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bon sens, un esprit sage, visant à l'instruction et à la morale. Quand il a essayé d'être comique, il a donné dans la farce: il a peu de gaieté, de saillies et de verve. La scène dégénère quelquefois chez lui en conversations languissantes. Ses ouvrages sont plus estimables qu'amusans; et ce qu'il importe surtout d'observer, c'est un des premiers qui à gâté lạ comédie, en y introduisant le pathétique: il a voulu suppléer à la force comique qui lui manquoit, par un intérêt romanesque.

Il ya dans l'intrigue du Glorieux des aventures, des reconnoissances. Le père du Glorieux, injuste ment condamné à mort et dépouillé de ses biens, est réduit à se cacher pour échapper à l'échafaud; sa fille est femme de chambre; son fils vit en quelque sorte d'industrie, puisque les profits du jeu forment son plus clair revenu. La soeur du Glorieux, quoique femme de chambre, inspire une passion violente et respectueuse au fils d'un gros financier : tout cela est rare, extraordinaire; ce n'est point là le monde et la société; par conséquent ce n'est point là le domaine de la comédie; et cependant ce qui n'est point comique dans le Glorieux, est précisément ce qui a le mieux réussi.

Les auteurs qui ont attaqué le coeur, parce qu'ils étoient foibles d'esprit, ont obtenu des succès mortels pour la comédie : pour un homme qui saisit les beautés et les finesses de l'art, il y en a mille qui n'ont que des sensations, qui ne demandent que des émotions, et ne comprennent que ce qui les touche. Le roman a tué chez nous la comédie, et même la tragédie; ce que nous appelons l'intérêt est devenu un prestige employé pour faire valoir la médiocrité: à mesure que le public est devenu moins connoisseur dans les différens genres de la poésie drama

tique, il a donné plus aisément dans ce piége de l'intérêt, que tous les novateurs lui ont tendu. A Dieu ne plaise que je blâme le véritable intérêt dramatique, c'est le plus puissant ressort de la tragédie et même de la comédie; mais cet intérêt doit être toujours proportionné à la nature du sujet, subordonné à la raison et à la vraisemblance. C'est l'intérêt romanesque que je condamne, l'intérêt qui résulte des outrages faits au bon sens ; l'intérêt déplacé qui bouleverse les principes de l'art, et fait pleurer quand on doit rire.

Comment un homme, doué d'un assez grand talent pour composer un ouvrage tel que le Glorieux, avoit-il assez peu d'esprit pour faire une préface aussi plate, aussi misérable, je dirois presqu'aussi bête que celle qui se trouve à la tête de cette comédie ? Cela prouve, ou que les gens d'esprit sont capables de dire les plus grandes sottises, ou que le talent qui sert à faire une bonne pièce, est autre chose que l'esprit qui sert à éviter le ridicule.

Enivré de son succès, qui réellement fut prodigieux, le bon Destouches se met à genoux, se prosterne dans son humble préface, se confond en remercimens, en témoignages de reconnoissance, en protestations de sa foiblesse et de sa médiocrité, en promesses de travailler et de mieux faire. On diroit que le pauvre homme est convaincu qu'il ne méritoit pas son succès, et qu'il doit tout à la pure bonté du public. Cette modestie est basse, et même trèssuspecte; elle cache beaucoup d'orgueil: rien n'est, plus fade, plus équivoque et plus faux que tous ces complimens adressés à des gens qu'on ne connoit pas, qui vous ont applaudi parce que vous les amusiez; qui vous auroient sifflé de même et d'aussi bon cœur, si vous les aviez ennuyés. Destouches

s'imaginoit-il que c'étoit par amitié pour lui qu'on l'avoit applaudi? Et ne hausse-t-on pas les épaules de pitié, lorsqu'on entend l'auteur du Glorieux radoter en ces termes (1):

semens,

Je me croirois indigne des applaudissemens dont le public m'a honoré, si je ne m'efforçois pas de lui en témoigner ma reconnoissance. Ainsi, le Glorieux seroit une mauvaise pièce, indigne des applaudissi Destouches n'avoit pas fait une mauvaise préface pour remercier le public. J'ose lui protester qu'elle est aussi vive que juste ; je ne trouve point de termes qui puissent l'exprimer. On trouve difficilement des termes pour exprimer ce que l'on conçoit mal; et Destouches n'avoit point dans le cœur cette reconnoissance qu'il a tant de peine à mettre sur le papier : son embarras est aussi ridicule que la manière dont il l'exprime.

