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visites, à lire des rapsodies et des romans, à suivre les spectacles et les bals avec quelques-unes de ses pensionnaires qu'elle y conduit tour à tour. Par-tout ce sont des chefs de maison qui ne voient dans l'instruction qu'ils vendent, qu'un objet de spéculation et de commerce, et des professeurs impatiens de voir finir les corvées qui les font vivre, pour aller reprendre une partie de plaisir qu'ils ont quittée à regret, ou chercher à la comédie, un sujet de conversation pour le lendemain.

Le livre de Fénélon a été réimprimé d'autant plus à propos, que l'étude de la morale et de la religion est plus négligée que jamais, depuis quelques années, et qu'il s'est formé, par conséquent, dans l'éducation, un vide immense qu'on ne sauroit trop se hâter de remplir, autant que la chose est possible, par tous les autres moyens qui peuvent s'offrir. C'est sur-tout dans l'éducation des filles de la moyenne bourgeoisie et du peuple, que ce vide est sensible et paroît difficile à combler; car les autres du moins ramassant tant bien que mal, dans leurs pensions et au sein de leurs familles, quelques-uns de ces principes qui aident au maintien de l'ordre, et au moyen desquels on parvient à distinguer ce qui est juste de ce qui est injuste; ce qui est décent de ce qui est scandaleux; ce qui est conforme aux idées courantes, de ce que l'usage et le respect humain n'autorisent pas encore; mais ces pauvres filles que leur situation jette, dès leur enfance, au milieu des périls et de la corruption, sans guides,sans surveillance, sans conseils et sans principes, que deviennent-elles depuis qu'on les a dispensées de la seule étude qui se prêtât à leur position et à

leurs facultés; depuis que l'église n'est plus pour elles une école d'éducation; depuis que la religion ne leur dicte plus leurs devoirs avec ses préceptes, et ne vient plus au secours de leurs

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Les philosophes d'un certain ordre, qui affectent de n'avoir pas besoin de religion, donnent du moins une raison de la confiance qu'ils mettent dans la force de leur esprit ; ils disent que les prin cipes d'une éducation solide équivalent, en eux, aux préceptes de la religion, et que celle-ci ne leur dicte pas mieux leurs devoirs que ne le fait leur propre raison. Comme la morale de la religion est fondée sur la pratique du bien; comme elle est parfaitement d'accord avec la raison, pour ne prescrire que des actions louables et honnètes, des sentimens vertueux, en un mot, des choses. conformes à l'idée que la conscience nous donne du bien et du mal, il s'ensuit que cette classe d'hommes, si elle dit vrai, pratique presque la religion comme le bourgeois gentilhomme fait de la prose. En vérité, quand on se conduit aussi bien qu'ils prétendent se conduire ; quand on a, comme eux, une idée nette de ses devoirs, et qu'on les remplit, ce n'est plus guère la peine d'afficher l'irréligion; l'on n'a plus guère d'intérêt à se déclarer l'ennemi des principes qui sont la garantie des mœurs du peuple et du repos des sociétés; car la religion n'est pas beaucoup plus exigeante que la raison des philosophes; mais, du reste, ce n'est point ici le cas de disputer avec eux : ce seroit précisément en admettant que leur raison les sert si bien, et qu'une éducation solide les dispense d'avoir recours à la religion, qu'on seroit le plus fondé à leur demander ce qui en

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tiendra lieu à cette portion si nombreuse d'individus qui n'a ni le temps de cultiver sa raison, ni les moyens de recevoir une éducation solide. Aussi le déréglement de moeurs, l'oubli de toute décence, tous les désordres qui peuvent naître d'une espèce d'émancipation générale, et d'une licence absolue, n'ont-ils jamais été portés plus loin qu'aujourd'hui, parmi les filles du peuple. Non-seulement elles ne sont plus contenues par le frein d'une morale fixe, mais elle ont encore secoué le joug de l'autorité paternelle et des préjugés qui, autrefois en imposoient à leur sexe. Il s'est répandu dans la génération actuelle, je ne sais quelle idée, qui porte la jeunesse à croire qu'elle est beaucoup plus éclairée, plus habile et plus sûre de son fait qu'on ne l'étoit anciennement. De là, cette licence, cette insubordination, ce mépris, et cette espèce d'aversion qu'elle montre pour les conseils et les leçons qui lui viennent de la part de ceux que la nature, leur âge, ou leur expérience semblent lui donner pour supérieurs et pour guides: elle ne voit, en eux, que des radoteurs importuns, des pédans ridicules, entêtés de leurs vieilles routines, et qu'elle plaint de n'être pas nés dans un temps où la raison est si précoce et où la jeunesse se gouverne toute seule, comme par inspiration et par enchan

tement.

