Imágenes de página
PDF
ePub

fait de si beaux raisonnemens ! Je trouve qu'on a beaucoup trop dit et trop fait (1); on ne peut pas jouer de plus mauvais tour à ceux qui prétendent à la vogue, que de ne point parler d'eux : c'est toujours leur rendre service que de les rendre ridicules.

Un docteur grec, qui ne tâtoit point les crânes, mais qui inspectoit les physionomies, ayant un jour considéré attentivement la figure de Socrate, décida, d'après l'ensemble de ses traits, qu'il devroit être impudent, ivrogne et débauché. Il ne falloit pas être grand physionomiste pour porter un pareil pronostic; car Socrate avoit l'air d'un satire. On assure que Socrate avoua lui-même que le docteur avoit deviné juste: qu'il étoit réellement enclin à ces vices, mais qu'il avoit corrigé ce penchant par l'étude de la philosophie. Jamais homme, en effet, ne fut plus tempérant, plus sage, plus modeste que Socrate.

De tout temps on a vu des jongleurs qui se piquoient de connoître les caractères et les inclinations par l'inspection du visage et de quelques parties du corps: je crois qu'aucun ne s'étoit encore avisé de choisir le crâne pour base de sa doctrine. Les diseurs de bonne aventure me paroissent bien préférables aux métoscopes (2), aux crânologues: les premiers se vantent de vous apprendre ce que vous ne savez pas ; les seconds ne peuvent vous apprendre que ce que vous savez beaucoup mieux qu'eux. Je ne suis point surpris

(1) Voyez ci-après, page 303, un note relative à la crânologie; nous l'avons placée, à cause de sa longueur, à la fin de cette deuxième partie.

(2) Inspecteurs du front.

qu'une femme se fasse tirer les cartes : l'imagination s'élance naturellement dans l'avenir; mais je ne conçois pas qu'une femme se fasse tâter le crâne, pour savoir si elle est sensuelle, spirituelle, infidelle, volage, etc. car tous les charlatans de l'univers ne sauroit jamais cela aussi bien qu'elle.

Horace parle de deux enfans, dont l'un avoit soin de cacher et d'enfouir les objets de ses amusemens puérils; l'autre, au contraire, les jetoit çà et là, et les donnoit au premier venu le père, sans avoir besoin de tâter leurs crânes, jugea trèsbien que l'un seroit avare, et l'autre dissipateur. L'histoire nous parle d'un autre enfant, qui prenoit plaisir à crever les yeux des oiseaux avec une aiguille: il fut dénoncé à l'aréopage, qui le condamna à mort sentence beaucoup trop sévère pour un tribunal aussi sage. Cet instinct de la cruauté pouvoit être étouffé par une bonne éducation. Presque tous les enfans, n'ayant point encore le sentiment développé, sont cruels envers les animaux, et même les uns à l'égard des autres : cet áge est sans pitié, a dit La Fontaine. En général, ce sont les actions des enfans et celles des hommes, qui décèlent leur caractère ; on ne le connoît point à leurs discours, et bien moins encore à leur crânes. Cette inspection est donc un moyen illusoire, chimérique; et toutes ces prétendues bosses des ver tus et des vices ne sont faites que pour ceux qui veulent bien donner dans la bosse.

J'entends dire qu'une infinité de gens y ont donné l'axiome du roi Salomon se confirme tous les jours stultorum infinitus est numerus, le nombre de sots est infini. Ce n'est pas au docteur allemand qu'il faut s'en prendre; il entend son

métier et sait bien son affaire. Il a lu dans le Méchant, de Gresset :

Les sots sont ici bas pour nos menus plaisirs ;

et, ajoutant au texte, il s'est dit à lui-même : Il sont aussi dans le monde pour notre profit; les sots sont le patrimoine des gens d'esprit. L'anatomiste du crâne a fait le Thomas Diafoirus ; il a proposé aux belles dames une dissection, comme les amans proposent à leurs maîtresses le bal ou la comédie: les belles dames n'ont point rejeté cette burlesque invitation. Les femmes savantes d'autrefois se bornoient à la physique, à la métaphysique, à la morale (1); les anciennes précieuses se contentoient de

(1) On peut faire observer ici combien est grande la mauvaise foi de ceux qui nient la perfection progressive de l'esprit humain. Dans le 17e siècle des femmes, dont plusieurs n'étoient pas confinées dans des couvens, passoient les heures entières à considérer des crânes; elle n'y voyoient que des annonces de mort prochaine, des preuves de la fragilité de la vie, et tout le fruit qu'elles retiroient de cette étude, se réduisoit à règler leur cœur à préférer les devoirs au plaisir et même, dans les cas

difficiles, la vertu au bonheur.

