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nous fera-t-il encore quelque rapport pour nous prouver que des bourreaux méritent des autels ?...

Le prophète nous annonce que la philosophie ne sera plus contrainte de se réfugier dans les consciences. Admirons d'abord comment des hommes qui se font gloire de n'avoir point d'ame, ont néanmoins la prétention d'avoir une conscience; nous pouvons ensuite demander au prophête quand est-ce qu'on a forcé les barrières de sa conscience, et quand a-t-il donc vu la philosophie contrainte de se réfugier dans les consciences? Est-ce dans le siècle des lumières où tout étoit à ses ordres;quand des ministres philosophes n'encourageoient que ses suppôts, et engraissoient ses fainéans lettrés, du sang du pauvre peuple; quand ses principaux chefs se réfugioient dans les cours, où des rois, aussi aveugles que pervers, les pensionnoient largement, et les prenoient pour leurs bouffons; quand elle se réfugioit dans toutes les académies, dans tous les bureaux, dans toutes les places, et qu'enfin toutes les avenues de la gloire et de la fortune étoient ouvertes aux écrivains audacieux qui ne savoient que mépriser leur gouvernement et même leur pays? Ah ! plût au ciel qu'on eût forcé la philosophie de se réfugier dans les consciences, et que l'on eût mis un bâillon à tous ces factieux qui ne vouloient que s'élever sur les débris de leur patrie, et à tous ces valets insolens qui ne cherchoient qu'à détrôner leur maître. ! Mais en attendant que M. Chénier nous montre comment la philosophie du 18e. siècles étoit contrainte de se réfugier dans les consciences, nous lui désignerons bien clairement l'époque où la religion étoit contrainte de se réfugier dans les consciences, où tous les gens de bien étoient forcés de se réfugier dans les catacombes. Nous lui prouverons, avec non moins

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de certitude, que ce temps étoit celui où les philosophes régnoient, où tous nos biens, notre liberté notre vie, étoient à la merci de leur conscience, où ils nous égorgeoient en toute sûreté de conscience; et nous le forcerons de convenir que sans un miracle sensible de la Providence qui nous a retirés de l'abyme, nous en serions encore tous, aux philoso→ phes près, à nous réfugier dans nos consciences.

Mais non, n'en doutons pas, les idées saines prévaudront, malgré M. Chénier et les clameurs philosophiques. Les idées d'ordre, de morale, de religion, de monarchie, toutes idées que la philosophie moderne repoussoit, reprendront leur empire. Le prestige des folles théories est enfin dissipé. Quelques vieux libertins, quelques jeunes étourdis, quelques personnes désœuvrées, qui s'amusent également et de l'erreur et de la vérité, et ne se rappellent pas plus le passé qu'ils ne prévoient l'avenir, pourront bien applaudir, pour leur argent, à quelques sarcasmes usés, à quelques plaisanteries réchauffées, à quelques calomnies mille fois confondues. Mais la partie saine de la nation, reconnoît la voix des sophistes qui l'ont égarée; un gouvernement sage surveille ces ennemis de sa tranquillité et de sa gloire, et quels que soient les derniers efforts d'un parti aux abois, se débattant encore contre le mépris qui l'accable et l'indignation qui le poursuit, ses principes impies seront contraints de se réfugier, non dans les consciences, mais dans la mauvaise compagnie pour laquelle ils sont faits, et dans les mauvais lieux où ils sont dignes d'être entendus, et plus encore d'être pratiqués. X.

Sur DELPHINE, roman de Made de Staël-Holstein.

QUE de gens, disait la Rochefoucauld, ne connoîtroient pas l'amour, s'ils n'en avoient jamais entendu parler! Cette pensée est d'une grande vérité. Beaucoup de femmes, dont l'excès de sensibilité n'est pas dans le cœur, s'exaltent jusqu'au délire, outrent le langage et les effets des sentimens les plus vifs, pour se faire croire à elles-mêmes que l'amour les subjugue; leur grande prétention est de paroître extraordinairement passionnées. Examinez de près ces femmes, vous verrez qu'elles ne sont que violentes dans tous leurs desirs, exigeantes dans toutes leurs liaisons, et qu'il est beaucoup plus difficile encore de rester leur ami que leur amant; écoutez avec attention ces femmes malheureuses, vous apprendrez qu'elles ont à se plaindre de tout le monde; vous les entendrez soupirer à chaque instant leur profonde mélancolie; leur cœur est de toutes parts blessé par l'ingratitude; elles appellent à grands cris la paix, la paix qu'elles ne peuvent plus trouver que dans le tombeau vers lequel les conduit à pas trop lents la sombre douleur qui les mine; regardez-les, elles sont grandes, grosses, grasses, fortes; leur figure, enluminée de trop de santé, n'offre aucune de ces traces que laissent toujours après elles les peines qui viennent du coeur. C'est qu'en effet elles n'ont jamais éprouvé d'autre chagrin que celui de l'amour-propre humilié; en un mot, ces femmes, sont tout bonnement

