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Romains étoient-ils devenus les esclaves de cette religion nouvelle, si ennemie des passions et des sens, et dont la sublimité n'avoit pas même été soupconnée par leurs sages les plus vantés ? Comment avoient-ils pu changer ainsi leur culte, leurs mœurs, leurs habitudes, leurs préjugés les plus enracinés, au point de briser ces statues qu'ils adoroient, et de renverser ces mêmes temples où tous leurs vices étoient divinisés ? Un tel changement est-il dans la nature? N'y a-t-il pas là quelque chose de plus qu'humain ? et peut-on s'empêcher d'admirer, dans cette inouie révolution, la force de la vérité à laquelle tout a cédé, et le pouvoir de cet Evangile divin qui a vaincu jusqu'aux Césars, et ne doit qu'à lui seul sa miraculense existence ?

M. Chénier se moque visiblement de ses lecteurs, quand il nous parle de ces pieux adulateurs qui obéissent aveuglément aux ordres du souverain, qui pensent suivant que Théodose leur ordonne de penser, et détruisent leurs temples et conspuent leurs dieux au signal du prince. Il ne s'en moque pas moins quand il nous dit que c'est de Théodose que commence l'institution des inquisiteurs, et que la philosophie resta muette devant la dialectique des inquisiteurs. Comme si les vrais et les premiers inquisiteurs n'étoient pas nés sous les empereurs philosophes et persécuteurs des chrétiens : comme si les premiers inquisiteurs n'étoient pas les tyrans qui faisoient les martyrs et les bourreaux qui étoient à leurs ordres: comme si Théodose avoit fait quelques martyrs parmi les philosophes: comme s'il avoit rendu quelque décret contre la liberté de la presse, ainsi qu'un certain Dramaturge, devenu souverain et inquisiteur, en a fait rendre, dans les années de la raison comme s'il n'étoit pas tout simple que la

philosophie restat muette, alors que les imposteurs ne parloient plus, que le règne des fables étoit passé; et qu'elle prît le parti de se taire, lorsque personne ne vouloit plus l'écouter. Certes, nous ne savons pas quelle étoit la dialectique des inquisiteurs, mais nous savons que si M. le professeur n'a pas d'autre dialectique à apprendre à ceux qui paient ses leçons, il vole à coup sûr leur argent.

M. Chénier peut regretter tant qu'il voudra l'autel de la Victoire, et s'attendrir sur la destruction. des temples consacrés par des héros: il peut aussi pleurer, s'il le juge à propos, sur les débris de l'autel de la Peur, de l'autel de la Fièvre, de l'autel de Vénus, et autres autels ou ridicules ou infâmes dont étoit surchargé l'univers, alors que la philosophie ne restoit pas muette. Ces regrets sont dignes en effet du sacristain et du portier-du Panthéon françois, qui en faisoit les honneurs avec tant de grace', et dans lequel il eût sans doute figuré un jour parmi les dieux ou les démons enfantés par la liberté, si ce temple n'eût été abattu, ou plutôt relevé et consacré par un héros qui l'a rendu à sa sainte et auguste destination. Mais nous n'en dirons pas moins: Gloire et honneur à Constantin, qui le premier abattit l'autel de la Victoire, et avec lui tous les autres temples consacrés aux superstitions les plus monstrueuses et aux mystères les plns impurs ! et honte et opprobre à Julien l'apostat qui le releva, avec tous les autres, et par là redonna la vie à tous ces dieux brigands, assassins ou incestueux, déshonneur éternel de la raison humaine! Nous n'en dirons pas moins Gloire et honneur à Théodose qui le renversa pour toujours, et qui par là mérita d'être regardé pour toujours comme un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité, ainsi qu'il est un des

princes les plus illustres qui aient honoré le trône! et mépris et risée au professeur de littérature, qui tandis qu'il appelle grand cet ignoble et petit Julien, dont l'esprit étoit de travers comme le corps; philosophe et magicien, philosophe et persécuteur, et qui d'acolythe dans l'Eglise chrétienne, voulut devenir grand pontife des augures et des devins, ne craint pas de déprécier ce Constantin véritablement grand, et par ses conquêtes, et par ses qualités personnelles, et par sa législation, et par l'empire qu'il prit sur son siècle, et par la douceur de ses institutions, et de la bouche duquel est sortie cette belle parole qui devroit lui concilier l'amour de tous les philantropes, que sous la loi de grace, il ne doit point y avoir d'esclaves.

