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tranchante, en parlant d'un poëme où la satire est poussée jusqu'au cynisme, et dont la plupart des vers semblent avoir été écrits avec le fiel le plus noir. Les Mémoires littéraires de M. Palissot ne servent à M. l'Habitant du Jura, que de texte pour louer en vers tous les auteurs que M. Palissot, a loués en prose. Il enfile une longue kirielle de noms plus ou moins connus, dont quelques-uns méritent assurément les éloges qu'il leur donne, mais dont la plupart figureroient mieux dans une satire que dans un panégyrique: ainsi, l'éloge de M. Palissot se trouve flanqué de l'éloge de plus de vingt autres écrivains; ce qui prouve que l'auteur, qui s'étoit proposé de faire l'apologie de la Satire, est entièrement désintéressé dans cette cause, et n'a qu'une grande disposition à louer tout le monde.

Il a donc tout à-la-fois manqué son sujet, et méconnu le ton qui pouvoit y convenir: il avoit pour but de prouver que l'esprit satirique peut s'allier avec la bonté du cœur ; mais il a senti qu'il étoit plus facile de faire un éloge emphatiquement historique de M. Palissot, que de traiter la question. Son intention n'en est pas moins bonne, et son style n'est pas sans quelque mérite : il est, en général, clair et pur. L'expérience apprendra å l'auteur, qui sans doute est jeune, et qui paroît n'avoir cherché qu'une matière de vers, qu'il ne suffit pas de bien écrire, mais qu'il faut mettre encore dans ce qu'on écrit, de la convenance, de la justesse et du sens: tels sont les gages du succès;

Hic meret ara liber socis: hic et mare transit,

Et longum noto scriptori prorogat ævum.

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LII.

Sur les Poésies de CLOTILDE de Surville.

ON

Na assez critiqué les poètes de notre siècle sans les corriger, sans les persuader; on a assez loué les poètes du grand siècle, sans ajouter à leur gloire; il est assez prouvé que les poésies des premiers sont très-médiocres, souvent très-ridicules; il est assez prouvé que celles des grands écrivains qui illus→ trèrent le règne de Louis XIV sont admirables. Pour dire quelque chose de nouveau, remontons à ce qui a été fait il y a trois ou quatre siècle, et

Parlons un peu ce soir de madame Clotilde.

de ce phénomène littéraire qui, après avoir lui sur la France plongée dans les ténèbres de l'ignorance

et de la barbarie, et déchirée par les fureurs de l'anarchie et d'une guerre civile et étrangère, avoit été enseveli dans une profonde nuit pendant plus de trois cents ans, et reparoît enfin comme pour éclairer un siècle savant et poli, et lui apprendre à mettre de la raison, du goût, du naturel et de la poésie dans ses vers.

Le double sentiment d'épouse et de mère, si vif dans le cœur d'une femme sensible, dominoit toútes les pensées, toutes les affections de madame de Surville; il se reproduit dans ses écrits, à chaque page, avec une variété et un agrément infinis. Ce

n'est pas néanmoins dans ces morceaux charmans
que je puiserai mes citations; ils sont, je l'avoue,
sinon les plus beaux et les plus étonnans, du moins
les plus intéressans et les plus agréables. Le langage
du sentiment est de tous les âges; les tendres accens
d'une amante et d'une mère retentissent dans tous
les siècles au fond des coeurs sensibles; l'intérêt
qu'ils inspirent est à l'abri des variations de la
langue, des inconstances de la mode,
des caprices
de l'usage, qui exercent un empire si mobile et si
despotique sur les productions littéraires. Mais on
a tant de fois cité les vers que l'amour et la ten-
dresse maternelle dictèrent à Clotilde; le mérite
de ses poésies, dont ces deux sentimens sont l'ame
et l'objet, est tellement reconnu, que je crois de-
voir à la gloire de cet illustre poète du XVe siècle,
de faire connoître encore la beauté des vers que d'au-
tres sentimens lui inspirèrent tel est ce chant
royal où elle célèbre la gloire de sa patrie, et de
son roi vainqueur à Fornoue des troupes coalisées
des Vénitiens, du pape, du duc de Milan, des
rois de Castille et d'Arragon, quatre fois plus nom-
breuses que les siennes. Clotilde composa, dit-on,
cette ode a quatre-vingt-dix ans; c'est ainsi que
l'eût écrite Malherbe dans le feu de la jeunesse,
cent ans plus tard.

