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leuse exactitude de chronologie, la vie littéraire de ce grand poète ; ce qui fit dire que ce n'étoit pas la peine de lui écrire pour ne lui rien apprendre de nouveau, et pour lui raconter ce qu'il devoit savoir beaucoup mieux que M. Chénier. L'auteur de cette épître à M. Palissot suit à-peu-près la même méthode; il raconte à l'écrivain auquel il s'adresse, tout ce que cet écrivain a fait ; il lui apprend qu'il a d'abord composé la comédie des Philosophes ensuite celle des Courtisannes, puis celle de l'Homme dangereux, puis la Dunciade, puis les Mémoires littéraires. Ce n'étoit point ainsi que Boileau procédoit, lorsqu'il adressoit une épître à Molière, à Racine, au grand Arnauld: il traitoit une question générale dans ces sortes d'ouvrages, et ne s'amusoit pas à faire cathégoriquement l'inventaire des productions et l'histoire de la vie de Molière, du grand Arnauld, ou de Racine. L'épître à ce dernier est un vrai modèle en ce genre: Boileau se propose de consoler Racine des chagrins que lui causoient ses ennemis, et particulièrement de l'injustice qu'il venoit d'essuyer à l'occasion de la tragédie de Phédre. Un auteur de notre temps n'auroit voulu perdre aucun des avantages de son sujet; il eût énuméré longuement tous les succès que Racine avoit obtenus au théâtre, et lui eût présenté la liste fidelle de ses tragédies. Boileau n'en nomme que trois, Iphigénie, Britannicus et Phèdre; il aime mieux lui montrer par des raisonnemens et par des exemples, quel a toujours êlé, quel a dù toujours être le sort de grands talens, et quelle utilité l'homme de génie peut tirer de ses ennemis même. Son épître, s'il l'avoit composée à la manière ́actuelle, n'eût été qu'un fade panégyrique de Racine; telle qu'il l'a conçue et exécutée, cette com

solation adressée à son ami devient une leçon pour tous les âges.

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Il me semble que dans ce genre, comme dans beaucoup d'autres, c'est l'exemple séduisant de Voltaire qui a égaré les écrivains, en leur présentant l'appât d'une facilité perfide. Ses épîtres à Horace et à Boileau ne sont guères que des narrations sans but, sans objet et sans plan, quoique très-agréablement versifiées: il y a plus d'idées plus de sens et plus de profondeur dans la seule épître de Boileau à son Jardinier, que dans ces deux épîtres réunies de Voltaire à deux des plus grands poètes qui aient jamais existé. Eloit-il bien nécessaire, que Voltaire écrivît à Boileau, pour lui apprendre que lui, Voltaire, étoit né son voisin dans la cour du Palais; qu'il avoit passé son enfance chez son neveu Dongois, et vu le directeur de son jardin d'Auteuil, et d'autres fadaises de même espèce, dont les graces d'une versification naturelle, facile et brillante, ne sauroient déguiser l'insipidité? Falloit-il écrire à Horace pour lui parler de l'abbé de Mably, de l'abbé Nonotte, et lui raconter l'histoire d'Auguste avec celle de Saint Ignace et de Calvin? Du moins Boileau, dans son épître à son Jardinier, s'appnie sur un fonds d'idées intéressantes et instructives; il compare le travail d'esprit avec le travail des mains, parallèle très-piquant, d'où il résulte, contre l'opinion populaire, que les occupations du cabinet sont des travaux très-réels; et l'auteur, s'élevant ensuite à de plus hautes considérations, montre que le travail est nécessaire au bonheur de l'homme. Qu'on parcoure ainsi toutes les épîtres de cet écrivain, accusé par nos penseurs de manquer d'idées, et de n'être qu'un habile enfileur de mots, on verra qu'elles renferment

des points très-importans de philosophie morale, soit que l'auteur fasse voir que la véritable félicité consiste dans la connoissance de soi-même, soit qu'il approfondisse la nature du vrai, soit qu'il expose les dangers de la mauvaise honte, soit enfin qu'il montre à un roi guerrier et conquérant les avantages de la paix, et les écueils d'une ambition déréglée.

