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» qui nous sépare du néant. Maintenant nous en » tenons un; maintenant il périt, et avec lui nous » péririons tous, si promptement et sans perdre » de temps, nous n'en saisissions un autre sembla» ble, jusqu'à ce qu'enfin il en viendra un auquel >> nous ne pourrons arriver, quelque effort que >> nous fassions pour nous y étendre; et alors >> nous tomberons tout-à-coup manque de soutien. » O fragile appui de notre être ! O fondement >> ruineux de notre substance ! »

Nous n'avons pu résister au plaisir de mettre un si beau morceau sous les yeux de nos lecteurs. Quelle vie ! Quel coloris ! Quelle énergie ! Et où se montre-t-elle davantage, est-ce dans le style, est-ce dans la pensée ? Quel árt profond d'étendre sa pensée, sans la délayer! Quelle originalité d'expressions! Il n'y a pas jusqu'à celles qui paroissent dures ou négligées qui ne soient là pour faire effet, précisément par leur dureté et leur négligence même. Ce sont les nœuds de la massue de Bossuet, et il se garde bien de les polir. C'est ainsi qu'il s'est fait une langue à part, qui n'appartient qu'à lui, et hors de toute comparaison. Ce n'est pas ainsi que parle Blair; il a voulu dire tout ce que Bossuet a dit, mais qu'il est loin de sa manière grande et fière : ce n'est pas la pensée qui lui manque, c'est l'art de la rendre et de l'exprimer ; ce n'est pas le génie, c'est le génie

oratoire.

On a dit que les sermons de Blair avoient excité en France de l'enthousiasme et même du fanatisme, et que dans l'espace de quelques mois on en avoit fait onze éditions en France, après que l'on en avoit fait vingt-deux en Angleterre ; et sur cela on a reproché aux Français de négliger leurs chefs

d'oeuvres pour les ouvrages souvent médiocres de leurs rivaux. Nous ne trouvons pas que ces reproches soient fondés: nous ne voyons pas que les sermons de Blair, quoique très-estimables d'ailleurs, aient excité parmi nous ni enthousiasme ni fanatisme; et ils ne sont pas de nature à produire cette explosion.: Nous ne croyons pas aux vingtdeux éditions anglaises; et nous croyons encore moins aux onze éditions françaises. Mais nous pensons que la traduction de M. l'abbé de Tressan, est bien supérieure à celle de M. Frossard, qui d'ailleurs n'a traduit que les premiers volumes des sermons de Blair. Outre que le nouveau traducteur nous les donne dans leur totalité, il l'emporte encore sur son concurrent par l'élégance, le naturel et la rapidité. Peut-être n'a-t-il pas toujours conservé à son original la physionomie qui lui est propre; peut-être, d'après le plan qu'il nous ap→ prend s'être formé, de ne pas faire une simple version, a-t-il souvent plus imité que traduit ; mais quels que soient les inconvéniens attachés à une pareille entreprise, nous ne lui savons pas moins gré d'avoir cherché à naturaliser parmi nous cette production étrangère.

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X.

XLVI.

COURS de Morale religieuse, par M. NECKer.

M. NECKER est un des hommes qui a le mieux

connu l'inconstance de l'opinion, et la vanité de

la gloire. Cependant il ne les a pas recherchées avec moins d'empressement. Il semble s'être passionné pour elles, en raison de leurs injustices. On trouve, à la vérité, peu d'hommes d'état. qui passent tranquillement de ce théâtre, où ils occupoient tous les yeux, dans la retraite, où ой les attend l'indifférence et l'oubli les inquiétudes de l'ambition, et les fantômes du pouvoir ne les abandonnent jamais. Vous les avez quelquefois entendus se plaindre des agitations de leur place, pendant les jours de leur faveur. Ne les croyez pas. Dès que leurs mains ne font plus mouvoir les ressorts des empires, le repos devient leur tourment, et l'ennui s'en empare, à l'heure même où le vrai bonheur devrait commencer pour eux.

