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J'ai vur avec peine que M. Belime ait oublié ce trait; mais ce n'est pas la seule omission qui m'ait frappé en parcourant son ouvrage : il ne me paroît pas avoir envisagé son sujet d'assez haut; il s'est privé de quelques points de vue qui auroient pu rendre son discours plus instructif et plus agréable; j'aurois voulu y trouver des réflexions sur l'impor tance du ministère de la chaire, sur cette fonction d'un prédicateur qui parloit devant les rois le langage austère et pur de la vérité; j'aurois aussi desiré qu'il ne se fût pas contenté, dans la première partie de cet éloge, de considérer Massillon comme orateur; il auroit dû faire voir qu'il est aussi un de nos plus grands moralistes: on ne peut lire la plupart de ses sermons sans ètre frappé de la profondeur de ses idées ; nul n'est descendu plus avant dans les abymes du coeur humain ; nul n'a mienx connu le secret des passions, et n'a démêlé avec une adresse plus admirable les ruses dans lesquelles elles s'enveloppent.

Ce genre de mérite est plus brillant, je le sais, dans les écrits d'un philosophe que dans les ouvrages d'un orateur, parce que le philosophe laisse toujours à l'intelligence quelque chose à deviner, qu'il s'exprime d'une manière plus concise et plus rapide, et que ses pensées attachent d'autant plus, que le commentaire en est abandonné à la pénétration du lecteur, tandis que le devoir de l'ora teur est de tout expliquer, de tout déveloper, et plutôt de satisfaire la curiosité de l'esprit que de l'exciter; mais, pour se trouver réuni à l'éloquence, ce mérite n'en est pas moins réel. Il falloit dire aux gens du monde, qui regardent tout sermon comme un ouvrage essentiellement vide et ennuyeux, que la Rochefoucault, la Bruyère et

Pascal ne sont pas de plus habiles peintres du cœur humain que Massillon; il falloit dire à ceux qui be regardent ses ouvrages que comme des capucinades bien écrites, qu'on y trouve un bien plus grand nombre de vues philosophiques que dans les écrits de nos prétendus philosophes ; il falloit dire aux littérateurs de notre siècle, qui croient que c'est de notre temps qu'on a découvert le secret de fondre la philosophie avec l'éloquence, que ce secret étoit bien mieux connu des orateurs du siècle de Louis XIV; que Massillon est non-seulement plus éloquent que nos phrasiers académiques, mais bien plus profond et bien plus philosophe; enfin, il falloit dire à toute la jeunesse d'aujourd'hui, à qui l'on n'inspire que du mépris pour les orateurs de la chaire, que c'est en lisant Bossuet, Bourdaloue et Massillon, qu'elle apprendra à bien penser, à bien écrire en français, et qu'elle pourra se former à la véritable éloquence.

Comment l'orateur ne s'est-il point souvenu de ce mot de Louis XIV à Massillon: Mon Père, j'ai entendu de grands orateurs; dans ma chapelle, je suis toujours sorti fort contens d'eux; mais lorsque je vous entends, je sors toujours mécontent de moi-même. Il me semble qu'il y a dans ce mot non-seulement un grand éloge de l'orateur à qui il étoit adressé, mais un hommage rendu au ministère de la chaire. Il pouvoit fournir à M. Belime des réflexions de plus d'un genre; il pouvoit le conduire à montrer l'orateur chrétien sous un des points de vue les plus imposans, un simple prêtre, du haut de la tribune évangélique, faisant retentir aux oreilles du monarque la voix mâle et sévère de la vérité, dans le silence de la flatterie, êt réveillant la conscience des rois bercés et en

dormis par l'adulation. En parcourant les sermons de Massillon, et même ceux qui composent le Petit-Carême, où l'orateur a su se proportionner à l'âge du prince devant qui il avoit à parler, on est en quelque sorte effrayé des grandes vérités qu'il osoit proclamer au Louvre. La noble hardiesse de l'apôtre semble ajouter à la grandeur de la religion elle devient plus imposante, lorsqu'on la voit emprunter l'organe de ses ministres pour parler aux rois le langage de celui qui les interroge du haut de son trône, comme elle l'emploie pour consoler, au sein de la honte et au dernier degré du malheur, le criminel entre les mains des bourreaux.

