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remarquer cette différence entre les deux sièclės; différence que certaines gens prétendent n'être pas à l'avantage de celui-ci. Je n'ai jamais entendu comparer le quatorzième siècle et le dix-huitième. Si on vouloit les juger par le nombre de victimes immolées à l'esprit de parti, le jugement ne seroit pas en faveur du dix-huitième. Il s'élevoit alors de vives querelles sur des capuchons plus ou moins pointus; mais si l'on persécutoit dans des temps d'ignorance pour la forme d'un capuchon, n'a-t-. on pas persécuté, dans un siècle de lumière, pour la couleur d'un bonnet ? A.

L V.

Sur la Critique (1).

S'IL s'agissoit de développer les avantages de la critique et les résultats heureux qu'elle peut produire, je n'aurois rien de mieux à faire que de citer l'excellent recueil dont j'annonce le quatrième volume; lorsqu'annuellement on voit extraire de trois ou quatre journaux une suite aussi intéressante de pensées et de principes de morale et de littérature, on peut sans doute applaudir les écrivains qui, pour éclairer l'esprit public, pour arrêter le torrent du mauvais goût, pour ramener aux idées vraies et solides, ne dédaignent pas le travail ingrat et sans gloire que demande la

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́(1) Cet article a été fait à l'occasion de l'annonce de cé Recueil dans la Gazette de France.

rédaction d'un écrit périodique. C'est leur payer une partie de la reconnoissance qui leur est due, c'est ajouter à l'utilité de leurs efforts; enfin, c'est rendre un service essentiel aux lettres, à la mo- ' rale que de sauver de l'oubli et de présenter, avec une sorte d'ensemble, des morceaux choisis avec discernement dans le nombre de ceux qui paroissent journellement, et parmi lesquels il doit nécessairement s'en trouver de médiocres. Mais avant de faire l'éloge de la critique, peut-être faut-il répondre aux reproches violens qui lui sont adressés de tous côtés; peut-être faut-il réduire à leur juste valeur ces clameurs qu'excite Famour-propre blessé ; que la sottise répète et propage, et que l'esprit de parti envenime et rend furieuses, au point qu'une discussion littéraire est tantôt présentée comme un attentat, tantôt comme une conspiration politique, tantôt enfin comme une cause de décadence et d'opprobre national. Cette tactique n'est pas nouvelle. Boileau se plaisoit à la démasquer dans un temps où les Cotin, les Chapelain et les Scuderi voyoient avec rage leurs foibles pro ductions vouées au ridicule et au mépris.

«

Et Dieu sait, aussitôt, que d'auteurs en courroux

» Que des rimeurs blessés s'en vont fondre sur vous !

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Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,412

» Amasser contre vous des volumes d'injures

» Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,

> Et d'un mot innocent faire un crime d'état.....>

· Apparemment cette triste ressource des mau vais écrivains du siècle de Louis XIV, ne paroit pas à dédaigner pour ceux de nos jours; car ils font, sur ces six vers, toutes les amplifications possibles: celui-ci prétend prouver qu'on dégrade

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la France aux yeux des nations étrangères, en ne vantant pas comme des chefs-d'oeuvre et des modèles, tout ce qui sort de nos presses. Cet autre, qu'on manque au gouvernement, en critiquant les écrits de quelques membres d'une société dont il protège l'institution ¿ l'un assure que le

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talent est étouffé dès son berceau et réduit au silence par cette oppression littéraire; l'autre demande une constitution qui fixe les attributions de la critique ; et s'il se chargeoit de la rediger, on pourroit la réduire à ces deux mots: Louer ou se taire, ce qui, assurément, seroit fort commode pour Jes mauvais auteurs, fort utile pour le goût et fort glorieux pour notre littérature, en supposant que les étrangers voulussent bien s'en rapporter au jugement de ces complaisans journalistes, et que l'empressement public et l'avis de la postérité confirmassent ces arrêts flatteurs. Mais il pourroit bien en arriver autrement, et j'observerai qu'on peut trouver quelques écrits périodiques rédigés, dans ce sens bénévole, et qui annoncent régulièrement trois cent soixante-cinq chefsd'oeuvre par année, sans que les livres, qu'ils ont ainsi vantés en soient plus connus et plus débités. Après tout, ce tribunal de la critique, si craint, si redouté, ces articles de feuilleton qu'un jour on feint de mépriser, que le lendemain on peint si formidables, sont-ils inévitables ? Les journalistes courent-ils chez tous les auteurs, éditeurs, imprimeurs pour guéter chaque production nouvelle et l'écraser à sa naissance? On se tromperoit de beaucoup si on s'imaginoit qu'il en est ainsi. 11 n'est asyle si retiré, où le critique puisse se trouver à l'abri des sollicitations d'une foule empressée; il n'est voile si épais dont il puisse se

