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jeunesse inepte et frivole; le monarque jette un regard sévère sur ses courtisans, et les écarte loin du sage vieillard dont il invoque en ce moment l'expérience et le génie, L'exemple du maître a produit tout son effet. En sortant du conseil, M. de Sully reçoit un autre accueil. Cette foule d'étourdis, quelques momens auparavant si bruyante, siinconsidérée, maintenant attentive et pleine de déférence, s'ouvre devant lui, et n'ose le presser. Une ombre royale marche à ses côtés, C'est Henri lui-même qui le protège encore de toute sa puissance, l'environne de toute son affection, et commande autour de lui le silence et le respect. On croit encore entendre sortir de sa bouche ces paroles sacrées Messieurs, je veux bien vous dire à tous que j'aime Rosny plus que jamais, et qu'entre lui et moi, c'est à la mort et à la vie. (Voy. Mém. de Sully, t. V, pag. 485.) Ces grands et touchans souvenirs revivent en ce moment dans toutes les pensées, et pénètrent tous les cœurs. Ce grand homme, objet de la faveur du jour, insensible aux hommages comme à l'insulte, couvert d'honorables blessures, chargé d'années si utilement employées au service de l'état, s'avance tranquillement à travers ces flots de courtisans, anuets d'étonnement et d'admiration, avec ce front grave et austère qui, plus d'une fois, a fait pâlir ses détracteurs jusqu'aux pieds du trône, avec cet air calme qui convient à la vertu, et retourne dans son asile favori, achever une vie pleine, des jours paisibles, dans les loisirs d'un doux repos, et dans le sein d'une Providence dont les immortels bienfaits élèvent l'homme de bien au-dessus de l'ingratitude de ses contemporains et de la reconnoisance de la postérité.

D.

X X V I.

Sur une Vie de Rollin, mise à la tête d'une édition de ses œuvres.

C'EST une vieille coutume de mettre la vie des auteurs en tête des éditions qu'on fait de leurs ouvrages. Cependant ces sortes de notices biographiques sont quelquefois fort peu intéressantes : la vie des gens de lettres n'est pas en général trés-variée; elle n'offre pas une grande diversité d'événemens,: elle est d'ordinaire uniforme, calme et tranquille. C'est dans la retraite et le silence du cabinet qu'ils font leurs plus grandes actions : les livres qu'ils composent sont les traits les plus marquans de leur destinée. Je parle des vrais gens de lettres, et non de ces aventuriers et de ces intrigans qui, ne voyant dans la littérature qu'un moyen de fortune, s'agitent plus qu'ils ne travaillent, et songent plus à se faire une réputation lucrative qu'à composer de bons ouvrages. D'ailleurs, ces notices sont généralement plutôt des éloges que des histoires: on loue les ouvrages; on loue l'auteur; on ne présenté que les beaux côtés; on laisse les défauts dans l'ombre. Ces portraits flattés, en perdant le mérite de la ressemblance, doivent perdre tout intérêt. On diroit que quelques écrivains du dix-huitième siècle ont craint cet inconvénient, et redouté le pinceau trop indulgent des biographes ; ils ont pris soin de se peindre eux-mêmes; et l'on ne sauroit les accuser d'avoir choisi leurs couleurs avec trop d'amourpropre......

C

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On desire peu de connoître les auteurs dont les ouvrages n'intéressent pas les passions; mais on est assez curieux d'apprendre comment ont vécu ceux qui ont su parler à l'imagination et au coeur: on cherche des rapports entre leurs écrits et leur caractère; on veut voir si leurs mœurs répondent aux sentimens qu'ils ont exprimés; on se figure toujours qu'un homme dont les ouvrages sont trèspassionnés a dû l'être beaucoup lui-même, et en cela on se trompe souvent : il en est ordinairement de la sensibilité que les écrivains portent dans leurs ouvrages, comme de celle que les acteurs mettent dans leur jeu; c'est une sensibilité toute d'artifice: c'est un ébranlement de l'imagination, et non un mouvement de l'ame: tel exprime les passions avec feu, qui toujours est resté glacé; tel brûle le papier, dont le cœur est toujours demeuré froid.

