Imágenes de página
PDF
ePub

de la patrie, et le respect de quelques conve→ nances?

Il ne s'agit donc ici que de savoir s'il n'est point des occasions où les convenances doivent céder devant des considérations majeures, et de décider entre des écrivains qui, dans des ouvrages sérieux, s'appliquoient à ébranler toutes les bases de la mo rale; qui, dans des ouvrages badins, s'amusoient à corrompre les moeurs ; qui brisoient d'une main le frein de la religion, et de l'autre, le joug des lois; il s'agit, dis-je, de décider entre de tels écrivains, et un orateur qui, entraîné par un zèle pur et honorable, par la passion du bien, franchit dans des vues louables, la limite des convenances, tandis que les autres ne respectoient pas même celle des devoirs les plus sacrés. Cette violation des convenances fut traitée, en quelque sorte, comme auroit pu l'être celle des lois les plus saintes ; et cela, à une époque où J. J. Rousseau proclamoit, dans sa prose éloquente, que les égards ne l'emportent sur les devoirs que pour ceux dont toute la morale consiste en apparence; que la justice et la vérité sont les premiers devoirs de l'homme ; et qu'il est coupable, toutes les fois que des ménagemens particuliers lui font changer cet ordre. Il n'a manqué à Pompignan qu'un talent aussi fort que celui de Rousseau, pour résister, comme l'orateur géne vois, aux assauts redoublés de ses adversaires.

Quoi qu'il en soit, la guerre lui fut déclarée de toutes parts; et toute l'artillerie de Ferney fut dirigée contre le château de Pompignan, où s'étoit retiré le trop véridique orateur : pendant plusieurs années, Voltaire ne cessa de décocher contre le nouyel académicien les traits les plus acérés ; et le recueil des pamflets qu'il composa à cette occasion,

des si, des car, des mais, des pourquoi, forme dans la collection générale de ses Œuvres une partie considérable de ce fatras satirique, que la malignité est toujours bien aise d'y trouver, quoique le goût soit ici rarement d'accord avec elle. Il ne falloit pas un grand effort de génie pour changer le nom de Pompignan en celui de Tonsignan, et cependant le public rioit de la métamorphose: car il faut peu de chose pour faire rire le public, qui n'a pas moins ri, dans la suite, de voir l'abbé Sabatier converti en abbé Sabotier, et le docteur Riballier en docteur Ribaudier. Le titre des Poésies Sacrées fournit à l'impitoyable libelliste un de ces traits qu'il savoit quelquefois si bien aiguiser; et le sacrés ils sont, car personne n'y touche, devint, en quelque sorte, une défense de toucher aux Poésies Sacrées, très-religieusement observée par un public toujours disposé à regarder un bon mot comme un oracle. On prétendit que M. de Pompignan étant allé faire sa cour à M. le Dauphin, l'entendit réciter ce vers de Voltaire :

Et l'ami Pompignan pense être quelque chose. Cette anecdote me paroît être un de ces petits mensonges que se permettoient volontiers les adversaires du poète; du reste, l'anecdote est plus maligne et plus satirique que le vers, qui n'est pas merveilleux dans son genre. Mais comment croire que le Dauphin, qu'un prince si vertueux, si plein de religion, ait pu s'amuser à répéter des railleries dirigées contre le défenseur de la religion et de la vertu? Ce que ce feit auroit d'épigrammatique retomberoit sur le Dauphin plutôt que sur M. de Pompignan: la cour, : la cour, il est vrai, déjà frappée de cet esprit de vertige qui a fini par la conduire au précipice, sembloit être d'intelligence avec ses

propres ennemis, et complice de tout ce qui se machinoit contre elle-même; mais ni le roi, son fils, n'aimoient Voltaire et n'approuvoient ses excès.

:

