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Horace disoit qu'en littérature,

Faire bien, est beaucoup : faire beaucoup n'est rien. Mais il faut avouer que faire beaucoup et bien, est le comble du talent. C'est un avantage qui paroît exclusivement appartenir à nos dames auteurs. Il en est parmi elles de qui les ouvrages forment seuls une bibliothèque. Voltaire, en parlant des dames qui ont écrit dans le siècle de Louis XIV, regardoit leur nombre comme une grande preuve du progrès de l'esprit humain. Il faut alors convenir que ces progrès sont aujourd'hui plus considérables encore ; et nous pouvons appliquer à notre siècle la prédiction de l'Arioste:

Le donne son venute in excellenza,

Di chascun' arte ove hanno posto eura, etc.

Chant XX.

Et quel est l'art cultivé par les belles,

Où le succès n'ait couronné leurs soins.

pouiller de tous ses vêtemens, et la tuer à coups de pots cassés ◄ Tel fut, en effet, (dit M. A., dans sa réponse à madame G. ), > le sort de cette femme célèbre, professeur de mathématiques à › Alexandrie, comme nous l'apprend madame G., qui a trouvé > cette histoire tragique dans Hesychius, dans Photius et dans > Philostorge; car elle m'accable avec son latin, son français et » son érudition, et puis elle me touche par sa sensibilité: Mes » yeux sont gonflés de larmes, s'écrie-t-elle. Je n'en suis point » étonné:

Loin de blâmer ces pleurs, je suis près de pleurer;

car je n'aime pas plus qu'un autre, qu'on tue à coups de pots > cassés les belles personnes et même celles qui ne le sont pas.*

» Mais si je ne l'ai pas traitée comme Hypacie, madame G. > prétend que j'ai voulu la traiter comme Socrate, et lui faire > boire la cigüe. Ah! non Madame, je ne voudrois pas même > vous condamner à boire vos ratafia. Vous m'accusez d'avoir » adopté le rôle infâme d'Anitus, et vous le prouvez en disant » qu'Anitus commence par un A, la preuve est bonne et le rapprochement est joli, etc., etc. »

La gloire est femme, et j'en ai pour témoins
Des anciens temps les chroniques fidelles.
Bien est-il vrai, depuis un siècle ou deux,
Qu'on a cité peu de femmes célèbres.
Eh quoi! le ciel n'a-t-il pas ses ténèbres !
Et puis, l'envie au teint pâle, à l'œil creux,
A pu couvrir de son voile funèbre

Plus d'un grand nom qui dût être fameux.
Mais dans ce siècle à jamais mémorable,
Que de talens où formés ou naissans,
Et quel mérite ornent le sexe aimable !
Oui, je le jure, il aura mon encens.
De ses vertus je tracerai l'histoire :
Vous la lirez, infâmes médisans ;

Et je vous veux submerger dans sa gloire.
Belles, vos noms par la main d'Apollon
Seront gravés au temple de Mémoire:
Et de Marphise éclipseront le nom.

(Traduction inédite de l'ARIOSTE. )

Par quelle fatalité Voltaire, après avoir lui-même loué les écrits des femmes, dit-il ensuite, en parlant du genre de composition auquel elles se sont le plus adonnées : <«< Au reste, on est bien éloigné de vouloir donner ici quelque prix à tous ces romans, dont la France a été et est inondée. Ils ont presque tous été, excepté Zaïde, des productions d'esprits foibles qui écrivent avec facilité des choses indignes d'être lues par les esprits solides. Elles sont même, pour la plupart, dénuées d'imagination, et il y en a plus dans quatre pages de l'Arioste que dans tous ces insipides écrits qui gâtent le goût des jeunes gens. »

Il est évident que cet anathème de Voltaire ne s'étend point jusqu'aux romans publiés par les dames qui vivent encore ceux-là sont égaux ou supérieurs à Zaïde. Mais je n'excepterai point de

cette condamnation les Mystères d'Udolphe, les Penitens noirs, les Tours ténébreuses, en un mot, tous les romans sortis de l'école anglaise. Que nos voisins admirent à leur gré mesdames Rackdiffe 'Annah Moore, Regina Roche, Burney, Barbaud, etc. Toutes ensemble ne seroient pas la monnoie de madame de Sévigné.

