut s'accoutumer à voir sans cesse toutes les convenances oubliées; et si le nom de l'auteur n'étoit pas connu, on ne l'auroit certainement pas attribué à une femme qui,

quoique née dans la finance, doit savoir ce qui se passoit dans la haute société.

Delphine, qui a plus d'entraînement que sa cousine, se propose d'elle-même et accompagne madame de Vernon chez Léonce. Le beau jeune homme se trouve mal, la sensible veuve lui prête l'épaule, afin qu'il appuie sa tête intéressante; de grands yeux s'ouvrent, et Delphine, qui n'a point oublié de pleurer, revient amoureuse en toute connoissance de cause. Après un bal et deux ou trois assemblées, où l'on trouve des scènes mélangées de coquetterie théâtrale et d'extravagances sentimentales, Léonce jure à Delphine qu'il l'aime avec fureur, et quelques jours après, il épouse Matilde.

Léonce est cependant très-amoureux de Delphine, il lui trouve toutes les qualités possibles, et ne lui refuse aucune vertu, mais elle seroit la dernière de toutes les courtisanes, qu'il ne se conduiroit pas plus mal avec elle, ainsi que nous le verrons. Delphine, qui a le tort de se mêler de tout quand l'amour est de la partie, prête sa chambre à une femme mariée qui veut dire adieu à son amant ; le mari, qui est instruit, paroît au milieu d'une scène très-sensible, et fait tapage; il en résulte un duel, dans lequel il est tué par l'amant de sa femme. Le monde s'occupe de cette affaire, Léonce en entend parler; il soupçonne Delphine de tout ce dont une femme peut être soupçonnée, et, sans autre explication, il unit son sort à Matilde. Delphine, qui apprend ce mariage par hasard, veut se procurer un plaisir unique : elle se déguise en griselte, met un voile, et va se placer derrière une colonne de l'église où se fait la cérémonie: là, elle s'exalte la tête jusqu'à ce qu'une crise nerveuse la fasse tomber sans connais

sance. Personne n'y prend garde, ce qui l'oblige de reprendre ses sens toute seule.

Voilà nos amans séparés jusqu'au moment où madame de Vernon, prête à mourir, fait une confession générale à Delphine, qui a la manie d'exhorter les gens à la mort; aussi, trouve-t-elle très-mauvais que Matilde amène un confesseur à sa mère, quoiqu'elle en ait véritablement besoin. Le prêtre est renvoyé, et Delphine, se guinde sur le sublime, pour conduire au ciel l'ame un peu noire de madame de Vernon. Tout alloit bien : cette femme, en écoutant son confesseur femelle, se laissoit mourir d'assez bonne grace, quand Léonce paroît.

Léonce étoit allé faire un tour en Espagne, et madame de Vernon lui avoit écrit aussi un petit mot de confession, bien persuadée qu'elle seroit morte avant le retour de son gendre; mais elle avoit mal calculé, Léonce, furieux d'apprendre que Delphine n'est pas aussi vile qu'il le pensoit, vient de Madrid à Paris, toujours courant, toujours en colère, et, sans rencontrer personne dans la maison de sa belle-mère, il tombe droit dans sa chambre, où il lui fait une scène digne de son rôle de capitan, avant de vouloir apprendre qu'elle se meurt. Jamais brutalité n'a été poussée si loin. Nous répèterons encore que l'auteur a entièrement oublié dans quelle classe elle avoit pris ses personnages, et dans quelle société elle les faisoit agir. Delphine, qui a trouvé très-indécent qu'un mari s'emportât en voyant sa moitié dans les bras d'un tiers, pardonne à Léonce un emportement bien autrement ridicule. Il est vrai que Léonce est si beau quand il est furieux !

Madame de Vernon meurt. Delphine, qui sent que tout brûle autour de son coeur, veut fuir Léonce, qui court sur les grandes routes après elle, la com

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