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maintint la discipline, rappela les usages anciens, fit quelques réformes. La fin de son rectorat ne lui rendit pas toute sa liberté; il fut nommé coadjuteur de la principalité du collège de Beauvais. II développa dans cet emploi toutes les vertus qui lui' étoient propres, et tout ce qu'il avoit de talent pour l'éducation de la jeunesse. Il y avoit environ quinze ans qu'il gouvernoit ce collége, lorsqu'il fut accusé de jansénisme, et reçut l'ordre de quitter sa place.

C'est ici une des grandes époques de la vie de Rollin, et en même temps un des endroits les plus remarquables de la notice que les éditeurs ont mise en tête de l'ouvrage. Voilà donc le sage et modeste Rollin exposé à l'animadversion de l'autorité; comme fauteur d'opinions réputées dangereuses. Ce qu'on peut dire de mieux en sa faveur, c'est que ces opinions avoient en quelque sorte fait partie de son éducation, et qu'elles étoient presque généralement adoptées dans le corps auquel il étoit attȧché. Je ne veux point entrer dans la discussion d'une doctrine que je n'ai point assez approfondie, et il me semble que pour la réprouver, il doit suffire à ceux qui veulent être conséquens qu'elle ait été condamnée par l'autorité compétente. Du reste, quand on veut se rendre raison de la conduite des hommes, même en matière de religion, il n'est pas toujours nécessaire de leur supposer des vues aussi sublimes que l'objet qui les occupe, et des pensées pures de tout intérêt humain le jeu des passions est quelquefois le meilleur cómmentaire : il explique tout, parce qu'il produit tout. Si donc on me demande pourquoi une compagnie aussi éclairée que l'université de Paris a suivi de certaines opinions, et comment il sé fait qu'un corps regardé comme le dépositaire

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de la vraie doctrine, et toujours consulté par les rois et par les papes, dans les temps de discordes, comme l'oracle de la religion, a pu se laisser entraîner à de certaines erreurs, j'en trouverai une raison toute naturelle dans la rivalité qui l'animoit contre les jésuites : cette rivalité devoit nécessaiment jeter les universitaires dans des opinions opposées à celles que professoient ces religieux. Elle étoit telle que peu s'en fallut qu'elle ne dégénérât en haine déclarée et en guere ouverte; et, pour ne point sortir du sujet qui nous occupe en ce moment qu'on lise les discours latins prononcés par M. Rollin dans différentes circonstances: on y trouve sou-, vent des salires amères contre les jésuites, et l'on s'étonnera que cette ame si douce n'ait pas manqué de quelque fiel, lorsqu'il s'agissoit des rivaux de l'université. J'indiquerai particulièrement un discours qu'il prononça, sije ne me trompe, à l'abbaye, de Saint-Germain-des-Prés en y faisant l'éloge des bénédictins, il établit entr'eux et les jésuites,, qu'il ne nomme pas, mais qu'il est facile de reconnoitre, une comparaison très-injurieuse pour ces derniers ; et quoique l'allusion soit voilée avec tout l'art d'un rhéteur habile, on peut regarder ce parallèle comme une véritable diatribe, où Rolling a passé la mesure qu'il sait ordinairement si bien garder. Son bean discours sur l'instruction gratuite n'est pas exempt de traits pareils, On dit que Voltaire, composant le roman de Candide, se livroit à des rires immodérés, et que, comme on lui en demanda la cause, il répondit: Mes amis, je mange du jésuite. M. Rollin n'auroit pas dit ce mot; mais il se plaisoit aussi trèssouvent à manger du jésuite.