Des querelles presque toujours sanglantes sur des hérésies, succédèrent aux paisibles discussions de l'académie et du portique. On reconnoît ici l'esprit et le langage du patriarche de Ferney. C'est encore là un rabachage que M. Chénier a emprunté de son maitre, qui ne rêvoit que massacres, assassinats, et guerres sanglantes, le tout sur des hérésies: rabachage qui corrompoit jusqu'à son goût, en rembrunissant tous ses pinceaux, et ramenant sans cesse les mêmes tournures et les mêmes déclamations, et en donnant à ses tableaux une monotonie fatigante. Quel est en effet le lecteur qui, s'il n'est possédé du même fanatisme, n'éprouve un vrai dégoût, en n'entendant jamais parler que des bûchers de l'inquisition, des horreurs de la S. Barthelemi, et autres tragédies vraies ou fausses, rappelées par lui à tout propos et hors de propos? Si vous l'écoutez, il vous dira que la théologie a procuré à l'Europe cinquante millions de massacres, Dans un autre endroit, il rabattra un peu de son calcul, et mêlant, suivant

son usage, les plaisanteries aux objets les plus sérieux, ce vieux goguenard vous assure, que le tout calculé ne montera qu'à la somme de neuf millions soixante-dix-huit mille huit cents personnes, ои égorgées ou noyées, ou brûlées, ou rouées, ou pendues, pour l'amour de Dieu. Et c'est ainsi que pour l'amour de l'humanité il mentoit à lui-même, en faisant des calculs auxquels il ne croyoit pas, et que pour l'amour de sa passion il déshonoroit son jugement, en confondant visiblement les crimes des hommes avec les crimes de la religion, et en mettant sur le compte des hérésies et de la théologie, les erreurs de l'ambition et de la politique. Mais quelle horrible délectatiou trouvoit-il donc dans ces tristes peintures! Et s'il y a sur la terre un fanatisme bien avéré, n'est-ce donc pas la frénésie de cet homme, qui baffouaut imperturbablement la vérité comme la vraisemblance, et ne voulant que satisfaire sa haine ou sa rage contre le christianisme, passe toute sa vie à supposer des malheurs qui n'ont point existé, à exagérer ceux qui n'ont que trop existé, et à nous alarmer sur ceux qui ne peuvent plus exister?

L'affectation de parler des querelles sanglantes sur les hérésies, entrainoit nécessairement celle de leur opposer les discussions pacifiques de l'académie et du portique; comme si la modération et l'amour de la paix étoient l'apanage exclusif de la philosophie. Mais il y a autant d'injustice et dé fanatisme dans cette dernière prétention que dans la première; car si les philosophes de l'académie et du portique ont vécu en paix, ce qui peut être une question, c'est qu'ils n'étoient pas assez puissans pour se faire la guerre ; c'est que le gouvernement ne leur donnoit aucune influence; c'est qu'on fait pas la guerre pour des choses dont se mo

ne se

quent les deux partis, ou qu'au moins tous les partis regardent comme indifférentes. Et qui ne sait que tous ces disputeurs connus sous le nom de sophistes ne faisoient de toutes leurs discusions pacifiques qu'un vain babil sans conséquence, qu'un frivole amusement, misérable pâture de leur curiosité? Belle merveille, qu'il n'y eût pas de querelles de dogmes, là où il n'y a pas de dogmes, ni de querelles de religion, là où il n'y a pas de religion! Mais qu'en conclure en faveur de tous ces bavards de l'académie et du portique, sinon que chacun d'eux laissoit sa philosophie pour ce qu'elle étoit, ses futiles systèmes pour ce qu'ils valoient, et qu'eux-mêmes y attachoient trop peu d'importance pour s'exposer à en être le martyrs ? D'ailleurs, si ces philosophes n'ont pas troublé le monde, ils l'ont corrompu; s'ils ne l'ont pas troublé pour des hérésies, ils l'ont égaré par des paradoxes et par des erreurs monstrueuses: en vérité, il n'y a pas tant là de quoi se vanter.

Et c'est aussi ce qu'on peut dire aux athées et aux incrédules de nos jours, qui viennent encore nous parler de leurs discussions pacifiques: on ne les verra point se battre et se passionner pour le néant, doctrine affreuse et solitaire, qui cherche bien plus à se cacher qu'à se produire; mais ils conspirent sourdement contre les principes reçus; mais ils sapent à petit bruit les fondemens de l'ordre social; mais ils mettent le trouble dans les familles, en faisant par leur livres les mauvais fils, les mauvais pères, les mauvais époux; mais leur esprit inquiet et raisonneur est encore plus fatal à l'univers, que toutes les hérésies n'ont pu l'être avec leurs querelles sanglantes ou non sanglantes. Et malgré leurs discussions pacifiques, ils n'en produisent pas moins, par degrés, ces troubles et

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