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instruire les siècles à venir; il doit partager le privilège de la vérité, qui est de ne point avoir de vieillesse. Et de quel droit le relégueroit-on parmi les livres surannés, et qu'on ne doit plus lire? Qu'on nous dise si depuis on a composé quelqu'ouvrage meilleur en ce genre: que les maîtres qui croient aujourd'hui avoir plus de jugement, plus d'expérience, plus d'instruction et plus de talent que M. Rollin, se montrent; qu'ils développent les titres qui les mettent en droit de le mépriser. Y.

Χ Χ Ι Χ.

Distributions solennelles des Prix.

JE parle chaque année de ces cérémonies pu

bliques, parce qu'elles arrivent précisément à l'époque de la plus grande stérilité des théâtres dont je m'occupe habituellement. Ce n'est pas qu'il y ait en effet quelque rapport entre l'éducation et le théâtre : je suis bien éloigné de croire que les spectacles puissent sans danger faire partie de l'instruction publique, parce que c'est dans le calme des passions qu'on peut s'instruire, et que l'esprit du théâtre est diamétralement opposé à cette vérité, qui est la base de toute instruction; mais les distributions de prix rentrent dans mon domaine, parce qu'on en a fait des spectacles, parce qu'on y cherche, comme dans les pièces de theatre, l'illusion et l'apparence plus que la réalite: ce sont même des spectacles presque aussi fréquentés que les concerts de madame Catalani, parce que tous les spectacteurs y entrent avec

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des billets donnés. C'est une chose incroyable que ce débordement d'oisifs et de désoeuvrés dont Paris regorge, et quiisont toujours prêts à inonder les lieux où l'on eutre sans payer.

Mon intention n'est pas assurément de calomnier une institution très-propre à exciter l'émulation, et universellement approuvée des maîtres les plus sages. Je dois même convenir qu'on l'a rappelée à ses premiers principes depuis quelques années, en la dégageant des bals, des concerts, des comédies, et autres agrémens profanes qui en faisoient une fête de treteaux et de baladins ; mais, je ne puis m'empêcher d'observer que cette grande multitude de prix qu'on distribue à la ronde, pour des motifs assez frivoles, détruit cette même émulation qu'on se propose d'exciter. Ce ne sont pas les prix que je blâme, c'est l'abus des prix, c'est l'indiscrète profusion avec laquelle on jette à la tête de tout le monde les récompenses du travail et du talent. Les prix ont cessé d'être honorables quand ils ont cessé d'être rares : c'est une honte de n'en avoir pas; mais ce n'est plus un honneur d'en avoir.

Qu'arrive-t-il? Au lieu de la noble émulation qu'avoient coutume d'inspirer ces distributions solennelles, elles ne font plus que flatter et tromper les parens qui ne sont déjà que trop dupes; elles ne servent qu'à remplir les enfans d'une vaine présomption, à humilier le talent en le confondant avec la médiocrité.

On ne peut qu'applaudir sans doute aux soins paternels du gouvernement qui n'a rien négligé pour ranimer les bonnes études. Déjà les Lycées et les écoles secondaires en ont recueilli le fruit. On y est revenu aux vrais principes de l'enseignement : l'instruction a beaucoup gagné, mais

l'éducation n'est pas au niveau de l'instruction; et cependant on ne peut les séparer. C'est de l'union de ces deux parties que résulte ce qu'on appelle, en général, une bonne éducation. Le gouvernement lutte contre les mœurs sans succès, et les parens détruisent l'ouvrage des magistrats.

Les lois ne peuvent atteindre l'intérieur des familles, espèce de lycées domestiques, où la première et la plus importante éducation, celle de l'enfance, non-seulement est manquée; mais ce qui est bien pis, dirigée d'après les plus mauvais principes. C'est là, c'est dans la maison paternelle que les enfans puisent, comme dans une source empoisonnée, tous les vices qui feront dans la suite le malheur de leur vie. Pères et mères, vous voulez que vos enfans soient heureux, soyez donc sévères envers vos enfans; ne bouleversez pas l'ordre de la nature; ne faites pas vos idoles de vos créatures; que ceux qui doivent vous obéir ne deviennent pas vos maîtres et vos tyrans. Commencez de bonne heure à les endurcir contre les maux qui les attendent dans la vie; apprenezleur à supporter la contrainte et les contrariétés ; formez leur caractère; n'en faites pas de petits despotes asiatiques; car, en sortant de votre maisou pour entrer dans le vaste champ des peines, des contradictions, leur despotisme les rendra aussi ridicules que malheureux; l'éducation est le noviciat de la société.

