Imágenes de página
PDF
ePub

Dufresny, ni le Sage, n'avoient jamais songé à prendre cette précaution essentielle pour se rendre supportables après Molière.

Mais ce n'est qu'en littérature que Destouches a cru pouvoir innover. En politique, en morale, il est resté fidèle aux principes de son éducation, à la foi de ses pères; il déploroit l'aveuglement de ces insensés qui fondoient leur réputation et leur fortune sur la double apostasie de leur Dieu et de leur roi. Il a même signalé son zèle contr'eux par une foule d'épigrammes plus édifiantes, il est vrai, qu'ingénieuses et piquantes, mais qui prouvent la pureté de ses sentimens et l'élévation de son ame; qualités plus honorables que le talent de faire une bonne épigramme. G.

L.

Des Tragédies philosophiques, à l'occasion de LA VEUVE DU MALABAR (tragédie de LEMIERRE).

CETTE

ETTE Tragédie, jouée pour la première fois en 1770, fut assez bien accueillie; mais le dénouement excita de grands éclats de rire; il étoit alors bien éloigné de la pompe qui l'accompagne aujourd'hui. Il y avoit sur la scène un trou qui vomissoit quelques flammes, et c'est dans le trou que la belle Indienne devoit se précipiter; l'officier français sortoit par un autre trou, pour empêcher sa maitresse de faire le saut. Ce spectacle fut trouvé avec raison très-comique, et la gaieté du parterre arrêta le cours des prospérités de la veuve, mais

on se flatta qu'en donnant au dénouement une physionomie plus brillante, la pièce iroit au nues. On fit un grand bûcher; Lanassa s'y jeta au milieu des flammes, et le beau Larive accourut comme un preux chevalier, saisit la dame d'un bras vigoureux, et l'enleva à la barbe du chef des Bramines. Alors il n'y eut plus de bornes à l'admiration, à l'enthousiasme. La veuve du Malabar eut un de ces succès fous, réservés pour les pièces extravagantes.

C'est ce qu'on appelle une tragédie philosophique et bien plus philosophique que tous les chefs-d'œeuvre de Voltaire. Le bon Lemierre n'étoit pas philosophe à demi; c'étoit un honnête-homme, de bonne foi, très-dévôt à la secte, qui donnoit têtebaissée dans toutes les rêveries nouvelles, sans en soupçonner même, ni l'absurdité, ni le danger :il avoit du fanatisme, la simplicité, la franchise la confiance aveugle, sans en avoir la férocité et la sombre fureur.

[ocr errors]

Qu'est-ce qu'une tragédie philosophique ? Sur le nom, on seroit tenté de croire que c'est une tragédie sage et régulière, pleine de bon sens et d'art; c'est tout le contraire : on appelle tragédie philosophique, celle où le bon sens et l'art sont sacrifiés, à de vaines déclamations, aux prestiges et au charlatanisme de la scène, à un pathétique faux et outré ; celle où le poète est un jongleur, où les personnages sont des marionnettes, et les spectateurs des dupes ou des compères.

Voltaire avoit donné à son Mahomet un double titre : Mahomet, ou le Fanatisme. Humble disciple de Voltaire, le fervent Lemierre crût devoir imiter son maître, en donnant aussi à sa pièce le titre de l'Empire des Coutumes le second titre

est le véritable c'est celui qui caractérise l'ouvrage, qui indique l'intention de l'auteur. La Veuve du Malabar n'est qu'un nom vague, qui désigne la tragédie par la qualité du principal personnage; mais l'Empire des Coutumes est le titre précis et formel qui ne laisse aucun doute sur le genre et la nature de l'ouvrage, et sur la caste de l'auteur.