Il faut avouer cependant que, chez un grand nombre de filles, les effets de cette raison précoce et de ces inspirations, deviennent tout-à-fait inquiétans. Parmi celles dont nous parlons ici, la licence des moeurs est à son comble. Dans les provinces, comme dans la capitale, les tribunaux retentissent fréquemment du récit de leurs vices.

Ces crimes, autrefois rares et presque inconnus à leur sexe, sont devenus communs. Le goût de la dissipation et des divertissemens dangereux s'est emparé d'elles à un tel point, que, ni l'autorité des parens, ni la considération des suites qu'il entraine, n'y peuvent mettre obstacle. Le luxe est un autre fléau qui, parmi les filles de la classe commune, ravage le peu de moeurs qui échappe aux autres périls: ce n'est plus, chez elles, un simple goût, un penchant ordinaire; c'est un besoin impérieux, une fureur à laquelle tout est sacrifié. Il y en a bien peu qui ne puissent dire comme Bias: Je porte tout avec moi.

Parmi les filles de la bonne bourgeoisie, comme parmi celles du menu peuple, on remarque un esprit d'émancipation qui tend visiblement à les affranchir de toute autorité. Quand il ne résulte pas de cette espèce de révolte, de cette liberté conquise, pour ainsi dire à force ouverte, une inconduite prononcée et des désordres très-graves, il en résulte souvent, du moins, des mariages qui font le scandale du public et le désespoir des familles.

Chaque lecteur ajoute, de lui-même, à ce tableau, des traits particuliers qui lui sont connus; et comme nous, il ne voit de remède à ce débordement de la licence que dans les institutions qui peuvent tendre à raffermir l'autorité paternelle et dans le retour du peuple (1), vers cette même morale et cette même religion qu'il a prise en dégoût, sans faire attention qu'il n'avoit pas d'autres moyens d'éducation à offrir à ses enfans, et particulièrement à ses filles. B... e.

(1) Du peuple, et par conséquent de ceux qui sont au-dessus du peuple, et dont les exemples deviennent la règle vivante ou plutôt l'unique règle du peuple.

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X X X V I.

Sur un Livre intitulé: L'Homme de bonne compagnie, ou l'Art de plaire dans la société ; ouvrage utile aux jeunes gens de l'un et de l'autre sexe, et convenable aussi aux pères et aux mères; par l'auteur du Manuel de la bonne compagnie.

VOILA

OILA un auteur qui s'occupe beaucoup de la bonne compagnie : tantôt il en compose le Manuel, tantôt il forme l'homme qui doit y plaire; il donne pour y réussir, des avis aux jeunes gens de l'un et l'autre sexe, et même aux pères et aux mères qui ne sont pas assez formés, et qui ne connoissent pas encore toutes les délicatesses du bon ton et du beau monde. Je l'avouerai cependant, tant d'ouvrages sur ce seul objet, qnelqu'important qu'il soit, loin de m'inspirer de la confiance, forment au contraire, dans mon esprit, un préjugé assez défavorable contre l'auteur. Voici en effet un petit dilemme que je lui propose, et dont je ne vois pas trop la solution : Si le Manuel de la bonne compa gnie est un bon livre, s'il remplit son but, ne doitil pas former l'homme de bonne compagnie, ne doit-il pas enseigner l'art de plaire dans la société, et rendre par conséquent inutile un second ouvrage sur le même objet? car, enfin, les préceptes géné– raux, les seuls qu'on puisse donner sur ce grand art, ne sont pas inépuisables, et peuvent très-bien être renfermés dans un volume. Si, au contraire

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