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croître sous ses malignes influences. Cependant tout n'est pas fait encore contre elle. Plus on lui porte de coups, plus elle use d'adresse pour s'y échapper; Protée subtil et quelquefois perfide, elle prend toutes les formes et se couvre de tous les masques pour déguiser sa honte et tromper la crédulité. Elle ne peut plus dominer; elle corrompt dans le secret: on la bannit de la littérature; elle se réfugie dans les sciences. C'est dans les sciences qu'elle a fixé son empire; c'est là qu'elle prépare ses ténébreux/ argumens, et c'est là aussi qu'il faut l'attaquer; c'est dans ce dernier retranchement qu'il faut la forcer. Je vois avec peine qu'aucun savant ne se soit encore chargé de cette honorable tâche; il en est cependant plusieurs qui pourroient la remplir avec gloire. En attendant que leur zèle s'éveille, jè vous demande la permission, Messieurs, de vous dénoncer les ouvrages scientifiques où le philosophisme a caché ses poisons. J'aime la scienee, puisque j'ai consacré ma vie à l'étudier', et je ne puis faire un meilleur usage du loisir de ma retraite, que de l'employer à la venger. Si les faux juges la déshonorent en lui prêtant leurs monstrueux systêmes, qu'il s'élève du moins une voix en sa faveur et que le public ne l'accuse plus de se rendre leur complice.

Ces réflexions m'ont été suggérées par la lecture d'un ouvrage de chirurgie, qu'un jeune philosophe vient de publier. Qui s'attendroit à trouver des déclamations philosophiques dans un traité où il ne doit être question que de fractures, de plaies et d'ulcères ? Cependant M. Richerand a eu l'art d'or ner un sujet si ingrat; adepte fervent, il s'est cru oblige de donner à ses maîtres cette preuve singu→ lière de dévouement à leur cause; auteur habile, il

a pensé que le meilleur moyen de répandre quelqu'intérêt sur des détails arides et rebutans par eux-mêmes, étoit de les assaisonner d'un peu d'impiété. Malheureusement l'esprit du siècle est changé; on commence à se dégoûter de ces froides railleries, de ces misérables invectives qui n'attestent le plus souvent que l'ignorance ou la mauvaise foi de leurs auteurs ; et un livre qui n'attend ses succès que de pareils moyens, court grand risque de rester enseveli dans la boutique du libraire. Encore, si M. Richerand avoit imaginé quelque bonne calomnie, ou aiguisé quelques-uns de ces traits piquans qui étonnent et déconcertent par leur perfidie, on admireroit en lui le talent de l'invention, et du moins l'indignation sauveroit de l'ennui. Mais il est loin d'avoir même ce genre de mérite; écho trop fidèle, il se borne à répéter les objections triviales et cent fois pulvérisées de ses devanciers, ou s'il y ajoute quelque chose, ce sont des imputations plus absurdes et plus ridicules encore.

C'est dans une prétendue Histoire de l'Art, placée à la tête de son ouvrage, que M. Richerand se livre à toute l'amertume de son zèle philosophique. La chirurgie des Juifs fixe d'abord son attention; et comme les Juifs ont eu le malheur d'être le peuple de Dieu, on sent bien qu'un philosophe ne doit trouver rien de bon parmi eux. Il est vrai que l'histoire ne nous apprend rien de certain sur l'état et les progrès de la science chirurgicale au milieu de cette antique nation; mais M. Richerand va plus loin que l'histoire: 11 affirme hardiment » qu'elle devoit se réduire à une pratique routi»nière, et partager le sort de toutes les sciences. » Comment, ajoute-t-il, cette nation, soumise à la » plus affreuse théocratie, et tellement enveloppée

» dans les langes de la superstition, que les pratiques » les plus indifférentes de la vie étoient réglées dans » des livres auxquels elle attribuoit une origine » céleste......, eût-elle pu s'élancer vers un mieux >> dont la connoissance lui étoit interdite comme » une curiosité condamnable? » Je ne chercherai point à venger la chirurgie des Juifs du mépris de M. Richerand; il me faudrait, comme lui, substituer les conjectures aux monumens historiques; et quoique les miennes eussent peut-être plus de vraisemblance que les siennes, je ne veux point user d'une aussi foible ressource: mais il me permettra du moins de discuter avec lui les motifs sur lesquels il appuie son opinion avec tant d'assurance.