Mais dans le 19e siècle, cette ignorante contemplation des crânes, qui n'avoit produit aucune découverte a été abandonnée; les crânes ont passé des cloîtres dans les boudoirs, et c'est alors que la crânologie est devenue vraiment philosophique. Les dames y ont appris qu'il est des vertus impossibles, des passions irrésistibles, des penchans invincibles, comme le leur répétoient depuis des siècles les poètes érotiques. Les cránes ont donc cessé d'être dégoûtans, ils n'ont plus fait naître ces réflexions surannécs qui, aujourd'hui, pourroient paroître inquiétantes, et on a laissé dire ces hommes à vues étroites qui s'obstinent à répéter en parlant de la doctrine du docteur Gall: « ce sont de singuliers cours > que ceux où de jolies femmes n'ont sous les yeux que descrânes. >> Encore s'ils leur servoient, comme à des Carmélites, à mé > diter sur la mort, elles en tireroient du fruit; mais ils ne > servent qu'à leur inculquer le matérialisme, et c'est appren adre bien tristement une bien triste doctrine. »

faire l'anatomie du cœur, du sentiment et des passions les nôtres ont montré beaucoup de goût pour l'anatomie du cerveau; ce n'est pas le moyen de nous faire perdre la tête.

Cette science, qui va chercher dans les cadavres des morts les moyens de soulager les corps vivans, est la dernière qui convienne aux femmes, pour peu qu'il leur reste de délicatesse. L'anatomie est fort utile; elle est encore plus dégoûtante: les femmes doivent la laisser aux élèves de Saint-Côme et aux suppôts de la Faculté.

Quel est donc le fruit du perfectionnement des sciences? A quoi aboutissent ces grands progrès de l'esprit humain? Est-ce à augmenter le nombre des dupes; est-ce à multiplier la famille des badauds? Mesmer, avant la révolution, avoit entraîné toute la bonne compagnie à ses baquets magnétiques : l'aimant, qui n'attire que le fer, avoit, entre ses mains savantes, attiré notre or. Cagliostro nous avoit initiés aux mystères égyptiens : il avoit fait souper les jolies femmes avec Antoine et César, et les petits-maîtres avec Cléopâtre. L'œil du paysan Bleton avoit percé les entrailles de la terre ; il avoit découvert des sources d'eau vive dans les pays les plus arides, et dans la crédulité publique, une source bien plus intarisable. Le somnabulisme avoit fait dormir, les yeux ouverts, les gens les plus éveillés. Il n'y avoit sorte de jonglerie, de superstition, de fourberie, qui n'eût épuisé la niaiserie des bons habitans de Paris, même au sein des lumières. Les charlatans politiques étoient ensuite venus, et, peu contens de la confiance des sots, ils l'avoient commandée d'une manière terrible aux gens d'esprit. Il semble que ce devoit être là le non plus ultrà de la badauderie; et voilà qu'un Tome V

19

[ocr errors]

docteur arrive d'Allemagne pour nous mystifier encore, et nous renverser la tête avec son jargon sur les crânes!

N'avons-nous donc pas assez souffert de la fausse application de la métaphysique et de la géométrie à la politique et à la morale ? Ne devions-nous pas être suffisamment prémunis par notre expérience contre ces abus du raisonnement contre ces alliances bizarres de sciences qui se repoussent et se nuisent? Et cependant un étranger vient encore de Berlin nous narguer et nous consulter, en mêlant la métaphysique et la morale à l'anatomie, en faisant d'une science spirituelle, et d'une science purement physique et matérielle, une mixtion détestable et nuisible!

Distinguons donc dans ce docteur l'anatomiste d'avec le métaphysicien et le moraliste ; laissons juger à nos médecins l'anatomiste : c'est à eux à décider si l'Allemand a découvert dans le cerveau humain ce que Portal et autres n'y avoient pas encore vu. Je serois affligé, je l'avoue, pour l'honneur de la classe des sciences physiques, qu'un étranger se trouvât plus habile anatomiste que tous nos docteurs, et fût venu leur faire la leçon (1).

(1) Ce qui doit rassurer le critique à cet égard, c'est le sileuco même des savans, soit français, soit étrangers, qui auroient proclamé, depuis long-temps, les découvertes du docteur, s'il en avoit fait dans le cerveau; mais si ce docteur n'éclipse pas_nos anatomistes par sés connoissances, on doit convenir avec un de ses critiques (M. H.) qui les surpasse en habileté, qu'il a de l'esprit par-dessus la tête, et qu'il en a donné des preuves non-équivoques en mettant dans son systême assez de science pour occuper

les gens instruits, assez d'audace pour plaire aux esprits forts, > et assez de sottises, pour que la multitude crùt y voir du mer> veilleux, et fùt enchantée d'y entendre quelque chose. »

Au surplus, on peut reconnoître ou contester les connoissances mé. dicales du docteur, sans que ocla tire à conséquence pour l'art qu'il

« AnteriorContinuar »