Il est assez singulier que la littérature anglaise soit, pour ainsi dire, tombée en quenouille. Ce sont les femmes qui composent à Londres les odes, les tragédies et même les poèmes épiques : ce sont elles qui publient chaque jour de nouveaux traités d'éducation. Nous nous sommes empressés de traduire ceux de miss Maria Edgewort, de madame Hamilton, et de miss Charlotte Smith. En voyant avec quel zèle tant de femmes distinguées veulent bien entreprendre de former les hommes si mal élevés jusqu'ici, je crois voir Minerve qui se cache sous la figure de Mentor pour instruire Télémaque.

Ainsi le sceptre de la littérature est de l'autre côté de la mer entre les mains des femmes; mais leur empire n'est pas tellement affermi que des insurgens ne cherchent à l'ébranler. Quelques partisans des anciennes moeurs affectent de répéter que les occupations littéraires leur font négliger les devoirs domestiques, que celle qui écrit le mieux sur l'éducation ne peut guère vaquer à l'éducation de ses enfans, et que la véritable gloire d'une femme est de vivre ignorée : c'est ce que M. Maty a voulu faire entendre dans des vers que nous allons tra◄ duire sans en adopter les idées.

LE SECRET DE FAMILLE,
Tendre Héloïse, avec toi je soupire;

Georgina (1) plaît à mon œil enchanté, (1) La belle duchesse Devonshire.

Et vous, Burney, je consens à relire
Votre roman, que le goût a dicté.

Le sentiment, l'esprit et la beauté,

Dans une femme ont droit à mon hommage;
Mais rarement l'un ou l'autre est citě,
Quand la vertu seule en règle l'usage.
Où l'éclair brille, il existe un nuage.
Moins de brillant, plus de solidité;
Tel est le mieux, et tel est ton partage,
Toi qu'on estime et qu'on nc cite pas.
Un doux regard, doux parler, doux sourire

Et la pudeur, le premier des appas,

Et le secret de causer sans médire,

Et le talent d'obliger sans le dire,
Et l'art de plaire et de n'y penser pas;
Ame sensible, esprit droit, raison sûre,
Voilà les dons que te fit la nature ;
Et, tels qu'ils sont, elle fit encor plus
En te laissant ignorer tes vertus,
Heureux l'enfant qui t'appelle sa mère !
Heureux l'époux qui possède ton cœur;
Qui près de toi s'applaudit d'être père,
Et chaque jour goûte mieux son bonheur!
A ce portrait où la vérité brille,
Qui te connoît ajoutera ton nom;
A mes lecteurs dois-je le dire? Non;
Il faut garder le secret de famille.

DE B...

XXXIV.

fille, par madame

Sur les avis d'une mère à sa fille, par

de LAMBERT.

Ceux qui, n'ayant jamais lu cet ouvrage, voudront en juger par le titre, ceux-là, dis-je, se

tromperont bien; ils croiront que c'est un livre de morale ou d'éducation, bon tout au plus à être lu par les filles qui aiment la morale, ou par les mères qui s'occupent de l'éducation de leurs enfans; et c'est au contraire un livre plein d'esprit, de goût et de sentiment. Pour le faire lire, il falloit peut-être en abréger le titre, et se borner à celuici: Réflexions nouvelles sur les femmes ; toujours nouvelles assurément, car on n'a pas dit autre chose dans les ouvrages les plus nouveaux. On pourroit dire aussi que c'est un extrait de tout ce qui a jamais été dit et écrit de plus solide et de plus fin, de plus profond et de plus naturel, de plus vrai et de plus ingénieux sur les femmes. Mad. de Lambert cite Plutarque, Tacite, Anne de Bretagne, etc.; si elle ne cite pas nos derniers auteurs, ce n'est pas que son ouvrage ne contienne encore la substance des leurs, c'est qu'elle est morte depuis près d'un siècle, et qu'elle n'en avoit jamais entendu parler. D'ailleurs, ils ont dit en plusieurs pages, ce qu'elle a dit en quelques mots : ils ont fait des livres; elle recueilloit quelques vérités pour son usage et celui de sa fille. Voilà, je pense, entre elle et eux des différences assez remarquables pour n'accuser personne de plagiat.

Si Mad. de Lambert avoit écrit un siècle plus tard, elle auroit fait comme les autres, et nous aurions, au lieu d'un petit in-douze, plusieurs volumes in-octavo; mais sur-tout elle auroit changé quelque chose à ses réflexions. Par exemple, elle ne diroit plus qu'on ne s'occupe pas assez de l'éducation des femmes : il est certain qu'aujourd'hui (1)

(1) Cet article est antérieur de plusieurs années au pensionnat de Mlle L., dont il est parlé dans les articles précédens.

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