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XLVII.

Sur MASSILLON, à l'occasion d'un Éloge de cet orateur, par M. Belime.

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L me semble que les éloges oratoires les plus difficiles à composer, sont ceux des grands orateurs il est plus aisé de célébrer un magistrat un ministre ou un guerrier; on exige moins d'éloquence de celui qui fait le panégyrique d'un homme distingué dans l'art militaire ou dans les fonctions civiles, que du panégyriste d'un homme qui s'est fait un nom par le talent de la parole. Ce dernier doit lutter en quelque sorte avec son

teux, en effet, que les écrits de M. Necker, ajoutent quelque chose à cette ombre d'immortalité qui lui est bien plus assurée par lé souvenir de nos troubles et de nos malheurs. Toutefois le cours de morale religieuse ne sauroit tomber dans un oubli absolu; et l'idée de monter en chaire dans l'hermitage de Copet, et de prêcher une génération si philosophe (ce qui est un peu plus aisé que de la gouverner); cette idée, dis-je, et les sermons que nous lui devons, et qui sont comme la conclusion du ministère de Necker, le digne complément du rôle qu'il a joué sur la scène politique; tout cela ne sauroit être dédaigné par la muse de l'histoire, et ne sera pas le trait le moins curieux dans la vie de ce ministre philantrope.

Peut-être remarquera-t-on aussi, entre ses dernières dispositions, une constitution léguée à la France: acte qui prouve que son auteur voulut, à sa manière, faire la fin d'un homme d'état comme il en avoit fait le personnage; en effet, si la postérité, ne peut pas dire du ministre Génevois, ce qu'elle a dit de Mazarin qu'il mourut debout, et tenant les rênes du gouverne. ment, on dira du moins que son zèle politique et sa philantropie durèrent jusqu'à la fin, et qu'il les mit dans ses écrite quand il ne pùt les prouver par ses actions.

héros; il donne lieu à une comparaison secrète de son talent avec le talent de l'orateur qu'il entreprend de louer; on veut retrouver dans son discours quelques traits de l'éloquence du grand homme dont il essaye de développer le mérite. Si l'orateur qu'il célèbre a excellé dans le sublime, on veut qu'il sache retracer dans son style la sublimité du modèle qu'il présente à l'admiration de ses lecteurs; s'il a brillé par la dialectique et le raisonnement, on veut que le panégyriste reproduise ces qualités dans une diction vive, serrée et nerveuse; si l'onction, la persuasion, si la douceur d'un style étendu, harmonieux, élégant, riche et fleuri, le caractérisent, il faut que le panégyriste, par d'heureux développemens, par les ornemens et les graces de l'élocution, par l'élégance, la souplesse et la fécondité de son style, rivalise pour ainsi dire avec lui. Le premier de tous les hommages est celui de l'imitation: on n'honore jamais mieux les grands hommes qu'en cherchant à les copier; on ne prouve jamais mieux que l'on sent leur mérite qu'en essayant d'y atteindre. L'orateur qui loueroit Démosthènes d'un style lâche, ou Bossuet d'un style rampant, me paroîtroit aussi incapable d'apprécier leur génie que de célébrer leur éloquence.

L'homme de lettres qui a entrepris de faire l'éloge de Massillon, s'est donc imposé une tâche extrêmement pénible: on peut disputer des rangs dans l'éloquence comme dans la poésie; chacun est libre de donner la première place à un poète ou à un orateur excellent, à Corneille ou à Racine, à Bossuet ou à Massillon; mais, à mes yeux, Massillon est le premier de nos orateurs, comme Racine est le premier de nos poètes. Massillon est

le Cicéron de la France, comme Bossuet en est le Démosthènes (1): il a des rapports très-frappans avec l'orateur romain; c'est la même facilité, la même abondance, la même harmonie, la même sensibilité, les mêmes qualités et les mêmes défauts; car nul écrivain n'est sans défaut : Bossuet est quelquefois Heurté, trivial, subtil et de mauvais goût. Les anciens ont reproché à Démosthènes la roideur et la monotonie ; Cicéron est souvent diffus et prolixe; Massillon est quelquefois redondant; mais il semble que les discours de ces deux derniers orateurs ne leur aient rien coûté : on diroit que leurs productions sont plus spécialement le

(1) Il est permis, ce nous semble, d'enchérir sur la pensée du critique, qui accorde à la France des talens, partagés entre Rome et la Grèce notre patrie, ne peut-elle pas, en effet, se vanter, d'avoir dans Massillon, Cicéron; dans Bourdaloue, Démosthène; et dans Bossuet, un homme à part, qui n'a d'égal ni chez les anciens, ni chez les modernes, et que son génie également puissant dans tous les genres d'éloquence a mis hors de pair.