Les ennemis de M. Necker ont prétendu qu'il n'était point exempt de cette grande maladie qu'éprouve, dit-on, tout ministre tout ministre disgracié. Leurs réflexions malignes redoublent aujourd'hui. M. Necker, s'écrient-ils, détourne trop les yeux vers le monde depuis qu'il s'est caché dans la solitude. Il a sans cesse publié son apologie pour le passé, et ses leçons pour l'avenir. Il a pris tour à tour le langage d'un homme d'état, d'un financier d'un politique, d'un philosophe. Il se fait aujourd'hui docteur chrétien pour trouver un auditoire. Les avenues du sénat et le palais des rois lui sont fermés ; il se réfugie dans les temples; il ne gouverne plus le trésor public, il veut gouverner les consciences; il n'a plus de tribune, il monte dans la chaire.

On entend ces propos de toutes parts, et ces propos sont affligeans pour ceux qui estiment l'auteur de cet ouvrage. Le talent des plus grands

orateurs sacrés, auroit peine à recommander aujourd'hui trois volumes de sermons. M. Necker aura-t-il su vaincre la difficulté ?

Convenons d'abord que, si quelqu'un peut élever sa voix avec succès en faveur de la religion et de la morale, c'est un homme d'état qui, retiré près de son tombeau, dans la solitude, connoît le néant des choses de la vie. Après avoir joué luimême un rôle important sur la scène du monde, il a trouvé sans doute que la religion remplissoit mieux le vide du cœur que la politique et la philosophie. Il a pensé comme Pascal et comme Bossuet; mais a-t-il, comme eux, fait aimer le christianisme? c'est ce qu'il faut examiner.

Le Cours de Morale religieuse est divisé en cinq

sections.

La première traite des bases de la morale 'et de la religion naturelle; la seconde et la troisième parlent des devoirs des hommes; la quatrième examine nos sentimens et nos habitudes, par rapport au bonheur; la cinquième, cherche à concilier la religion naturelle avec la religion révélée. Des sections se subdivisent en discours, et chaque discours est fondé sur un texte tiré de l'écriture.

Ce plan a deux graves inconvéniens. Sa marche méthodique nuit aux mouvemens de l'éloquence; et le style oratoire, prodigué par M. Necker dans ses discours, nuit à la méthode et à la précision du raisonnement. On n'est donc ni entraîné par l'orateur, ni convaincu par le dialecticien.

D'ailleurs, il y a quelque danger, même pour M. Necker, à se jeter dans des formes qui rappellent Bossuet, Bourdaloue, Massillon et le der

nier des grands orateurs chrétiens, l'abbé Poule (1).

Ces défauts de l'ensemble pourroient néanmoins s'excuser, s'ils étoient rachetés par les beautés de détails. Malheureusement, l'auteur de la Morale religieuse n'a pas déployé, dans cet ouvrage, tout le talent qui brille dans quelques autres, et en particulier dans le traité sur le pouvoir exécutif. Mais si M. Necker est resté au-dessous de lui dans un écrit qui. demandoit plus d'enthousiasme et d'éloquence que de discussion et de raisonnement, c'est moins l'auteur qu'il faut en accuser, que le génie particulier de la secte dans laquelle il fut élevé.

La véritable éloquence n'a été connue dans la religion chrétienne, que parmi les catholiques. Les luthériens et les calvinistes ont produit des hommes savans et des esprits subtils, mais jamais de grands orateurs. On peut même observer que la littérature des peuples modernes se rapproche ou s'éloigne du bon goût de la Grèce et de l'Italie ancienne, en raison du plus ou moins de rapports que la religion de ces peuples a gardé avec la religion romaine. Ainsi, les auteurs calvinistes sont en général plus arides que les auteurs .luthériens, et ceux-ci le sont à leur tour plus que les écrivains de l'église anglicane (2). Mais qu'est-ce, pour le

(1) Le critique ne veut, sans doute, parler que des morts, et oublie celui qui de nos jours nous retrace encore tant de beaux traits de cette ancienne éloquence.

(2) NR. Cette observation, qui sera bientôt plus développée, renverse de fond en comble tout le système de madame de Staël, qui accorde plus de sensibilité aux littérateurs du nord de l'Europe. Ce paradoxe contredit à-la-fois l'histoire, l'influence du climat et des religions. Il ne prouve qu'un goût singulier, et qu'un tour d'esprit extraordinaire. Blair lui-même

(

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