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qu'action et mouvement, et avec ce secret ressort qui unit la voix au sentiment, le geste à la pensée.

Les prédicateurs protestans font peu de cas de l'art de la déclamation. L'usage où ils sont en géréral de lire leurs discours et de tenir leur cahier sur un pupitre, a dû nécessairement influer sur le caractère de leur éloquence, et leur composition a dû prendre l'empreinte de la froideur de leur ac tion. De là ce ton de dissertation qui exclut les grands mouvemens et les figures vives et animées; de là cet air de contrainte et d'embarras, incompatible avec l'éloquence forte et passionnée :, car il faut bien remarquer que la prédication de mémoire attache bien plus fortement au sujet et l'orateur et l'auditeur; qu'elle est bien plus analogue à ce ton d'inspiration et à cet abandon prophétique qui convient si bien à un ministre de la parole sacrée, et qui lui donne un si grand ascendant sur ceux qui l'écoutent; que la lecture, en nuisant à l'action, nuit nécessairement à l'effet du discours; qu'alors les yeux, où réside l'action principale, ne sont plus à leur véritable fonction; que le commun des auditeurs regarde l'orateur encore plus qu'il ne l'écoute; que les yeux ont leur manière d'entendre; qu'ils fatiguent moins que l'oreille; et que conséquemment il importe au prédicateur de peindre la parole, et de parler aux yeux.

Telles sont à-peu-près les raisons qui ont pu influer plus ou moins immédiatement sur les talens oratoires dans l'église catholique; on peut ajouter, que l'esprit d'innovation a dû produire, chez les protestans, cet esprit de néologisme qui corrompt à la fois et le style et la pensée ; que

comme leur doctrine iconoclaste a nui essentiellement aux beaux arts, la dureté de leurs dogmes, si voisins de la fatalité (1), n'a pas moins nui à l'éloquence, cette fille du ciel qui ne vit que de sentiment, d'amour et d'espérance; et qu'enfin cet esprit raisonneur, qui est celui de la réforme, et qu'il faut bien se garder de confondre avec l'esprit raisonnable, en cherchant à tout décomposer, à tout analyser, ôte la vie à la parole, et se réduit,

(1) On sait que pour soutenir leurs erreurs touchant la prédestination, les réformateurs du 16e siècle eurent recours à une sorte de fatalisme : système qui entraîne des inconvéniens bien plus graves que celui d'être peu favorable à l'éloquence, ou plutôt qui n'est ennemi de l'éloquence que parce qu'il l'est encore plus de la morale. Cette remarque a été faite par quelques controversistes du 17e siècle; elle se trouve aussi dans le passage suivant qui revient à la pensée du critique, et qui nous a paru très-propre à l'appuyer et à l'expliquer, quoiqu'il ait un but différent, et qu'il soit tiré d'un sermon sur la prédestination : « de là, (de ce fatalisme,dit Bourdaloue) de là vient que les prédicateurs de cette réforme, ou plutôt les ministres de cette hérésie, ne s'attachoient presque jamais à l'exhortation, quand ils étoient obligés d'instruire les peuples. Ils parloient sans cesse à leurs auditeurs de cette profondeur et de cet abyme des jugemens de Dieu, ils leur en inspiroient de, l'horreur; ils leur faisoient adorer cette adorable inégalité, qui fait des uns des vases' de colère et de perdition, et des autres des vases de miséricorde: mais à peine s'engageoient-ils ou à les presser sur les obligations de leur état, ou à les confondre sur le désordre de leurs mours. S'ils le faisoient quelquefois, c'étoit foiblement et avec une secrète répugnance; comme s'ils eussent bien senti, qu'ils se contredisoient eux-mémes; et qu'ils eussent reconnu que ces grands et ces énergiques mouvemens d'indignation, de reproches, de menaces, d'invectives contre les pécheurs, qui sont si propres à la parole de Dieu, et où les prophètes ont fait paroitre toute la force et toute la grace de l'esprit saint qui les animoit que tout cela, dis-je, ne leur convenoit pas. Pourquoi parce que tout cela supposoit une liberté qu'ils avoient entrepris d'abolir, et dont ils ne retenoient que le nom. »

( Carême de Bourdaloue, tom. I, page 394.)

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par sa propre pente aux idées métaphysiques, aux vérités abstraites et générales, ou à celles qui exigent le plus de preuves: ignorant ainsi cette grande règle de l'éloquence parlée, qu'elle est bien moins faite pour prouver que pour entraîner, et que rien dans un discours ne doit faire penser, mais que tout doit y faire agir.

Ainsi la haute et la véritable éloquence semble s'être fixée exclusivement dans l'église romaine; et ce n'est pas à elle une petite gloire, que rien n'égale dans aucune communion chrétienne les orateurs sublimes qu'elle possède dans son sein, et qu'elle soit la seule dépositaire du goût, et des véritables talens, comme elle est seule dépositaire des véritables promesses.