11'.

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couvrir, sans que bientôt on ne le soulève pour obtenir son attention; il n'est prétexte ni raison qui puisse le dispenser d'accepter le mauvais ou vrage dont l'auteur lui détache, coup sur coup, les exemplaires. On va jusqu'à solliciter sa sévérité; n'est-ce pas lui donner le droit de l'exercer? Je sais que la critique doit avoir dés bornes; je ne m'amuserai point à la diviser en genres et en espèces, à distinguer la critique amère de la cri tique douce, etc.... Je dirai seulement qu'elle ne doit jamais s'étendre aux personnes, et, si je ne me trompe, les lois ont prévu ce dernier article, et donne, dans ce cas, tous les moyens de la réprimer. Quant à son excessive sévérité, à son injustice même si l'on veut, envers les ouvrages, elle ne peut donner lieu qu'à des dissertations' litté raires utiles aux progrès des lettres et au maintien du bon goût; et cette sévérité même trouvę un contrepoids puissant, un obstacle qui en émousse continuellement les traits, dans l'amour-propre naturel à tous les hommes, et plus fort en particulier chez les auteurs. Je dirai plus loin de craindre, pour les hommes de talent, ce découragement funeste dont on nous menace, je erois que le talent même a besoin de la critique pour se perfectionner. Celui qui débute avec quelques suc¬ cés dans la carrière des lettres, ressemble à ce voyageur sans expérience qui traverse, pour la première fois, les marais Pontins; une vapeur mortelle appesantit peu à peu ses yeux trompés par la beauté du climat, il se laisse aller à un sommeil facile et dangereux, il perdroit bientôt toutes ses facultés, si une main prudente, mais incommode, ne l'excitoit sans cesse, n'interrompoit sa rêverie, ne le toarmentoit de mille ma

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nières pour lui faire voir le péril. Quel esprit seroit
assez sain pour résister aux douces illusions de
l'amour-propre, aux séductions de la louange, aux
douceurs de la négligence, à l'abus de la facilité ?
Si la critique n'étoit là pour éplucher impitoya-
blement les défauts, pour contredire les éloges,
pour relever les distractions, pour avertir des faux-
pas, tel eût envoyé, avec complaisance et préci-
pitation, son ouvrage à l'impression, que la crainte
d'un feuilleton malin ou sévère a forcé de revoir
son manuscrit et d'en changer des pages entières.

Et ta plume, peut-être, aux censeurs de Pyrrhus,
Dut les plus nobles trai's dont tu peignis Burrbus.

Mais, dit-on, quelle opinion les nations étrangères prendront-elles de notre littérature et de nos littérateurs, en les voyant dénigrer tous les jours dans vingt journaux différens ? Je demanderai, à mon tour, quelle idée elles se formeroient de notre goût et de l'état de notre langue, si elles voyoient paroître, publier, et débiter sans aucune réclamation cette effrayante quantité d'ouvrages ridicules et barbares, pleins de fautes contre la langue, la morale et la raison ? Notre gloire littéraire n'est heureusement pas fondée sur nos productions modernes ; et le seul moyen de nous élever au-dessus des autres nations', dans ce genre de succès, c'est de nous rapprocher sans cesse de la manière et des principes des écrivains du siècle de Louis XIV, et de combattre par le raisonnement ou par le ridicule tous les esprits faux qui prétendent nous ouvrir une autre route. On a avancé que les 'membres d'une société publique présidée par le chef de l'état, devoient voir leurs écrits à l'abri de la censure; mais si leur nomination à ce poste

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