Jamais dans un autre siècle, à une autre époque un écrivain sensé, connoissant son art, se seroitil avisé de faire une tragédie sur l'Empire des Coutumes? Lorsque Racine composa son Iphigénie, lui vint-il dans l'esprit de faire de sa pièce un recueil de thèses contre les sacrifices humains, contre la superstition, contre la fourberie et le fanatisme des prêtres ? Ce n'étoit point encore l'usage dans ce temps-là de bâtir une tragédie avec des lieux communs et des conversations pédantesques. La Veuve du Malabar est pleine de controverses du jeune Bramine avec son chef; du chef avec l'officier français: on vous prouve pendant cinq actes, que l'usage où sont les veuves indiennes de se brûler avec leurs maris défunts, est un usage contraire à l'humanité et à la philosophie. Est-il un pays dans le monde, quelque civilisé qu'on le suppose, où l'on ne trouve pas des usages contraires à la raison et à l'humanité, mais fondés sur un préjugé ancien et accrédité, plus fort qu'aucune loi ? Et même les pays devenus barbares par un exces de civilisation, sont ordinairement ceux où l'humanité reçoit le plus d'outrages, parce que la barbarie de la civilisation détruit tout sentiment moral.

Ce n'est jamais dans le pays où la coutume existe, qu'on peut faire une tragédie pour l'attaquer; ni le souverain, ni le peuple ne le souffriroit: jamais on n'a écrit à la côte de Malabar contre les veuves

qui se brûlent, c'est à Paris, et pour ainsi dire dans un autre univers, que M. Lemierre fait éclater son zèle philosophique contre une coutume de l'Inde. Avoit-il peur qu'il ne prit fantaisie aux veuves françaises d'accompagner au tombeau leurs époux? pourquoi donc tout ce galimatias, toutes ces dé- · clamations contre une coutume que personne assurément n'approuve ? Si M. Lemierre vouloit faire une tragédie, il devoit imaginer une action capable de nous attacher pendant cinq actes; il devoit tâcher d'inspirer un grand intérèt pour sa euve, et ne pas remplir ses scènes d'amplifications de rhétorique, sur un sujet que personne ne conteste. Mais faire une tragédie étoit la chose du monde dont M. Lemierre s'embarrassoit le moins: il vouloit faire une bonne satire des prêtres catholiques sous le couvert d'un prêtre indien; il vouloit invectiver contre les bûchers de l'inquisition, à l'occasion du bûcher de la veuve de Malabar; il vouloit étonner le peuple par des grands mots et par un grand spectacle.

Le bon Lemierre a calomnié, sans le savoir, les Bramines naturellement doux et pacifiques. L'Inde est un des pays du monde où il y a le plus d'humanité: les habitans de cette vaste contrée sont aujourd'hui les victimes de la cruauté, de l'avarice et de l'ambition, de cette partie de l'Europe, que nos philosophes regardoient comme la Terre Sainte, comme la patrie de la liberté, de la sagesse et des lumières; mais les Indiens sont par eux-mêmes le peuple le plus tranquille, le plus patient et le plus humain.

L'auteur a voulu présenter le caractère français sous les couleurs les plus intéressantes, et son intention est louable : mais il n'a pas pris garde que

:

la générosité et l'humanité de Montalban sont accompagnées d'indiscrétion, de hauteur, d'emportemens cet officier prodigue le mépris, les injures et les menaces son zèle est inconsidéré : ce n'est point en heurtant de front les opinions et les passions des hommes qu'on parvient à les persuader; on ne fait au contraire que les aigrir par cette violence, et les fortifier dans leurs erreurs.

[ocr errors]

Lemierre semble avoir confirmé le préjugé qui accuse les Français de manquer de prudence chez l'étranger, et de ne point assez respecter le caractère, les mœurs et les usages des peuples, Mais la fougue et les invectives de Montalban sont d'un effet très-théâtral si l'officier français étoit circonspect et raisonnable, ce seroit un bien mauvais personnage de tragédie. Le vulgaire aime les bravades, les gasconades, les fanfaronnades; on se plaît à voir le grand-prêtre de Brama, bafoué, insulté par un jeune officier toujours prêt à lui couper la barbe, dans le premier mouvement de son enthousiasme pour l'humanité. G.

L I.

Sur une Epitre à M. PALISSOT, sur la Satire ; par un habitant du Jura.

LORSQUE

ORSQUE M. Chénier adressa, il y a quelque temps, une épître à Voltaire, il se contenta de suivre de point en point, et avec la plus scrupu

« AnteriorContinuar »