La méthode expéditive adoptée par nos auteurs actuels, et en particulier par M. l'Habitant du Jura, me paroît avoir deux inconvéniens : elle étouffe le sujet principal, et réduit l'ouvrage à n'être qu'une histoire fort peu intéressante, ou qu'une espèce d'éloge historique de celui à qui l'épitre est adressée; ce qui, dans tous les cas, est très-insipide, mais sur-tout quand ce dernier est un auteur vivant : ainsi le poète du Jura ne semble avoir pris pour texte une pensée juste, solide et intéressante, que pour substituer aux développemens qu'elle pouvoit lui fournir, un long et ennuyeux éloge de M. Palissot; et le vice de cette méthode, qui seroit toujours très-sensible, quand même cet éternel panégyrique seroit juste de tout point, le devient encore plus par la fausseté trop évidente de quelques-uns de ces nombreux complimens, qui se succèdent sans interruption, et par l'emphase des ter mes peu proportionnés au sujet : l'auteur n'auroit pu employer des expressions plus pompeuses, un style plus ambitieux, quand il auroit voulu faire l'éloge d'un des plus grands génies de notre litté

rature.

Il auroit dû s'interroger d'abord, et se dire à lui-même: Je veux faire une épître à M. Palissot. Qu'est-ce que M. Palissot? Et s'il avoit écouté son jugement plus qué son imagination ou son affec

tion, il auroit reconnu que M. Palissot n'est qu'un' écrivain médiocre, pur et correct, si l'on veut, mais sans verve et sans chaleur, et qui, ainsi que beaucoup d'autres, n'a fait quelque sensation dans le dix-huitième siècle, que par ses contradictions; alternativement le flatteur et le zoïle des deux partis, qui ont également refusé à son caractère la considération qu'il ne pouvoit obtenir par ses talens. Il n'y a pas là, je pense, de quoi emboucher la trompette; et il me paroit bien ridicule de débuter, en écrivant à M. Palissot, par ce vers emphatique:

Une grande pensée a produit tes ouvrages.

C'est assurément tout ce qu'on pourroit dire des plus fameux écrivains. Dans la suite de son épître, l'auteur soutient toujours ce même ton d'emphase;

Des principes du goût heureux dépositaire,

Tu gardes, presque seul, sa flamme héréditaire
Dans un siècle rebelle aux leçons de Boileau.
Vers la simple nature, à la source du beau;
Loin du faux bel-esprit, c'est toi qui nous rappelles,
C'est toi qui réfléchis l'éc'at des grands modèles
Sur l'horizon des arts tous les jours plus obscur.

C'est pousser la flatterie bien loin: qui est-ce qui lit aujourd'hui les ouvrages de M. Palissot, qui, suivant M. l'habitant du Jura, nous rappelle à la simple nature, et réfléchit l'éclat des grands modèles sur l'horizon des arts? Ils ont totalement perdu l'espèce de vogue qui les soutint momentanément : ils sont morts, et l'auteur se survit à lui-même. Le poète prodigue les comparaisons pour relever son héros; tantôt il en fait un antique sapin qui perce sur le Jura la neige des hivers ; tantôt il en fait un

astre; mais, dans cette dernière comparaison, il semble avoir maîtrisé son enthousiasme disposé, sans doute, à nous représenter M. Palissot comme un Soleil, il a senti que l'image étoit un peu trop brillante; seulement, comme il falloit à toute force le placer dans les cieux, il s'est contenté de le comparer à la Lune :

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Tel apparoît cet astre et solitaire et pur,
Qui, lorsque le Soleil a fini sa carrière,
De ce flambeau du monde empruntant la lumière,
An milieu des vapeurs nous éclaire à son tour,
Et prolonge à nos yeux la clarté d'un beau jour.

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Le mauvais plan que l'auteur a suivi l'a forcé à parler de tous les ouvrages de M. Palissot : il auroit fallu, cependant, se garder de rappeler des pièces de théâtre aussi foibles que les Courtisannes et l'Homme dangereux, et sur-tout de s'écrier, après avoir cité ces deux pièces :

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C'est ainsi que toi seul a saisi dans tes vers

De ton siècle égaré les plus saillans travers !

Que cette exclamation est mal placée, lorsqu'il s'agit de deux mauvaises comédies absolument inconnues! L'auteur ne me paroît pas avoir montré plus de jugement, lorsqu'il a mis sur la même ligne la comédie des Philosophes et la Métromanie de Piron: l'une est un ouvrage plein d'invention, de verve et de style; l'autre, quoique bien écrite, est vide et froide. Le poëte auroit dû éviter de se faire à lui-même cette demande, à l'occasion de la Dunciade:

Est-ce le fruit amer de la méchanceté?

A quoi il répond: non; réponse beaucoup trop

Tome V

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