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talent, que les Claude, les Crouzas, les Abbadie, les Saurin et les Tillotson mème, auprès des Tertullien, des Chrysostôme, des Bossuet, des Fénélon, des Pascal, des Massillon, des Arnaud, des Mallebranche ? Cette remarque s'applique également aux beaux-arts. Les peintres, les architectes et les sculpteurs fameux ont tous paru dans l'église catholique la raison de ce phénomène s'explique facilement.

Les sectes séparées de la communion de Rome en retenant le côté moral (1), de la religion chrétienne, en ont banni le côté poétique ; c'est-à-dire le culte. Il ne leur reste, pour soutenir leur éloquence, que les lieux communs de morale. Elles ont été obligées de faire un mauvais mélange de philosophie et de religion, tâchant de soumettre à la raison des choses incompréhensibles; conservant assez de mystères du christianisme pour dégoûter les philosophes, et rejetant assez de dogmes pour éloigner les chrétiens. Cette contradiction se fait sentir dans l'ouvrage de M. Necker.

Nous doutons que les philosophes soient satisfaits en lisant le discours 1er de la 5e section sur le texte de S. Jean: ils m'ont haï sans cause.

Ames pieuses, ames chrétiennes, dit l'auteur, ames alarmées du spectacle qui vous environne, tout est dans ces paroles ils m'ont haï sans cause. Oui, sans cause; oui, » sans motif, sans raison, sans justice, et avec la plus profonde ingratitude.

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M. Necker parle de J. C.

a ́senti l'infériorité des orateurs protestans; mais il n'en a pas connu la cause.

(Note de l'Auteur.)

(*) Voyez dans le 2e tome de ce recueil les art. LXXIV et LXXV, annoncés ici par M. Fontanes.

Mais que diront les chrétiens à leur tour, lorsqu'ils liront dans le 1er discours de la 1ère section, p. 31, « que quand la matière seroit éternelle, » cela ne détruiroit pas l'existence d'un Dieu, or» donnateur des mondes? » Voilà donc un orateur chrétien qui rétablit, en chaire, les deux principes des écoles anciennes ! Les bons métaphysiciens ne seront pas moins mécontens de ce passage. Clarke (1), et Bayle (2) lui-même, prouveront à M. Necker que deux principes indépendans et co-existans de toute éternité, sont une supposition absurde. Dieu n'a pu arranger la matière, s'il ne la connoît pas, et il ne peut la connoître, si la matière est indépendante et existante d'elle-même. L'auteur ne paroît pas assez ferme sur ses principes; son instruction est trop légère. Occupé de finances, de politique et de banque, toute sa vie, il n'a pas donné assez de méditations au nouveau sujet qu'il embrasse, et s'est exposé à mécontenter tous les partis, en voulant les réunir.

Il étoit pourtant essentiel que le raisonnement fût très-fort dans l'ouvrage de M. Necker, puisque sa religion lui interdisait les ressources de l'éloquence. Tout est dramatique et passionné dans l'église catholique; tout est monotone, triste et froid dans les autres sectes chrétiennes. La religion romaine a trois caractères principaux qui peuvent enfanter tous les chefs-d'oeuvres des arts et du génie elle est tendre, sublime et mélancolique. Le protestantisme n'a conservé aucun de ces caractères. De plus, la religion catholique

(1) Existence de Dieu, sixième proposition. (2) Art. anaxim.

montre toujours l'homme au-dessus de la nature; elle exige de lui des vertus célestes, et le place ainsi dans une espèce de beau idéal, qui convient merveilleusement à l'écrivain et à l'artiste. Elle est, comme nous l'avons dit, essentiellement dramatique, car elle est elle-même une sorte de passion qui a ses transports et ses ardeurs, qui se nourrit d'espérances éternelles, qui, trop bornée au milieu des hommes et sur la terre, ne peut s'étendre que dans le désert et dans le ciel, passion d'autant plus énergique, qu'elle est en contradiction avec toutes les autres.