C'est un spectacle révoltant que celui de cette idolatrie pour des êtres foibles et dépendans de leur nature: on n'est occupé que d'eux; ils sont le centre de tout ce qui les environne; on les rassasie des plaisirs qui ne sont point de leur âge; ou les mène dormir à la comédie, et leurs cris

interrompt souvent la pièce. On oublie que des enfans qui ne sont point encore membres de la société, doivent avoir leurs jeux à part; on encense tous leur caprices; on adore leur babil; et ce qu'ils retiennent le mieux de leur première édu cation, c'est de parler sans savoir ce qu'ils disent. Cependant J. J. Rousseau, l'oracle des mères trop indulgentes, veut qu'on n'ait pas l'air de s'occuper des enfans; qu'on ne les laisse manquer de rien, et qu'on leur parle peu; qu'on leur fasse sentir le joug de la nécessité mais en ce point seul sa doctrine est négligée; on ne suit ses préceptes que lorsqu'il recommande de leur épargner toute contrainte, et de ne point les fatiguer par l'étude.

Que deviennent ces enfans gâtés, lorsque l'usage commande enfin de les appliquer à quelque chose? Lorsqu'on est forcé de les mettre dans une maison d'éducation, les parens qui ne s'en éloignent qu'à regret, les rappellent si souvent auprès d'eux, ils contrarient si bien les instructions des ma tres, que les enfans ne font que réunir les vices de l'éducation publique et ceux de l'éducation particulière, sans tirer aucun profit de l'une ni de l'autre. Du temps de Quintilien, et dans un siècle où l'Empire Romain étoit encore très-florissant, ce culte de l'enfance, cette paidolatrie, pour suivre ici la mode des étymologies grecques, corrompoit déjà l'éducation, et laissoit entrevoir les premières nuances de la barbarie; car il ne faut point s'imaginer que la barbarie soit toujours le fruit de l'ignorance et du défaut d'instruction. Les Romains, du temps de saint Augustin, avoient sous les yeux tous les chefs-d'oeuvres des beaux siècles de la Grèce et de l'Italie, ils avoient de brillantes écoles,

et ils étoient barbares, parce qu'ils avoient les moeurs corrompues, l'esprit faux, l'ame énervée par le luxe; parce qu'une éducation foible et molle étouffoit tous les talens dans leur germe. Saint Augustin eût été aussi éloquent que Cicéron, s'il eût vécu vers la fin de la république : au troisième siècle, il n'a été qu'un mauvais écrivain et un bel-esprit (1).

Une autre plaie de l'éducation, c'est la multitude des objets qu'on fait passer en revue sous les yeux des jeunes gens, et qu'ils effleurent à peine. C'est la danse, le violon, la musique, le dessin, qui font du temps destiné aux études solides, une dissipation continuelle: cette manie des maîtres d'agrément ne rend pas de jeunes gens plus agréables; elle n'en fait que des ignorans. Savoir danser pour un jeune homme, n'est trop souvent qu'une occasion de libertiuage; lui apprendre à jouer du violon, c'est en faire, pour le reste de sa vie, un impitoyable racleur dont l'amusement sera le supplice de ceux qui seront condamnés à l'entendre. La perfection même à laquelle tous ces arts sont arrivés, devroit avertir les parens qu'il faut laisser cette étude à ceux qui veulent en faire leur profession. C'est une folie d'appliquer indistinctement tous les enfans à des arts qu'ils ne pourront jamais

(1) Nous observerons que celte critique ne sauroit tomber que sur le style de St.-Augustin, (où l'on trouve effectivement le mauvais goût de son siècle), et nullement sur la sublimité de ses pensées qui ont fait l'admiration de tous les siècles. Le critique rend, en effet, le plus bel hommage au génie d'un des plus illustres pères de l'église, puisqu'il le compare au père de l'éloquence latine; et l'on sent que les épithètes de mauvais écrivain et de bel-esprit, qu'il donne à l'évêque d'Hippone, ne sont que l'expression d'un goût aussi pur que sévère, et n'ont rien de choo quant dès qu'on fait la distinction que nous venons d'établir.

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