A l'exemple du chef, tous les intéressés se précipitèrent en foule contre Pompignan ; le mot d'ordre étoit Mort au Pompignan. Il pleuvoit des libelles, des satires, des caricatures, des critiques bien véritablement amères, s'il en fut jamais; et lorsque l'Académie de Montauban, dont M. de Pompignan fut le fondateur et le chef, publia sa question sur la critique amère, elle se proposoit sans doute moins de défendre les auteurs actuels contre les critiques du jour, que de venger les écrits et la mémoire de son patron, des insultes qui lui furent littérairement prodiguées par Voltaire et ses disciples. En effet, fut-il jamais un auteur qui pût faire entendre avec plus de raison cette plainte, aujourd'hui si banale, et généralement si injuste, que profèrent l'amour propre inconsolable et l'implacable dépit de quelques auteurs irrités ? Qui fut jamais plus en droit que M. de Pompignan, de dire: On étouffe mon talent! Et quand on songe qu'il a fait quelques vers qui ont arraché des cris d'admiration à ses ennemis eux-mêmes, qui pourroit le blâmer si le gémissement du talent opprimé étoit sorti de son cœur? Mais aussi qui ne se moqueroit de ces écrivains sans moyens littéraires, sans talent, sans goût comme sans génie, qui crient à la barbarie lorsqu'on attaque leurs ouvrages barbares, et qui prétendent que la littérature est perdue, quand on leur prouve qu'ils ne savent pas écrire?

Si M. de Pompignan essuya des critiques plus qu'amères, il fut exposé aussi à des louanges plus qu'imprudentes, et le zèle de l'amitié ne lui fut

guère moins funeste que l'acharnement de la haine : un journaliste célèbre ne craignit pas d'imprimer dans ses feuilles, que M. le Franc étoit peut-être aussi bon poète, aussi bon versificateur que Virgile. L'éloge étoit violent; mais cet éloge n'est rien en comparaison du panégyrique composé par le marquis de Mirabeau, père du comte de Mirabeau, qui s'est rendu si fameux dans nos troubles et par nos troubles. Malheureusement, M. de Pompignan eut l'inconcevable foiblesse de faire imprimer ce ridicule morceau en tête de la grande édition des Poésies Sacrées, où il est resté comme un monument de la démence la plus insensée, et de la vanité la plus aveugle: « J. B. Rousseau, dit le marquis de >> Mirabeau, n'avoit osé toucher aux cantiques et >> aux prophéties; c'est ce qu'a fait M. le Franc >> avec un succès qui ne sauroit trop étonner, et qui » me fait sentir un frisson comparable aux appro»ches du néant : le tout ensemble est éblouissant » de beautés, continue-t-il, et le détail, au milieu » de ce tapage de couleurs, est aussi fini que la plus » parfaite miniature. »

Lorsque le panégyriste parle des observations que quelques critiques du temps s'étoient permises sur les Poésies Sacrées, son zèle ne trouve pas d'expressions assez fortes pour les flétrir: « Nous devons, » s'écrie-t-il, nous défier de la légèreté de ces dé>>cisions, comme d'un penchant au parricide. » On voit que l'éloquence méridionale du marquis de Mirabeau enchérit encore sur les reproches que les auteurs critiques font tous les jours à la critique Enfin, après avoir cité quelques vers de son auteur, il fulmine ce terrible anathème : « Quiconque »ne pleurera pas de ces vers..... » On s'imagine qu'il va dire, sera dépourvu de toute sensibilité, Tome V

24

point du tout : « Quiconque ne pleurera pas de ces » vers, ne pleurera jamais.... que d'un coup de » poing!» Ce frisson comparable aux approches du néant, ce tapage de couleurs, ce penchant au parricide, et ce coup de poing; tout cela forme un panégyrique cent fois plus cruel, et, pour parler la langue du marquis de Mirabeau, plus meurtrier que tous les sarcasmes de Voltaire. M. de Pompignan n'eut donc pas moins à souffrir de ses amis que de ses ennemis. Y.

XLIX.

Sur les novateurs littéraires, à l'occasion du GLORIEUX (comédie de DESTOUCHES ).

[ocr errors]

E chef-d'oeuvre de Destouches ne méritoit pas l'oubli où il étoit tombé ; mais la prédiction de Voltaire s'est accomplie. Voltaire écrivoit en 1732, à son ami Cideville : « On me jouera immédia>>tement après le Glorieux ; c'est une pièce de » M. Destouches, de laquelle on vous aura sans » doute rendu compte elle a beaucoup de succès, >> et peut-être en aura-t-elle moins à la lecture » qu'aux représentations. Ce n'est pas qu'elle ne >>> soit en général bien écrite, mais elle est froide » par le fonds et par la forme; et je suis persuadé » qu'elle n'est soutenue que par le jeu des acteurs » pour lesquels l'auteur a travaillé. »

Comparé aux comédies de Voltaire, le Glorieux de Destouches est un excellent ouvrage ; mais à côté des chefs-d'œuvre de Molière, le Glorieux est en effet une pièce froide. Destouches étoit un auteur de

« AnteriorContinuar »