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« Vous avez reçu de Dieu une ame raisonnable, >> vous devez le servir. » M. Chénier a traduit ainsi cette phrase: « Quand on est sûr d'avoir une ame >> raisonnable, il faut se croiser et aller en Terre >> Sainte. >>

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On voit donc qu'il ne se contente pas de chercher à faire valoir les passages de ses auteurs, de choisir ceux qui conviennent le mieux à ses vues, de les commenter, de les broder, mais qu'il y fait des changemens et des additions, et qu'il prête un peu de son esprit aux Trouvères, et de sa philosophie au treizième siècle. Le conte du Mari Confesseur lui a donné lieu de s'égayer sur la confession, et d'inviter avec ironie les protestans à ouvrir enfin les yeux et à en reconnoître les avantages; celui du Dépositaire infidèle, de remarquer que l'auteur de ce conte, en l'imitant de l'Arabe, a tort d'avoir substitué un philosophe à un derviche; parce que le rôle de dépositaire infidèle convient bien mieux à un moine qu'à un philosophe. Voilà tout le sel de cette troisième leçon, moins quelques gravelures un peu fortes que le bégueulisme du langage m'empêche de rapporter, et qu'une des hypocrisies dont M. Chénier a parlé me force à passer sous silence; voilà ce que le professeur appelle peindre l'influence réciproque que les mœurs et la littérature

exercent l'un sur l'autre.

Voici maintenant la partie purement instructive: force plaisanteries sur M. de Caylus et sur le grand d'Aussy, à qui pourtant il a emprunté tout ce qu'il y a eu de passable dans sa leçon. Comme il faut que le professeur ait l'air d'avoir une opinion à lui, il a prétendu, 1o que les Fabliaux n'étoient pas des originaux, mais des copies, la plupart mauvaises, des Contes arabes, traduits en latin; 2o que ces poésies

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étant presqu'inconnues ni les Bocace ni les La Fontaine n'ont pu y rien puiser; opinion absolument fausse, mais qu'il seroit trop long de réfuter en détail; je ferai seulement remarquer qu'un trèsgrand nombre de Fabliaux ont tous les caractères de l'originalité, puisqu'il sont remplis de traits nationaux; j'ajoute que ces Fabliaux étoient la plupart chantés par les menestrels dans les châteaux, et par conséquent répétés par toutes les bouches, sans être pour cela écrits; il suffit de plus d'ouvrir Bocace et La Fontaine, pour voir ce qu'ils ont emprunté à ces anciennes poésies. D'ailleurs, si ces Fabliaux ne sont que des traductions des Contes arabes, pourquoi le professeur en tire-t-il des conséquences si favorables à leurs auteurs qui annonçoient, dit-il, le siècle des lumières? Il ne suffit pas d'avoir tant d'érudition, il faudroit encore avoir un peu de logique. Mais si le professeur ne veut point que La Fontaine et Bocace aient imité les Fabliaux, en récompense il voit dans Pamela et dans Nanine une imitation du conte de Grisélidis, avec lequel Nanine et Pamela ont, il faut l'avouer, bien peu de rapport. Ce conte lui a fourni l'occasion d'une apostrophe pathétique, où il a développé toute la sensibilité de son coeur, et qu'il a prononcée du ton le plus larmoyant ; mais ce que j'ai sur-tout remarqué, c'est une phrase dans laquelle il a représenté Grisélidis ne promettant que l'obéissance, et tenant toutes les vertus; on ne peut guère mieux se rapprocher du style de Cotin. Dans tout ce fratras de citations, d'érudition et de rapprochemens, le professeur a fait observer très-justement qu'une des histoires de Zadig est imitée d'un Fabliau; mais une phrase qu'il a ajoutée à cette remarque, a fait un peu murmurer l'assemblée : Voltaire, a-t-il dit,

a marqué ses pas sur toutes les routes; métaphore grotesque, qui a paru empruntée du bureau des diligences. Une autre phrase m'a frappé; j'avoue que ma mémoire ne me représente pas bien la manière dont elle étoit amenée : La vérité, a dit le professeur d'un ton très-enflé, la vérité doit aujourd'hui triompher, du moins en littérature, mais sans tirer à conséquence. Je ne me souviens point, dis-je, à quel propos M. Chénier a prononcé cette sentence; au reste, sous quelque rapport qu'on veuille consi→ dérer cette phrase, il faut convenir qu'elle paroît totalement dénuée de sens. Le sens et le jugement ne sont pas les premières qualités de notre profes

seur.

