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ces, et qu'à côté d'un faux système on peut toujours

compter un grand malheur.

P. M.

X X VII I.

Sur le Traité des Etudes de ROLLIN.

PERSONNE

ERSONNE n'a écrit sur l'éducation et pour la jeunesse avec des vues plus éclairées et plus justes que Rollin. Ce n'est point un sophiste orgueilleux qui cherche à mettre ses systêmes à la place de l'expérience, qui veut substituer à la lumière de la vérité les fausses lueurs d'une imagination ardente, et montrer la subtilité de son esprit, sans s'embarrasser de la justesse des idées; c'est un homme simple et droit, qui n'a pour but que d'être utile. Instruit par sa propre expérience, et plein des maximes, des anciens, il n'a pas la prétentîou d'iunover; il recueille religieusement les oracles de la sagesse antique: Cicéron, Quintilien, les meilleurs écrivains de la Grèce et de Rome, sont les guides qu'il suit dans les voies où lui-même il conduit son lecteur; il étoit digne de marcher sur leurs traces; un jugement sûr, un goût exquis se font toujours sentir dans ce qu'il mêle à leurs maximes et à leurs réflexions. Le Traité des Etudes, qu'on a droit peutêtre de regarder comme son chef-d'œuvre, est un ouvrage excellent: s'il ne frappe pas d'abord par l'éclat du style et par l'originalité des vues, il attache par l'attrait d'une diction toujours naturelle et toujours aimable: et satisfait par la plénitude des idées et la justesse des principes: tout dans ce livre est pur et sain; tout y est solide; tout y est fondé Tome V.

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sur le bon sens; on n'y trouve rien qui puisse être désavoué par la raison et l'expérience. Ce qui ajoute encore à son prix; c'est qu'il n'y a pas une trace de pédanterie dans tout l'ouvrage; le ton en est toujours simple, doux et naif; l'Auteur a su répandre de l'agrément sur des objets qui n'en paroissent guère susceptibles; il a su semer des roses sur les détails les plus épineux et les plus arides de la discipline scolastique. C'est ce qui a fait dire à Voltaire dans le 'Temple du Goût, où il place Rollin à côté des plus grands hommes:

Non loin de là Robin dictoit
Quelques leçons à la jeunesse,

Et quoiqu'en robe on l'écoutoit.

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Quand son livre parut, en 1726, il fut parfaitement accueillidu public. Cependant à cette époque les esprits commençoient à fermenter; la licence des moeurs, dont la cour du régent avoit donné l'exemple, produisoit insensiblement la licence des opinions; mais la philosophie naissante étoit encore humble et discrete; c'étoit dans l'ombre et avec une sorte de timidité qu'elle s'essayoit à cette audace dont les progrès sont devenus si rapides et si funestes: la masse du public n'étoit point encore infectée du poison des nouvelles doctrines; elle étoit saine, et conservoit encore le respect des maximes antiques. Trente ans plns tard, le Traité des Etudes n'eût été regardé que comme un recueil de lieux communs, d'idées triviales, de principes surannés, comme une misérable compilation, très-digne de rester ensevelie dans la poussière des classes où elle étoit née. La manie des opinions extraordinaires', des pensées hardies, des aperçus singuliers, des vues neuves, des systèmes en tout genre, étoit de

venue presqu'épidémique, et cette maladie a duré jusqu'à nos jours, en prenant sans cesse de nouvelles forces. Les leçons de l'expérience étoient méprisées, ou dn moins comptées pour rien ; il falloit à tout prix tenter de nouveaux essais: un philosophe auroit rougi de rien emprunter à la sagesse de nos pères ; il vouloit devoir tout à son génie : un philosophe se seroit cru dégradé si, même aux dépens de la justesse et du sens commun, il n'eût pensé, écrit, parlé d'une manière extraordinaire ; il auroit cru manquer à sa vocation sublime, s'il eût eu quelqu'égard pour les traditions. De-là ces écrits où le talent et l'éloquence sont quelquefois prostitués aux absurdités les plus révoltantes; delà ces Traités ces Cours d'études dont les théories, plus ou moins séduisantes, furent toujours démen→ ties par la pratique, et méprisées par les vrais sages. Nous avons vu, pendant dix ans de révo lution, l'esprit philosophique se tourmenter, s’agiter pour enfanter un plan d'instruction, et ses efforts ont été aussi malheureux que ses vues étoient fausses et bizarres. Ce n'est qu'en se rapprochant des idées consacrées par l'expérience, qu'un génie plus ferme et plus sage est parvenu à restaurer parmi nous l'éducation; c'est dans le respect des anciennes traditions qu'il a puisé cette énergie toujours efficace qui semble commander au succès, c'est sous ses auspices que les livres dépositaires de la sagesse des siècles reparoissent aujourd'hui avec honneur, en dépit de l'orgueil philosophique, que tant de funestes expériences n'ont pu encore ni désabuser ni corriger, et qui sûrement ne sauroit voir qu'avec mépris et dérision le soin qu'on prend de reproduire les ouvrages d'un écrivain aussi peu philosophe que Rollin.