Au surplus, les disciples de S. Ignace savoient

bien prendre leur revanche; le feu de la rivalité n'étoit pas moins ardent de leur côté; leurs orateurs repoussoient très-bien les traits des orateurs universitaires; la société, toujours vigilante épioit les démarches de l'armée ennemie, pour ne lui laisser prendre aucun avantage. Quand le bruit se répandit que M. Rollin travailloit à un ouvrage où il se proposoit d'exposer le plan des études de l'université, la société lança aussitôt dans l'arène le P. Jouvency, un de ses plus vigoureux athlètes: cet habile professeur composa, de son côté, un livre pour exposer la méthode des jésuites; c'est celui qui a pour titre: De Ratione docendi et discendi, et dont nous avons depuis peu une excellente traduction (1). Il parut quelque temps avant les deux premiers volumes du Traité des Etudes. Le P. Jouvency l'avoit fait un peu court, pour gagner de vitesse son redoutable concurrent. M. Rollin, qui parle de cet ouvrage dans le Traité des Etudes, en fait une de ces critiques discrètes, où la louange se mêle à la censure, et où la malice se déguise sous le voile de la politesse. Il commence par admirer la latinité de l'ouvrage qui auroit pu, dit-il, le détourner de composer le sien; puis il insinue qu'il est un peu court et que les matières n'y sont pas approfondies; enfin il expose les raisons qui l'ont engagé à composer le sien en français; et l'on en infère fort naturellement que le P. Jouvency a eu tort d'écrire. son Traité en latin. Que conclure de tout ceci ? Qu'il est tout simple que Rollin, qui étoit si bon universitaire, ait été, malgré la douceur de ses mœurs, un janséniste très-ardent, et que

(1) Par M. Fortier, professeur à l'Ecole militaire à Fontainebleau.

Dans tous les cœurs il est toujours de l'homme, comme le dit le poète philosophe Molière.

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Deux traits de la conduite de M. Rollin, considéré comme janséniste, me paroissent sur-tout blâmables d'abord lors qu'on lui donna l'ordre de quitter le collège de Beauvais, comme le temps de vacances n'étoit pas éloigné, on lui permit de rester jusqu'à cette époque où il auroit pu se retirer sans bruit. M. Rollin ne voulut pas profiter de cette permission: il se retira sur-le-champ, et les accessoires mêmes de sa retraite prouvent qu'il n'étoit point fâché qu'elle fît de l'éclat. Je ne reconnois pas là le caractère de M. Rollin, mais bien la conduite ordinaire des hommes de parti. Ensuite, ayant été nommé recteur quelques années aprés, il prononça chez les Mathurins un discours si violemment chargé de jansénisme, que l'autorité lui enjoignit de quitter le rectorat sur l'heure. Je pose en principe que, dans une telle circonstance, l'autorité n'a jamais tort, parce qu'on est toujours coupable, quand on se révolte contr'elle, et je laisse tirer les conséquences qu'il me seroit trop pénible de développer.

En effet, voudrois-je faire le procès à M. Rollin? Aurois-je dessein de flétrir sa mémoire, après avoir reconnu en lui tant de qualités et de vertus? Non, sans doute; je montre seulement quelques taches dans une vie d'ailleurs si pure; et je ne me stris pas cru engagé à dissimuler les foiblesses et les erreurs d'un homme respectable et d'un écrivain utile, comme il étoit convenable que M. de Bose le fit dans l'éloge historique qu'il prononça à l'Acádémie des Inscriptions, et comme les éditeurs qui me paroissent avoir pris cet éloge pour base de leur travail ont pu s'y croire obligés ; au reste leur

zèle me paroit beaucoup trop vif: peuvent-ils ignorer qu'il y a aujourd'hui beaucoup d'imprudence et quelque ridicule à se permettre d'afficher des opinions qui ont trop long-temps agité la société, et à vouloir ranimer cet esprit de secte qui dure encore, à ce qu'on prétend, et qu'on devroit laisser s'éteindre dans le silence et dans l'oubli ?

Rollin, forcé de renoncer aux différens emplois de son état, se livra dans la retraite à la composition des excellens ouvrages qui ont mis le sceau à sa réputation, et le reste de sa vie y fut entièrement consacré. Il avoit donné en 1715 une édition abrégée de Quintilien; il fit dans la suite lc Traité des Etudes, l'Histoire ancienne, et l'Histoire Romaine, qu'il ne put conduire que jusqu'au huitième volume, la moit l'ayant arrêté au milieu de son travail.

Ces différens ouvrages sont parfaitement appréciés dans la notice; et en général ce morceau est remarquable par l'étendue et la finesse des vues, et par la solidité des principes, soit de morale, soit de littérature. Il est terminé par une espèce de péroraison (1) dans le goût de celle que Tacite a mise à la fin de la Vie d'Agricola. Si ce n'est pas tout-à-fait la même éloquence, c'est le même ton de douleur noble, et de mélancolie sublime. L'auteur, l'oeil fixé sur les ruines de ces établissemens utiles que la révolution a renversés, dé plore la destinée des générations naissantes, qui, pendant dix années de trouble et d'anarchie, sont restées sans culture et sans éducation. Y.

(1) Voyez dans l'article suivant cette péroraison, qui nous a paru très-propre à orner ce recueil.

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