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Cette supériorité de l'aigle Meaux seroit, sans doute, moins contestée que l'égalité entre Bourdaloue et Démosthène. On pourroit dire, que ce dernier l'emporte par les mouvemens oratoires, et par les qualités d'un style presque toujours sublime. Mais si l'on fait attention que ce qui le caractérise, c'est la vigueur de sa logique et l'enchaînement de ses idées, toutà-la-fois si abondantes et si bien ordonnées, en un mot, la puissance de ses raisonnemens invincibles, qui est le résultat de ce bel ordre, dont parle Horace, du ponere totum, du lecta potenter res, on reconnoîtra que, sous ce rapport, il n'y eut jamais de tête supérieure à celle de Bourdaloue, ni d'orateur doué d'une plus grande force de conception.

« Il seroit, dit Laharpe, le premier des prédicateurs, s'il > avoit les mouvemens de Démosthène, comme il en a les > moyens de raisonnement. » Le même critique ajoute : < On > pourroit dire de lui, en risquant d'allier deux termes qui > semblent s'exclurre, qu'il est sublime en profondeur comme » Bossuet en élévation. »

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fruit d'une heureuse et douce inspiration; tout y coule de source avec une merveilleuse abondance; nulle part le travail ne s'y fait sentir; jamais on n'y découvre la moindre trace d'effort.Tous deux sont également féconds dans le développement de leurs pensées, et dans l'exposition de leurs moyens; et cette fécondité est telle, qu'elle feroit le désespoir de quiconque chercheroit à l'égaler, et que les esprits les plus riches, les plus cultivés et les plus abondans, paroissent auprès d'eux secs et stériles. Tous les deux ont porté au plus haut point de perfection cette qualité essentielle de l'orateur et du poète, cette ravissante mélodie du style qui touche et pénètre le cœur, en séduisant l'oreille. Sous ce rapport, Massillon est bien supérieur à Fléchier: l'harmonie de l'un est le produit d'un artifice qui paroit trop; ses périodes nombreuses et industrieusement cadencées sont d'un rhéteur; l'autre n'a pas l'air de songer aux effets que peut produire cette partie importante de l'art : il semble que ces accens si doux, dont il nous enchante, ne soient que l'expression naturelle de sa pensée. Enfin Cicéron et Massillon excellent également dans l'art de parler le langage du sentiment : l'éloquence n'a rien de plus tendre et de plus vif à-lafois que quelques endroits des discours de l'orateur ro man, et la plupart des péroraisons de Massillon sont des chefs-d'œuvre de pathétique. On peut appliquer à l'un et à l'autre ce qui a été dit du premier: Il sait pleurer avec grace.

L'éloquence a obtenu par l'organe de ces deux orateurs des triomphes également glorieux : on sait que Cicéron plaidant devant César pour Ligarius, fit tomber des mains du dictateur ému l'arrêt qui condamnoit son client. Massillon ne

produit pas un effet moins honorable pour l'éloquence, lorsqu'en prononçant son sermon sur le petit nombre des Elus, il fut tout-à-coup interrompu par le mouvement simultané de tout l'auditoire, qui se leva de terreur, frappé de la vive peinture que l'orateur lui présentoit; ou lorsque, prêchant pour la première fois devant Louis XIV et devant la cour la plus polie de l'univers, il fut également interrompu, dès les premiers mots de son exorde par un murmure involontaire d'approbation, que ni la majesté du lieu, ni la présence du roi, ne purent arrêter. Je ne saurois résister au plaisir de rapporter ici le passage qui ravit ainsi l'admiration d'une cour accoutumée à l'éloquence de Bossuet, de Bourdaloue et de Fléchier. Louis XIV étoit au comble de la prospérité, de la puissance et de la gloire, lorsque le nouvel orateur parut devant lui. Massillon choisit un texte qui ne sembloit guère approprié aux circonstances Bien heureux ceux qui pleurent; et c'est de ce texte qu'il sut tirer un si grand parti: « Sire, dit-il, si le monde parloit ici à Votre » Majesté, il ne vous diroit point: Bien heureux » ceux qui pleurent; il vous diroit: Heureux un >> roi dont la gloire égale la puissance, qui n'a >> jamais combattu que pour vaincre, qui jouit de >> l'amour de ses sujets et de l'estime de ses enne>>mis, etc., etc.; mais, Sire, l'Evangile ne parle » pas comme le monde, etc. » Assurément l'art oratoire n'a rien de plus vif, de plus noble et de plus délicat que cet exorde; jamais la douceur de l'éloge et la sévérité de l'instruction ne furent plus habilement mêlées ensemble. Mais combien l'auditoire dut se sentir disposé à écouter un orateur qui débutoit si heureusement!

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