Cet éloge n'est pas assez approfondi; mais il est écrit, en général, d'un style pur, correct, et quelquefois élégant; il est d'un homme de goût, plutôt que d'un homme de talent.

Y.

XLVII I.

Sur M. le FRANC de POMPIGNAN.

LA renommée de M. le Franc de Pompignan se seroit élevée plus haut et brilleroit d'un éclat moins équivoque, s'il avoit eu des ennemis cruels et des panégyristes plus discrets: ses rares talens furent en butte aux haines les plus acharnées, aux satires les plus amères, aux railleries les plus insultantes, à ces bons mots qui, chez une nation très-légére, sont des décisions et des arrêts; ils n'eurent pas moins à souffrir de ces éloges exagérés,

de ces louanges emphatiques et enflées qu'inspire une admiration aveugle, et que dicte un zêle imprudent. Sa réputation ainsi balancée, tourmentée entre deux injustices, a fini par ne rencontrer, au lieu de l'ardeur des haines qui s'éteignent toujours tôt ou tard, et de la chaleur des amitiés, également soumises à l'épreuve du temps, que la froideur et l'indifférence. On s'est lassé de persécuter un écrivain contre lequel des intérêts passagers avoient allumé le feu d'une si vive animosité; on s'est également lassé d'exalter un auteur qui ne dut l'exagération des louanges qu'à la violence des invectives; et cette espèce de fatigue, causée par des excès contraires, a produit ce mauvais effet, qu'à peine aujourd'hui veut-on mettre à sa place un poète qui, de son vivant, fut placé trop haut pour les uns et trop bas pour les autres.

La démarche qui attira sur l'auteur de Didon et des Poésies Sacrées cet orage de sarcasmes, d'injures et de calomnies, et qui l'exposa aux traits empoisonnés d'un parti dont le moindre défaut étoit de ne jamais choisir ses armes ; cette démarche éclatante, extraordinaire, fort contreversée dans le temps, présentée d'un côté comme une action trèslouable, et de l'autre, presque comme un crime, est encore aujourd'hui un sujet de discussion parmi ceux même qui ont un assez bon esprit pour vouloir et savoir juger de sang-froid ce qui s'est passé il y a cinquante ans. Il s'agit de décider si M. de Pompignan, pénétré d'horreur pour les funestes doctrines et les principes anti-religieux répandus dans des écrits célèbres, et frappé des excès sans cesse renaissans et toujours plus terribles, auxquels se livroient un certain nombre de gens de lettres, n'a pas pu légitimement signaler et ces

doctrines et ces excès, dans son discours de récep-' tion, lorsque l'Académie le choisit pour un de ses membres.

En jetant ici quelques idées sur cette question si souvent débattue, et toujours restée sans solution définitive, je ne prétends que dire ma pensée sans blâmer l'opinion de personne, d'autant plus que l'avis contraire au mien a pour lui de graves autorités, et entr'autres celle de M. Laharpe, qui dans ses écrits de toutes les époques, a toujours improuvé la conduite de M. de Pompignan. Mais sur quoi fonde-t-on cette improbation ? On dit que M. de Pompignan a violé toutes les convenances en attaquant, dans le sein de l'Académie, et au moment où elle venoit de l'y admettre, les membres même de cette Académie, qui presque tous étoient coupables des excès contre lesquels il s'élevoit. Mais en toute discussion; il est des données qu'il faut supposer, et dont il faut partir, si l'on' veut s'entendre et arriver au but: il est donc nécessaire de se représenter ici M. de Pompignan tel qu'il étoit en effet, plein de vertu, de religion, de piété; il ne l'est pas moins de convenir que les principes qu'il combattoit étoient dangereux, funestes, subversifs de la société; et qu'au contraire les doctrines qu'il soutenoit, devoient être regardées comme les seuls gages de l'ordre social parmi nous comme les seuls garans de la tranquillité générale, comme les fondemens du bonheur public. Si l'on ne s'accorde pas sur ces suppositions, il est impossible de s'accorder sur le fond de la question même; mais si l'on en convient, pourra-t-on blâmer un homme de n'avoir pas balancé entre de si grands intérêts, entre des objets d'une si haute importance, entre le zèle de la religion, de l'ordre,

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