Je ne sais trop si je continuefai à rendre un compte suivi et régulier de ses leçons : je suis averti par l'ennui de cette séance, du peu d'intérêt que le public y attachera par la suite (1). Si le professeur vient à bout de fourn r sa carrière, s'il se corrige, s'il se hâte d'arriver à des époques littéraires plus dignes d'attention, je pourrai bien encore m'occuper de son Cours; sinon, je le livre, pour toute critique, à l'ennui et à l'oubli.

Y.

I V.

Même Sujet. DISCOURS prononcé à l'Athénée de Paris, le 15 décembre 1806, par M. Chénier, de l'Institut National.

DEPUIS

EPUIS quelques années, le monstre hideux de l'impiété paroissoit endormi. Confondu d'abord des mauvais succès de ses dernières campagnes, il se

(1) On sait que la prédiction du critique n'a pas été fausse.

tapissoit dans sa caverne, et n'en sortoit, pour ainsi dire, que la nuit, pour sonder le terrain et aller à la découverte. Et voici qu'aujourd'hui il se réveille, et se montre au grand jour. Il est vrai qu'il n'est plus aussi altier, et qu'il ne le prend plus sur un si haut ton. Il ne s'habille plus en Brutus, ainsi qu'on le voyoit aux beaux jours de sa gloire, ni en arlequin comme Voltaire, ni en arménien comme Rousseau, ni en sycophante comme Diderot : il prend un costume plus simple et une couleur moins tranchante, et il est mis à peu près comme tout le monde. Mais, ne pouvant plus faire des décrets, il veut au moins faire des thèmes et des amplifications: ne pouvant plus vociférer dans les clubs, il veut au moins professer dans les athénées, et en serpent habile, n'osant pas encore siffler trop haut, se glisser doucement sous les fleurs de sa rhétorique.

Nous n'appliquons pas sans doute à M. Chénier, ce portrait dans sa généralité; mais on ne peut disconvenir qu'il n'y ressemble en bien des endroits, et son discours d'introduction en est la preuve irréfragable. Il n'y dit pas tout ce qu'il voudroit dire; mais il nous y fait entrevoir tout ce qu'il dira, si on le laisse dire. Ce n'est point un manifeste en règle et une vraie déclaration de guerre: mais il est impossible de n'y pas reconnoître ses intentions hostiles, et le dessein formé de prouver à ses auditeurs que les événemens ne l'ont point corrigé; qu'il est toujours à la hauteur, en dépit de l'expérience; qu'il est tout prêt encore à donner un démenti formel à la nature, en démontrant, à qui voudra l'entendre, que la philosophie est un véritable trésor, la religion un véritable abus, l'art social un mystère toujours sujet à révision, et le genre humain un ouvrage manqué qui a besoin encore d'être refait par l'analyse.

Nous ne relèverons point ici toutes les opinions hasardées, tous les faux jugemens, toutes les bévues littéraires dont ce discours est rempli. Nous nous contenterons d'en extraire quelques passages qui nous ont paru les plus propres à faire naitre des réflexions utiles. Car notre but est bien plus d'ins truire nos lecteurs que de critiquer M. Chénier.

<< Le quatrième siècle est une époque mémorable « dans l'histoire du monde. L'étonnante révolution » commencée par Constantin et consommée par

Théodose, donna une nouvelle direction à l'es>> prit humain..... En quittant Rome pour Bysance, >> Constantin prépara la division de l'empire et la » chûte de Rome. L'empereur Julien régna trop » peu de temps pour combler l'abîme dont il avoit » mesuré la profondeur; mais il ranima l'amour des >> lettres... Les successeurs du grand Julien suivirent » une route toute différente. On sait avec combien » de zèle, ils adoptèrent ces nouvelles croyances...... » Soit par piété, soit par prudence, Théodose or>> donna de penser comme lui, et la philosophie resta >> muette devant la dialectique des inquisiteurs : je » dis des inquisiteurs, car c'est à lui que cette institu>>tion commence..... Des querelles presque toujours >> sanglantes sur des hérésies déjà nombreuses, suc» cédèrent aux paisibles discussion de l'académie et » du portique. L'autel de la Victoire, abattu par >> Constantin, avoit été relevé par Julien. Théodose » le renversa pour toujours. On répondit au signal » du prince. Dans une foule de cités, la pieuse adulation brisa les statues des dieux de l'empire, et » des esclaves démolirent les temples qu'avaient >> consacrés des héros ».

Des esclaves! On voit bien que c'est ici un fier républicain qui parle. Mais par quels prodiges ces

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