Il est donc certain que lorsqu'on veut écrire avec intérêt sur la religion, il faut être catholique. L'incrédule Diderot lui-même l'a senti. C'est qu'il était né avec de l'imagination. « J'aime, disoit-il >> dans une de ses lettres qu'on n'a jamais impri»mée, j'aime une vieille cathédrale couverte. » de mousse, pleine des tombeaux et des ombres. » de nos aïeux. Ces voûtes, noircies par les siècles, >> retentissent du même chant funèbre (1) qu’A>>thènes entendoit sous Périclès ; l'orgue,les cloches, » la voix solennel des prêtres, les tableaux des >> Raphaël, des Dominicain, des Lesueur, sus» pendus aux murailles; les statues des Michel» Ange et de Coustou, placées à ces autels et sous >> ces portiques ; ces fleurs, ces feux, ces parfums, >> celte pourpre et cette soie, ces vases d'argent et » d'or, ces cérémonies pompeuses et mystiques; > ces enfans vêtus de lin, et ces hommes de la » solitude et du silence, qui me retracent les » costumes et les mœurs de l'antiquité : tout ce

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(1) NB. On croit que notre chant Grégorien n'est autre chose que la Mélopée des Grecs.

Tome V.

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» spectacle porte à mon ame des émotions pro>> fondes. >>

Diderot avoit raison, du moins comme poète et comme orateur. Comparez à sa description les églises calvinistes. Irez-vous chercher l'éloquence, et votre ame sera-t-elle émue dans un temple désert, où un seul ministre psalmodie tristement un cantique, en langue vulgaire, ou paraphrase longuement quelques versets de S. Jean ou de S. Mathieu ?

Né dans une secte protestante, M. Necker n'a pu faire passer, dans son ouvrage religieux, la poésie qui manque à son culte. Avec une intention pure, des pensées remarquables, un style généralement noble et quelquefois touchant, comme dans le morceau sur la vieillesse, (Discours IV, section troisième, vol. 11, p. 103 ), Il n'a pas atteint le but qu'il se proposoit.

Ce n'est point avec de la philosophie qu'il faut défendre aujourd'hui la religion, mais avec des raisons tirées des passions mêmes, et avec tous les enchantemens des beaux-arts.

La plupart des écrivains de ce siècle ont fait, dans leur préface, des systèmes et des poétiques pour justifier leurs livres. M. Necker consacre un sermon tout entier aux principes de l'éloquence de la chaire. On se doute bien que ces principes sont ceux qu'il a suivis ; il s'en forme la plus haute idée, et voici comme il s'exprime :

<< Comment ne serait-il pas difficile, cet art, qui >> doit transformer la pensée dans une puissance >> active, et trouver le point de contact entre des spi» ritualités, qui doit indiquer la route éthérée de » la parole à l'entendement, de la parole aux im>> pressions sensibles; qui doit exercer sur les ames

» une autorité mystérieuse, une domination in» explicable? Enfin, comment ne serait-il pas » difficile, cet art, qui doit imiter, et, s'il se >> peut, égaler l'instinct du génie ? Il n'est rien » de si fin dans nos sciences, que la métaphysique » de l'art oratoire. >>

Bossuet et Massillon avoient cet instinct du génie dont parle M. Necker, et probablement ils n'avaient point songé au contact des spiritualités et à la route éthérée de la parole à l'entendement. Mais, au reste, ce langage est assez celui des églises réformées. Leur poétique ressemble à leur éloquence.

Il serait injuste de juger M. Necker sur cette production. Heureusement il est connu par des ouvrages antérieurs qui lui ont acquis une juste renommée. Son style est, en général, plus noble. que naturel, et plus ferme que facile. S'il n'a pas ces mouvemens rapides qui entraînent, on y trouve quelque chose de grave et de calme qui sied à l'éloquence d'un homme d'état. S'il a quelquefois de la recherche et de l'emphase, ce défaut est racheté par une foule d'expressions fortes et ingénieuses, puisées tour à tour dans une ame fière, et dans un esprit vigoureux et perçant. Ce style peut quelquefois fatiguer l'attention, par l'abus des métaphores et des termes abstraits; mais plus souvent il s'empare de la pensée, et la remplit toute entière. En un mot, ceux qui jugent le plus sévèrement M. Necker, refusent une place élevée à l'homme d'état, mais ils l'accordent à l'écrivain politique (1).

L.

(1) Peut-être, y a-t-il moins de sévérité que d'indulgence dans ce jugement qui fut prononcé du vivant, et pour ainsi dire, sous les yeux de celui qui en est l'objet : il est très-dou

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