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ces commotions qui, tôt ou tard, finissent par renverser de fond en comble les empires.

C'étoit encore la marote de Voltaire, de nous vanter sans cesse les discussions pacifiques des philosophes. Il nous répète dans vingt volumes que les philosophes n'ont jamais fait couler le sang, qu'ils n'ont jamais troublé le monde pour leurs opinions; et la preuve en est évidente, c'est que la philosophie n'est qu'amour de la paix et de la sagesse: ce qui n'est qu'une puérilité indigne d'un aussi bel esprit; ce qui suppose autant de mauvaise foi que de mal-adresse. Car, je voudrois bien savoir en quoi et comment les philosophes ont plus de raison d'être pacifiques que les théologiens. Estce que le philosophe n'est pas la vanité par essence? et qui ne sait que la vanité est la plus terrible de toutes les passions, et le premier élément du fanatisme? Est-ce que les docteurs gradués dans les académies ont plus de motifs de modération, que les docteurs gradués dans les écoles? Est-ce que tous ces beaux esprits, tous ces génies académiques, qui recevoient un brevet d'immortalité, ne se jalousoient pas, ne se haïssoient pas, ne se déchiroient pas, et ne se supplantoient pas comme s'ils eussent été de foibles hommes semblables à tous les autres? Est-ce que parmi nous, la gent la plus tracassière et la plus turbulente n'a pas été la classe des gens de lettres philosophes? Qui n'a pas connu leurs menées pour se faire des partisans, et leurs intrigues pour le succès de la grande œuvre? « Les philosophes, dit J. J. Rousseau, pour » conserver une certaine gravité, se sont donné, en >>se faisant chefs de parti, des milliers de petits » écoliers qu'ils ont initiés aux secrets de la secte, >> et dont ils ont fait autant d'émissaires et d'o>> pérateurs de sourdes iniquités; et répandant par

» seux les noirceurs qu'ils inventoient, .... ils » étendoient ainsi leur cruelle influence dans tous » les rangs, sans excepter les plus élevés. Pour » s'attacher inviolablement leurs créatures, les >> chefs ont commencé par les employer à mal faire, » comme Catilina fit boire à ses conjurés le sang » d'un homme, sûr que par ce mal où il les avoit » fait tremper, il les tenoit liés pour le reste de » leur vie.». (Rousseau, juge de lui-même.) Cette peinture des philosophes, que Jean-Jacques devoit bien connoitre, puisqu'il étoit du métier, convient plus particulièrement à Voltaire, leur généralissime. Qui jamais montra plus de zèle pour ses opinions, et d'esprit de prosélytisme? Ne forma-t-il pas dans les lettres une vraie propagande, une véritable secte, et un système d'enrôlement qui rendit la philosophie une puissance organisée, qui lui rallia tous les jeunes libertins, qui donna pour troupes légères tous les jeunes auteurs enivrés de ses éloges, et concourut à enfanter ces rassemblemens séditieux qui depuis ont été convertis en clubs révolutionnaires? N'avoit-il pas ses espions et ses familiers comme l'inquisition? Enfin, ne poursuivit-il pas avec fureur, autant qu'il dirigea avec une ruse savante, le projet de détruire le christianisme, ou pour parler son langage connu, d'écraser l'infame? Et que lui manquoit-il donc pour réaliser son projet ? que d'avoir des soldats à son commandement. Aussi disoit-il en confidence à d'Alembert: Si j'avois cent mille hommes, je sais bien ce que je ferois. Et qu'auroit-il donc fait ? Qui pourroit en douter? Il auroit fait pendre Nonotte, rouer Coge Pecus, brûler vif La Beaumelle et Fréron, et par pure commisération, raser de fond en comble la Sori onne, pour avoir eu l'audace de Tome V

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censurer ses livres. Et qu'auroit-il fait encore? Il auroit écrasé l'infame, non plus avec des sarcasmes, non plus avec des mensonges, non plus avec ces turpitudes, cyniques qui ont déshonoré sa veillesse, mais à coups de baïonneites, et en poussant l'épée dans les reins à tout réfractaire qui n'auroit pas voulu baiser la pantoufle du grand Lama siégeant au château des Délices. D'où il faut conclure que quand les philosophes n'ont pas produit des querelles sanglantes, c'est qu'ils ne l'ont pas pú; c'est qu'ils les ont suscitées dès qu'ils l'ont pu; c'est qu'ils les susciteront encore, quand ils le pourront; c'est que ce n'est donc plus de l'emportement et du fanatisme religieux dont il faut se garder aujourd'hui, meis du despotisme des sectes anti-religieuses; mais de l'esprit d'audace et de révolte attaché à tout esprit systématique et raisonneur; mais de l'orgueil irascible, et de l'amour propre exalté de ces novateurs assez fous pour se croire sans préjugés, et qui regardent en pitié tout ce qu'ils croient des préjugés; mais, pour tout dire enfin, du fanatisme des faux sages, toujours rampans quand ils sont foibles, et affreux quand ils sont puissans.

