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savoir assez bien pour s'amuser eux-mêmes, ou amuser les autres. Dès qu'il faut danser comme Henri et Duport, jouer du violon comme Kreutzer et Rode, dessiner comme David et Regnaud, chanter comme Elleviou et Martin pour avoir et donner quelque plaisir, ce n'est pas la peine de dépenser tant d'argent pour se rendre ridicule : il vaut bien mieux orner son esprit, et former sou cœur , que d'exercer ses pieds, ses mains et son gosier.

G.

X X X.

Distribution générale des prix à la maison d'éducation dirigée par mademoiselle L***

On a beaucoup disserté sur l'éducation des filles ;

Fénélon a traité ce sujet intéressant dans un ou vrage qu'on estime beaucoup, et qu'on ne lit guère, sort commun à tous les écrits où il ne règne qu'une morale austère, et où la vérité n'est pas cachée sous les fleurs brillantes de l'imagination. Fénélon avoit la bonhomie de croire que l'émulation, si nécessaire dans l'instruction des hommes, devient fatale quand il s'agit de celle des femmes; il regardoit les mères comme les institutrices naturelles de leurs filles, et l'éducation domestique lui paroissoit la seule convenable à cette précieuse moitié de la société. Mais les progrès de lumières, et les résultats de la civilisation, nous ont fait renoncer à ces vieux préjugés, l'ouvrage du vertueux archévêque de Cambrai est resté dans les bibliothèques,

et la capitale s'est couverte d'établissemens fastueux, vulgairement nommés Pensionnats des jeunes demoiselles.

Il n'est presque point de faubourg, de rue, de boulevard, qui n'ait vu s'élever un de ces temples à la danse, la musique, et à tous les arts frivoles. De brillans succès ont couronné ces entreprises. Il en est sorti, depuis dix ans, une foule de musiciennes et de danseuses qui pourroient le disputer en grace et en vigueur aux plus célèbres virtuoses de l'Opéra. Mais ces pensionnats nous ont-ils donné de bonnes épouses, de bonnes mères de familles ? Voilà ce que demandent des censeurs chagrins, partisans de tout ce qui est ancien, et frondeurs de tout ce qui est nouveau. Une cadence perlée, une entrechat exécuté avec grace, une gavotte bien phrasée, ne sont pas, disent-ils, une dot bien précieuse pour un mari. La complaisance, la douceur, l'économie, les soins du ménage, voilà les trésors qu'ils estiment, qu'ils desirent le plus : et ces choses-là ne sont pas de la compétence du maître de piano et du professeur de danse.

Que les censeurs se rassurent: cette éducation frivole et légère n'existe plus; elle a fait place à une instruction plus grave, à des études plus sérieu→ ses. La danse, le chant, la comédie, ne sont aujourd'hui que des arts d'agrément qui embellissent les loisirs des jeunes élèves; grace à un système nouveau, elles acquièrent des connoissances plus approfondies; elles partagent leur temps entre l'éloquence, l'histoire, la grammaire et l'étude des langues. Ce ne sont plus ces Nymphes légères voa nt sur la trace des Ris et des Jeux, ce n'est plus celte troupe folâtre qui ne moissonnoit que des fleurs; ce sont de graves étudians en robe de gaze;

c'est une pépinière d'historiens, de savans et d'orateurs, qui apprennent dans leurs dortoirs à composer un discours, et qui jettent pêle-mêle sur une toilette les chiffons de la marchande de modes et les œuvres de Rollin et de Cicéron.

Si quelqu'incrédule doute de l'amélioration de cette branche de l'instruction publique, qu'il se procure le programme de la distribution des prix, faite chez Mlle. L**, à la fin de l'année scolastique, comme cela se pratiquoit jadis à l'Université de Paris, et comme cela se fait aujourd'hui dans tous les lycées de l'Empire. A l'aspect de ce programme, on est d'abord frappé de l'énorme quantité de prix qui ont été décernés. Jamais on ne fit une plus ample moisson de lauriers il y a eu, dans ce jour solennel, deux cents trentehuit têtes couronnées. Mais toutes les élèves, dirat-on, ont donc obtenu des prix ? Pourquoi pas ? Cela prouve l'excellence de l'institution. Tous les parens sont satisfaits; cela prouve l'esprit de l'institutrice.