Mais venons au docteur Blair, dont les sermons ont donné lieu à ces réflexions; il est sans contredit, l'orateur le plus éloquent de la chaire anglaise moderne (1), et on ne peut nier qu'il ne mérite à bien des égards la grande réputation qu'il s'est acquise dans sa patrie. Depuis les sermons français de M. Erman, les protestans n'avoient rien eu dans ce genre qu'on pût comparer à ceux de M. Blair. Son éloquence n'est ni forte ni entraînante; mais elle est douce et insinuante: ses raisonnemens sont plus solides, que ses figures ne sont vives et hardies. On n'y trouve jamais cette fausse chaleur qui produit la déclamation, ni cet étalage d'érudition et cet appareil scientifique qui fait les pédans, ni même aucune trace de cette dureté et de cet air empesé et presque sauvage, qui caractérise particulièrement la secte presbytérienne dont il étoit ministre. Son style se res

(1) Il est né à Edimbourg en 1718, et est mort en 1800.

sent de cette modération qui étoit dans ses goûts comme dans ses mœurs; mais il manque de ce courage des passions ardentes qui crée les fortes compositions, comme il enfante les projets vastes et les grandes résolutions. Il indique les vérités plutôt qu'il ne les développe; il se sert trop souvent de métaphores outrées et de compositions un peu trop orientales; il montre bien ce qu'il faut faire, mais il n'en inspire que foiblement le desir. Ses plans sont étroits, et ses sujets trop recherchés. Ses pensées, subtiles et quelquefois alambiquées, manquent de nerf et d'embonpoint. Enfin, il sait assez bien peindre les mouvemens du cœur humain, mais il ne sait point y enfoncer le trait.

Nous pourrons par un seul exemple faire remarquer ce dernier défaut, en comparant un passage de son sermon sur les devoirs de la vieillesse, avec un autre du sermon de Bossuet, sur la mort, et faire ressortir par là. la différence qui sépare les deux orateurs rendant le même fond d'idées et la même morale:

<«< Quel homine sage, dit Blair, déjà courbé >> sous le poids des ans, sollicitera le ciel d'ajou» ter au nombre de nos jours, s'il ne doit les ob>> tenir que pour les voir s'écouler dans les infir» mités les plus cruelles? Le verra-t-on desirer » de continuer à languir sur le bord de la tombe, >> après avoir vu briser tous les liens qui l'atta» choient à la vie? Se plaira-t-il à vivre solitaire, » au milieu d'une génération nouvelle, à laquelle >> il semble entièrement étranger? La providence » et la nature nous commandent de nous réunir » à nos pères. La raison, en nous rappelant ceux » qui nous ont précédés, nous avertit que nous » devons céder la place à ceux qui doivent nous

» suivre : elle nous dit que leur tour est venu de » remplir la scène du monde de leurs peines, de » leurs plaisirs, de leurs vertus, de leurs crimes: » elle nous assure qu'ils en seront arrachés comme »> nous, et qu'à leur tour ils augmenteront le >> nombre de tant de générations oubliées, que la » terre a vu s'agiter à sa surface, et dont il ne >> reste plus qu'une légère poussière qui se confond >> avec celle des champs. »

Ecoutons Bossuet: «Qu'est-ce que ma substance, » ô grand Dieu ? J'entre dans la vie pour en sortir >> bientôt : je viens me montrer comme les autres ; » après il faudra disparoitre. Tout nous appelle à » la mort. La nature, comme si elle étoit presque >> envieuse du bien qu'elle nous a fait, nous déclare

souvent et nous fait signifier qu'elle ne peut pas » nous laisser long-temps ce peu de matière qu'elle » nous prête..... Les enfans qui naissent, à me>> sure qu'ils croissent et qu'ils s'avançent, sem» blent nous pousser de l'épaule, et nous, dire : >> Retirez-vous, c'est maintenant notre tour. Ainsi, >> comme nous en voyons passer d'autres devant » nous, d'autres nous verront passer, qui doivent » à leurs successeurs le même spectacle. O Dieu ! > encore une fois, qu'est-ce que de nous ? Si je jette » la vue devant moi, quel espace infini où je ne » suis pas ! si je la retourne en arrière, quelle suite » effroyable où je ne suis plus ! Et que j'occupe >> peu de place dans cet aby me immense du temps! » Je ne suis rien; un si petit intervalle n'est pas » capable de me distinguer du néant. On ne m'a >> envoyé que pour faire nombre; encore n'avoit>>on que faire de moi, et la pièce n'en auroit » pas été moins jouée, quand je serois demeuré » derrière le théâtre..... Il n'y a qu'un moment

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