Ainsi M. le professeur de l'Athénée a été au moins très-imprudent de nous parler des querelles presque toujours sanglantes sur des hérésies › d'abord parce que ces querelles n'ont presque jamais été sanglantes; ensuite, parce que celles qui ont pu l'être, étoient l'ouvrage des princes protecteurs de l'hérésie, tels que le grand Julien, zélé -partisant des donatistes et des ariens, uniquement en haine de l'Eglise catholique; et enfin, parce qu'en parlant de querelles sanglantes, il reveille de fâcheux souvenirs pour la philosophie moderne,

et provoque par là les tristes représailles dont on peut se servir contre elle. Philosophes, nous vous proposons un marché d'autant plus généreux et plus honnête à votre égard, que vous y avez tout à gagner. Ne parlez plus des querelles sanglantes de nos pères, si vous ne voulez pas que nous parlions de celles de leurs enfans. Vous voulez qu'on oublie, et nous aussi. Vous voulez qu'on pardonne, et nous encore plus, puisque le pardon est pour nous un précepte, et que pour vous il n'est pas même un conseil. Mais soyez au moins prudens, si vous ne voulez pas être justes. N'affectez pas sans cesse de relever les malheurs dont la religion a été le prétexte, et que ses maximes comdamnent expressément, si vous ne voulez pas que nous fassions justice de ceux dont la philosophie a été la cause, et que ses principes justifient formellement; et n'oubliez jamais que vos livres bien expliqués ont fait plus couler de sang pendant cinq années de révolution, que l'Evangile mal en tendu n'en a fait verser pendant cinq siècles d'ignorance et de barbarie.....

Tout enchanté de la superbe expérience que nous venons de faire, tout ébahi des progrès de nos lumières et de ceux de notre morale, M. Chénier nous en promet de plus heureux encore, et il s'écrie en finissant, avec un ton d'illuminé et de prophète : << N'en doutons pas, le siècle qui com» mence sera digne des siècles qui l'ont précédé. » Les idées saines prévaudront parmi nous contre >> les clameurs fanatiques. La philosophie ne sera >> pas contrainte de se réfugier dans les cons>>ciences. >>

Voilà un fort beau compliment que fait ici M. Chénier aux Velches nouveaux, traités si dure

ment par lui dans sa dernière épitre à Voltaire, et nous ne voyons pas trop comment ces nouveaux Velches se trouvent dignes tout à coup d'une si haute destinée. Mais de quels siècles, parmi ceux qui nous ont précédés, sera donc digne le siècle qui commence ? Ce n'est pas des siècles barbares, rouillés par la théologie, et où l'esprit humain faisoit platement ses fonctions, sans se douter com→ ment il s'y prenoit pour former une idée. Ce n'est point du siècle de Louis XIV, qui étoit le règne de la décence, de la gravité, du tact exquis des convenances, du respect de l'antiquité, de l'amour de la religion et de la piété,toutes choses qui n'ont rien de commun avec M. Chénier, et dont son Athénée ne se soucie pas davantage. Ce n'est donc que du siècle dix-huitième dont il veut nous parler, et dont le siècle qui commence sera digne; et alors c'est évidemment nous promettre de revenir au mauvais goût, à l'indécence, à l'engouement, à la frivolité, à la folie des innovations, et au mépris de toutes les règles dans les arts, et de tous les principes dans la morale. Vraiment il n'y a pas là de quoi montrer tant de suffisance, et se donner un air d'oracle.

Que veut-il dire encore par ces idées saines qui doivent prévaloir contre les clameurs fanatiques? Sont-ce les idées de la liberté, de l'égalité, de la souveraineté du peuple, pour lesquelles a tant combattu M. le professeur, et contre lesquelles les fanatiques se sont tant récriés? Les idées du juste et de l'injuste seront-elles encorè confondues? Faudrat-il donc encore recommencer à nouveau frais, et reprendre en sous-œuvre notre éducation civique, à nos risques et périls ? Sont-ce encore les temples de la raison qui doivent reparoître ? Verrons-nous encore des apothéoses de brigands? et quelque poète

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