:

Dix prix ont été décernés pour l'histoire de France, quinze pour l'histoire romaine, huit pour l'histoire grecque, dix-huit pour l'histoire sacrée, neuf pour la rhétorique, neuf pour le discours, et douze pour la narration. Quelques ennemis de la science pourroient dire que l'art du discours et de la narration ne doit point s'apprendre aux femmes; qu'il est inutile et peut-être dangereux d'ajouter à leurs dispositions; qu'il faut tout au plus, à cet égard, laisser agir la nature.

A la suite des arts utiles viennent le piano, le solfége, la langue anglaise et le dessin d'après nature. J'ignore ce qu'on veut dire par cette dernière expression; il est probable que ces demoiselles ne

dessinent

que

des fleurs; mais on auroit dû le dire dans le programme: car beaucoup de parens, qui n'aiment le dessin d'après nature, pourroient, par une délicatesse mal entendue, être scandalisés d'un mot fort innocent. Cela prouve qu'il est certains cas où il ne faut pas généraliser les choses.

Mais il me semble entendre encore les maudits censeurs dont j'ai parlé, éclater en murmures; les sciences et l'histoire n'ont pas à leurs yeux plus de prix que la musique et la danse. Une femme légère les effraie moins encore qu'une femme savante. Ils pensent qu'on ne rend point un époux heureux avec des figures de rhétorique, et qu'on peut fort bien connoitre tous les peuples anciens et modernes, et ignorer les détails les plus simples du ménage et de la vie domestique. Eh quoi! disent-ils, n'existe-t-il donc pas un milieu entre une éducation si grave et une instruction si frivole? Est-il impossible de substituer à ces études trop profondes ou trop superficielles des connoissances vraiment utiles? Ne pouvons-nous avoir que des pédantes ou des coquettes, et ne formera-t-on jamais de bonnes mères de famille ?

Nous nous hâtons de repousser une accusation si peu méritée ; qu'on prenne la peine de consulter le programme, on y verra un prix de broderie entre quatorze prix de dessin et quarante-neuf de musique : il est vrai que ce prix est tont seul, qu'il n'a pas le moindre petit accessit, et qu'il semble s'être glissé là un peu honteusement; mais une remarque vraiment curieuse, c'est que le nom de l'infortunée qui l'a obtenu ne figure pas une seule fois dans la liste des soixante-sept qui ont été couronnées, soit pour l'histoire grecque ou romaine, soit pour la rhétorique, le discours et la narration: tant il est

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vrai que les mains profanes qui manient l'aiguille ne sont pas faites pour cueillir les nobles lauriers de l'éloquence! Et on pense bien qu'on n'a pas fait la moindre mention de la couture et du tricot. Ce sont de petits talens bourgeois trop indignes des palmes réservées à la science et au génie.

Au reste, il est vrai de dire que dans cette immense distribution de couronnes, la faveur n'en a pas décerné une seule. Des comités d'hommes de lettres célèbres ont prononcé avec la plus grande impartialité, sur les productions de ces demoiselles ; il y avoit des comités pour l'histoire, pour les langues, pour la rhétorique, pour le dessin; mais nous n'avons point remarqué de comité de broderie.

La distribution a été précédée d'un petit drame, composé par le professeur de littérature, et que l'on regrette de ne pas trouver dans le pr gramme. La comédie française, dit-on, donnera incessamment une représentation à laquelle assisteront toutes les jeunes personnes couronnées. On assure qu'on doit jouer les Femmes Savantes; Molière pourroit encore fournir la petite pièce. E...e

X X X I.

Défense de l'article précédent contre un écrit de M. G....avocat.

M. G. trouve que l'immense distribution

de prix faite dernièrement dans un pensionat célèbre, est la plus belle chose du monde. Je n'ai puint été de son avis, et il s'élève avec chaleur

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