Le gouvernement des Juifs étoit absurde! s'ensuitil nécessairement de là que l'art de guérir, l'un des premiers comme des plus pressans besoins de l'homme, n'ait point été cultivé parmi eux ? Les Arabes aussi vivoient sous un gouvernement absurde, et cependant le siècle des Rhasir, des Avicenne, des Albucasis, n'a t'il pas été une des époques brillantes de la médecine? Mais je demande à M. Richerand de quel droit et à quel titre il ose appeler`absurde la législation de Moïse, législation si pure dans ses principes, si sage dans ses ordonnances, si profondément empreinte dans les moeurs et dans les habitudes de la nation juive, qu'elle semble avoir en quelque sorte participé à l'immortalité de l'être souverain qui l'a dictée ? Les publicistes les plus célèbres en ont admiré les grandes et fortes conceptions, et un jeune élève d'Esculape, élevant sa petite opinion au-dessus de ces témoignages imposans, viendra nous la dénoncer comme un monument d'ignorance et de barbarie! En vérité, une telle audace excède toute mesure. Après la terrible

expérience que nous avons faite de leur systèmes politiques, comment des philosophes osent-ils encore nous parler de politique et de gouvernement, et l'amour propre n'auroit-il pas dù déjà depuis long-temps leur apprendre à se taire ?

Je ne repousserai point ici le reproche bannal de superstition que M. Richerand adresse aux Juifs; je ne m'appesantirai point sur cette image dégoûtante et impropre de langes, dans laquelle il paroît se complaire, et qu'il à volée aux philosophes du siècle dernier : tout cela est tellement usé qu'on ne conçoit pas comment il a eu la mal-adresse d'y revenir; mais je le prierai de me dire où il a vu que l'étude des sciences et des lettres étoit interdite aux Juifs comme une curiosité condamnable? Je pense bien qu'il ne perd pas son temps à lire la Bible: cette lecture ne convient qu'aux petits esprits; mais alors il ne faudroit pas en parler, et sur-tout ne pas lui faire dire ce qu'elle ne dit pas. S'il veut que nous l'en croyons, qu'il nous cite une seule ordonnance, un seul texte où cette défense soit clairement exprimée; ou plutôt qu'il anéantisse la Bible elle-même, et avec elle le souvenir de Moïse et de ses lois, de David et de ses cantiques, des prophètes et de leur éloquence; qu'il efface du nombre des savans Salomon, ce prodige de science, qui avoit décrit toutes les plantes et tracé l'histoire de tous les animaux; qui étonna l'univers par sa sagesse autant que par les merveilles de son règne, et dont les peuples les plus lointains venoient en foule écouter les discours et contempler la gloire. Non, jamais il n'a été défendu aux Juifs de cultiver les sciences, ni de s'élancer vers aucun genre de mieux, à moins que M. Richerand ne donne le nom de mieux à l'idolâtrie et à l'impiété, ce qui ne lais

seroit pas d'être très - philosophique. Ce sont eux qui ont produit les premiers historiens et les premiers poètes; les arts ont été florissans sous plusieurs de leurs rois; et ce qui devroit au moins leur faire trouver grace devant M. Richerand, à l'é– poque de leur décadence, ils ont aussi fini par avoir leurs philosophes dans la secte des Saducéens.

« La lepre venoit-elle à infecter les Juifs, pour» suit M. Richerand, on fuyoit les misérables lé>> preux, on les séquestroit inhumainement de la » société ; tant on redoutoit un fléau contre lequel » l'art négligé ne fournissoit point de défense. » Plaisante humanité que celle de M. Richerand! Il s'attendrit sur les lépreux; il trouve leur séquestration inhumaine; auroit-il donc voulu que le législateur ne prît aucune mesure pour arrêter une contagion aussi horrible, et que la nation toute entière en devint la proie? Il falloit guérir la lèpre, vous dira-t-il, et laisser aux lépreux la liberté. Mais depuis quand les médecins sont-ils obligés de guérir toutes les maladies, sous peine d'ignorance? N'en est-il pas qui sont évidemment au-dessus de la puissance de l'art? Qui a dit au surplus à M. Richerand que la lèpre ne guérissoit jamais chez les Juifs? Les précautions ordonnées par la loi pour constater la parfaite guérison des lépreux, ne semblent-elles pas attester le contraire? et s'il s'opéroit réellement des cures de ce genre, ne doit-on pas en conclure que la médecine n'étoit pas cultivée sans quelque succès parmi les Juifs, puisqu'il est certain que la lèpre abandonnée à elle-même a toujours une issue funeste? La séquestration n'est point un obstacle aux secours de l'art ; quelquefois même elle en seconde l'effet: Encore aujourd'hui on ne connoît pas de barrière plus puissante à opposer aux

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