Le Traité des Etudes est la censure la plus éloquente et la condamnation la plus formelle de ces nouvelles méthodes dont l'éclat trompeur a ébloui le public dans ces derniers temps. Qu'on se demande, après avoir lu et médité ce livre, ce que le sage et judicieux Rollin penseroit de ces ouvrages où l'on prétend abréger la route des sciences, en arracher les épines, et en aplanir les difficultés : il se plaint dans un endroit de son traité que l'éducation s'étoit déjà amollie de son temps; que diroit-il de ce qui se passe aujourd'hui ? Il répète sans cesse que le but de l'éducation n'est pas de faire des savans, mais de préparer et de polir les esprits, et ces idées si justes étoient le fruit du temps et de l'expérience. Lors du renouvellement des sciences et des lettres, les esprits, avides de connoissances, voulurent tout embrasser à la fois théologie, métaphysiqne, mathématiques, histoire, langues anciennes, éloquence, poésie, etc.; la manie encyclopédique, que nous voyons se renouveler de nos jours, s'opposa long-temps au retour du bon sens et du bon goût; on vit des écoliers qui se piquoient de ne rien ignorer. En Italie, Pic de la Mirandole, à l'âge de quinze ans, soutint une thèse de omni re scibili. Ce ne fut que lorsque le flambeau du goût commença à éclairer les esprits que l'on reconnut le vide de ce faux savoir, et que l'on vit le ridicule de ces fastueuses prétentions; les études se réglèrent sur des principes plus sages; il devint évident, comme l'observe M. Rollin, qu'on ne devoit point s'attendre à voir sortir des écoles ni des érudits tout formés ni des poètes, ni des orateurs parfaits. N'est-il donc pas étrange que le progrés insensible des choses nous ait ramenés au mauvais goût, et

j'oserois presque dire à la barbarie du 15e siècle ? Quand M. Rollin composa le Traité des Etudes, le meilleur goût régnoit dans la littérature et dans l'Université. Le siècle de Louis XIV avoit achevé de dissiper les dernières ténèbres des âges précédens, et répandu sur toutes les parties des arts et des sciences une lumière que notre prétendue philosophie n'a fait qu'obscurcir les limites en tout genre étoient nettement tracées; les principes définis avec justesse et fixés avec précision; M. Rollin étoit lui-même un des esprits les plus éclairés et les mieux faits de l'époque où il écrivoit : l'âge, l'expérience et les circonstances avoient encore ajouté au grand sens dont la nature l'avoit doué. Il avoit été lié avec les plus grands hommes du siècle de Louis XIV dont la conversation n'avoit pas dû être pour lui une source d'instruction moins abondante que les ouvrages des grands écrivains du siècle d'Auguste. C'étoit à soixante ans, après avoir long-temps appris à connoitre l'esprit des jeunes gens qu'il écrivoit sur l'éducation. Peut-on raisonnablement se flatter d'être aujourd'hui plus éclairé que lui sur cette matière, de savoir mieux comment il faut enseigner la grammaire, la rhétorique, l'histoire? Et n'est-il pas évident que toutes ces méthodes par lesquelles on tourmente l'éducation bien plus assurément qu'on ne la perfectionne, et qui sont contraires à ce qu'il enseigne, ne sauroient être que des piéges tendus à la sottise par la mauvaise foi et le charlatanisme?

On doit considérer le Traité des Etudes comme un des monumens de notre littérature : ce n'est point un de ces livres qui ne sont faits que pour une certaine époque et de certaines circonstances; fondé sur l'expérience des siècles passés, il doit

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