Qui fait enfler ton cours, fleuve bruyant de Rosne?
Pourquoi roulent si fiers tes flotz tumultueulx?
Que la nymphe de Sayne, au port majestueulx,
De ses bras argentins aille entourer le trosne :
Tu lui faiz envier tes bonds impestueulx.
Les fleuves, tes égaulx, coulent en assurance.
Parmi des champz flouris, des pleines et des bois;
Toy, qu'un gouffre profond absorbe à ta nayssance,

Mille obstacles divers combattent ta puyssance;

Tu triomphes de touz. Tel vengeur de ses droictz

Charles brave l'Europe, et faict dire à la France :

Rien n'est tel qu'ung héroz soubz la pourpre des royz. » Cette strophe n'a du vieux langage que l'orthographe; on y trouve une correction supérieure peut-être à celle de Malherbe, Les autres ont un mouvement, une verve, une chaleur digne de ce grand poète.

Où courent ces guerriers dont la tourbe foyzonne?

Aux, armes Paladins ! votre sang'ne bouillonne?

Et la dernière me paroît au-dessus de tout éloge :

Ainsy, bravant la mort qui jà vous environne,
Fondez sur l'ennemy lasche et présomptueulx.`
Tu ne t'attendoiz paz, pontife fastueulx (1),
Aux affrontz qu'en ce jour, sur ta triple couronne,
Verseroient tes efforts toujours infructueulx?
Quoy se peut-il encor que victoire balance?
Dieulx seroient incertains où se montre Valoyz!

Non, non; sur l'hydre mesme en Hercule il s'eslance:

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Perfide Mantouan, romps ta derenne (2) lance!

L'air au loing en mugist. Ludovic aux aboyz,

Paslit, tombe et s'écrie: « O trop heureuse France;
» Rien n'est tel qu'un héroz soubz la pourpre des royz.

Une des pièces les plus curieuses de ce charmant
recueil, est celle intitulée les Trois Plaids d'or:
elle a
une telle ressemblance avec le joli conte
qui a pour titre les Trois Manières, qu'il me pa-
roit impossible que Voltaire n'ait pas eu connois-
sance de ce petit Poème de Clotilde, à moins que

(1) Alexandre VI.

(2) Dernière.

le poète du XVe siècle et celui du XVIIIe n'aient imité quelque vieux fablier antérieur à tous les deux, et qui nous est inconnu. Dans le conte de Clotilde comme dans celui de Voltaire, il s'agit d'une cour d'amour où l'on doit couronner l'amour le plus tendre, le plus fidèle et le plus constant, Clotilde fait présider cette cour par la princesse Zulinde, et j'aime mieux cette présidenté que l'archonte Eudamas : les questions sur lesquelles il s'agit de prononcer, sont plus de sa compétence; un archonte est un bien grave magistrat pour juger de pareils procès. C'est à dé jeunes amans à porter leur cause au tribunal d'une femme, comme c'étoit à de jeunes filles à porter la leur au tribunal d'un archonte. Tels sont les changemens que le goût a dictés à nos deux poètes ; mais il y a la plus grande ressemblance dans la marche des deux ouvrages. Un des acteurs, dans l'un et dans l'autre, s'appelle Lygdamon; ainsi que la belle Eglé, Lygdamon raconte son aventure en vers alexandrins; ainsi que la vive Téone, Tylphis raconte la sienne en vers moins alongés :

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Eil conte en verselets sans tours ambitieulx.

Enfin, comme la triste Apamis, le malheureux Colamor emploie les vers de dix syllabes:

Et contant sans détour, ces metres employa

Par qui douce élégie autrefois larmoya.

Il y a dans les différens récits quelquefois de l'embarras et des longueurs; mais on y trouve des -vers d'une naïveté charmante, et une imagination très-poétique. Lorsque la reine Zulinde a fait proclamer la tenue de sa cour d'amour,

Sy vist-on sur le Pô, de touz coingz accourir
Mille amantz fortunez; bruslant de concourir :

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