Mais pour la faire éclater d'une manière sensible, je promets à ce même public à qui je suis si redevable; qu'en cherchant à lui procurer de nouveaux amusemens, je n'épargnerai ni soins ni travaux pour mériter la continuation de ses suffrages.

Destouches remplit mal sa promesse, ou plutôt sa bonne intention ne fut pas réalisée par le fait, et sa reconnoissance éclata fort médiocrement; car depuis le Glorieux il ne fit que des ouvrages médiocres, dont plusieurs n'ont été représentés qu'après sa mort.

(2) Destouches, dans cette même préface révèle ingénument le secret des novateurs littéraires,

(1) Sans doute, un auteur a grand tort de radoter; mais nous craignons que le critiqne n'ait ici trop raison en écrasant la foiblesse humaine par de si grands coups de tonnerre.

(2) Le fragment suivant est tiré d'un autre article du même eritique.

beaucoup plus important que le secret des FrancsMaçons, et aussi bien connu aujourd'hui que le secret de la comédie. Voici sa déclaration; elle est précieuse, et il n'en faut rien perdre :

« Toute la gloire dont je puisse me flatter, c'est » d'avoir pris un ton qui a parù nouveau, quoi» qu'après l'incomparable Molière il semblât qu'il » n'y eût point d'autre secret de plaire que celui » de marcher sur ses traces. Mais quelle témérité » de vouloir suivre un modèle que les auteurs les » plus sages et les plus judicieux ont toujours re

gardé comme inimitable!... Il ne nous a laissé » que le désespoir de l'égaler. Trop heureux si, » par quelque route nouvelle, nous pouvons nous » rendre supportables après lui ! C'est à quoi je me » suis borné dans mes ouvrages dramatiques, et >> c'est sans doute à cette précautian essentielle que » je dois l'accueil favorable qu'ils ont reçu. >>

Cet aveu naïf de l'honnête Destouches, est l'histoire abrégée de la décadence de tous les arts. On s'éloigne des modèles, par le désespoir de les égaler; on cherche un autre secret de plaire que celui des grands maîtres; et sous le prétexte hypocrite qu'il y auroit de la témérité à suivre ces modèles inimitables, on substitue aux véritables beautés de l'art des défauts brillans: on séduit le public, on lui tend des piéges, on l'ébouit par de vaiņs prestiges; et dénaturer l'art, s'appelle être neuf, s'ouvrir une route nouvelle.

Dernièrement, un déclamateur qui n'est encore qu'un écolier, quoiqu'il soit devenu professeur, disoit dans son discours d'ouverture, entr'autres hérésies littéraires, que Voltaire avoit agrandi la tragédie. Voltaire a suivi Corneille et Racine dans ses premières tragédies; mais il s'est bientôt lassé

de marcher sur les traces de ceux qu'il ne pouvoit atteindre; et pour obtenir des succès, il s'est avisé d'appeler comme auxiliaires la corruption publique, l'anglomanie, le mauvais goût, l'immoralité, une fausse philosophie, de faux brillans, une vaino emphase : ce ne sont pas là des beautés tragiques, mais c'étoient des nouveautés. Comment a-t-il donc agrandi la tragédie en la rendant romanesque et pédantesque ? C'est ainsi qu'il a formé une école de petits esprits et de petits rimeurs fanatiques, qui font entendre autour de sa statue descris stupides(1), et qui hurlent devant les badauds, pour leur persuader que Voltaire a réellement agrandi la tragédie, lorsqu'il n'a fait que la corrompre. Voilà les belles leçons qu'on puise dans les Athénées : c'est de la littérature de cette force-là qu'il faut aux oisifs, qui, dans ces coteries, vont chercher l'amusement, et non pas l'instruction.

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Pour rentrer dans la question, les arts se détruisent par l'ambition des artistes sans génie qui, ne pouvant égaler les maîtres, s'efforcent d'accréditer une manière vicieuse, sous prétexte de se frayer de nouveaux chemins. Ce ne sont pas les mauvais ouvrages qui nuisent à l'art, ce sont les ouvrages dont les défauts aimables et contagieux passent pour des beautés. Destouches, dans l'impuissance d'imiter le comique de Molière, a imaginé d'être pathétique, ce qui lui a très-bien réussi. Rien n'étoit en effet plus nouveau que le pathétique dans la comédie ni Regnard, ni Daucourt, ni

(1) Expression brillante, employée à contre-sens dans le Discours du savant professeur Chénier, et que je rappelle ici à sa véritable application; car la stupidité est la compagne fidelle du fanatisme politique, philosophique et littéraire. (Note de l'Auteur.)

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