des égoïstes exaltées, caractère né dans le siècle dernier, et que madame de Staël a parfaitement fait ressortir dans Delphine, qui dit elle-même, et de la meilleur foi du monde : « L'égoïsme est permis aux ames sensibles, » Cette phrase, si singulière par l'assemblage des mots les plus contradictoires, contient tout le secret de la philosophie de beaucoup de femmes, et nous servira à expliquer le singulier roman qui nous occupe,

Delphine, premier personnage, est une tête exaltée, à laquelle l'auteur a prodigué la beauté, la jeunesse, l'esprit, la grace, et même le génie, ce qui est assez extraordinaire, car on ne dit d'aucune personne qu'elle a du génie, à moins qu'elle n'en ait fourni des preuves, et ces preuves-là, un personnage fictif ne peut les donner. Delphine est philosophe et déiste, et, ce qui est pis, elle est si bavarde qu'elle parle toujours la première et la dernière. Parler est pour elle le bonheur suprême, aussi répète-t-elle souvent qu'elle est brillante, qu'elle a été brillante, qu'elle sera brillante, ce qui signifie qu'elle parle bien, qu'elle a bien parlé, et qu'elle parlera bien. Autrefois on appelait des commères, ces femmes insupportables qui veulent toujours dominer la conversation; mais depuis que nos mœurs se sont perfectionnées, on trouve bien qu'une femme se fasse orateur dans un salon, et plus elle manque aux bienséances, aux devoirs de son sexe, plus on lui applaudit; telle est Delphine.

Ce caractère existe, et madame de Staël a pu le peindre, mais elle a eu tort de croire qu'une femme pareille inspireroit de l'intérêt. Une femme passionnée n'est pas contre nature; mais elle est contre la pature des femmes bien élevées; aussi, dans tous les bons romans, ne trouve-t-on que des femmes

tendres : la princesse de Clèves, Clarisse, Pamela, Virginie, l'Héloïse même de Rousseau, ne sont pas des femmes passionnées. Il est remarquable que les grands romanciers n'ont donné que de la tendresse à leurs héroïnes, parce qu'ils savaient qu'une femme tendre n'aura jamais qu'un amant, tandis que les femmes passionnées sont sujettes à recommencer; chez les premières, l'amour est un sentiment : chez les secondes, c'est un besoin. J'en suis désespéré pour la plupart des dames qui font aujourd'hui des romans, mais elles ont moins de pudeur que les hommes qui en ont fait : aussi ne trouvent-elles point d'autres ressources pour sauver l'avenir de leurs héroïnes, que de les tuer; c'est qu'une femme passionnée ne pouvant jamais rester à sa place dans le monde, il y a nécessité de la faire mourir, tandis qu'une femme tendre survit aux espérances de l'amour, et n'en devient souvent que plus intéressante.

Delphine est passionnée, c'est un défaut, elle a la tête faible et l'esprit fort, défaut bien plus choquant encore. On a beau dire qu'elle est jeune, vainement elle le répète elle-même jusqu'à l'ennui : on n'en croit rien parce qu'on ne le sent pas. Ici je ferai encore observer aux dames qui font des romans, que si les pensées n'ont pas précisément d'âge, il y a cependant des nuances dans la manière de les rendre. Un homme et une femme expriment la même pensée d'une manière toute différente : une femme jeune et une vieille femme diffèrent peut-ètre encore davantage, lorsqu'elles veulent présenter les mêmes idées; jamais ces nuances ne sont observées par Delphine; elle parle de l'amour comme une bacchante, de Dieu comme un quaker, de la mort comme un grenadier, et de la morale comme un sophiste point de fraîcheur dans ses pensées, point

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