Ce n'est sûrement pas comme écrivain à grandes passions que M. Rollin doit exciter la curiosité; mais il a des droits d'un autre genre à notre intérêt; ses douces leçons furent, pour ainsi dire, la première nourriture de notre enfance; ses ou• vrages sont les premiers que nous ayons lus; c'est dans ses écrits qu'on a puisé les premières notions de l'antiquité; il a soutenu et dirigé nos pas encore chancelans dans la carrière des lettres; le souvenir d'un tel maître se mêle agréablement aux souvenirs les plus touchans de notre premier âge. Il est impossible d'ailleurs de lire ses ouvrages, sans aimer l'auteur: ils sont empreints d'un tel caractère de candeur, de droiture, de simplicité, de bonhommie, la vertu la plus vraie et la plus aimable s'y fait si bien sentir, qu'ils gagnent insensiblement le cœur, et qu'ils font chérir l'écri

vain qui paroît s'intéresser si vivement à son lectenr, et qui lui parle un si doux langage.

Rollin, en effet, s'est peint dans ses écrits: ses mœurs avoient la même simplicité et la méme naïveté que son style, et toute sa conduite respiroit la même vertu que ses ouvrages. Il eut le sort de presque tous les grands talens, de naître dans l'obscurité d'une condition très-médiocre (1) son père étoit maître coutelier à Paris; on destina le jeune Rollin au même état; mais un bénédictin des Blancs-Manteaux, dont il alloit quelquefois servir la messe, reconnut en lui des dispositions, et lui obtint une bourse au collége qu'on appeloit les Dix-huit. Il commença ses études avec une grande distinction, et se lia particulièrement avec les deux fils de M. Lepelletier, alors ministre, lesquels étoient ses rivaux dans la classe. Quand le jeune boursier étoit le premier, M. Lepelletier lui

(1) On peut observer ici que parmi les grands écrivains du siècle de Louis XIV, quelques-uns appartenoient aux plus hauts rangs de la société, et d'autres aux dernières classes. Fénélon, La Rochefoucault, le cardinal de Retz, étoient illustres par leurs aïeux avant de le devenir par leurs écrits; Rollin, J. B. Rousseau, Molière, ont tiré de leur génie seul une illustration qui forme avec l'obscurité de leur origine un contraste propre à les faire remarquer davantage. Mais si l'on prend la peine de faire un calcul plus curieux qu'utile c'est dans les classes intermédiaires qu'on trouve, en plus grand nombre, nos orateurs, poètes, historiens, philosophes, etc. ; il faut sans doute conclure de là, qu'une heureuse médiocrité est plus favorable au talent (aussi bien qu'à la vertu), et que, si la pauvreté oppose souvent des obstacles au développement du génie, l'opulence est encore plus souvent l'ennemie du travail et la compague de la mollesse.

Nous ajouterons néanmoins, que suivant M. l'abbé Dubos, il n'est point d'obstacles pour les génies du premier ordre, toujours sûrs de sortir de la foule et de remplir leur destinée, en quelque condition qu'ils aient pu naître. (Voy. les réflexions sur la poésie et sur la peinture, par l'abbé Dubos, tom. II, pag. 24, et suivantes),

envoyoit la gratification qu'il avoit coutume d'envoyer à ses fils. Rollin conserva toujours de la reconnoissance pour le protecteur de, sa jeunesse ; il fut l'ami constant de ses fils, et surveilla l'éducation des enfans de ses compagnons d'études. Le célèbre M. Hersan, sous lequel il étudioit en rhétorique, et qui, pour entretenir l'émulation de ses élèves, avoit coutume de leur donner des épithètes honorables, ne cessoit de répéter qu'on ne distinguoit pas assez le jeune Rollin, et que pour lui, il étoit tenté de l'appeler divin. Il avoit encore coutume de dire, lorsqu'on lui demandoit quelque pièce de vers ou de prose: Adressez-vous à Rolling il fera encore mieux que moi. Rollin n'avoit que vingt-deux à vingt-trois ans, lorsque l'Université le jugea digne de succéder à M. Hersan, appelé à l'éducation de l'abbé de Louvois. Il eut aussi la survivance de la chaire d'éloquence au collége royal dont le même M. Hersan s'étoit démis en sa faveur. Après avoir professé huit ou dix ans de suite au collége du Plessis, il le quitta pour se livrer entièrement à l'étude de l'histoire ancienne, ne retenant que la chaire d'éloquence au collége royal, qu'il ne remplissoit qu'à titre de survivance et sans aucun émolument: il avoit environ sept cents liv. de rente, et il étoit riche. L'université ne tarda pas à le rappeler dans son sein, en le nommant Recteur en 1694; elle le continua même dans cette dignité pendant deux ans de suite, ce qui étoit une fort grande distinction. Il montra dans cette place beaucoup de zèle pour la défense des priviléges du corps dont il étoit le chef, et ne fut pas moins jaloux de remplir toutes les obligations qu'elle lui imposoit. Il fit la visite des colléges, pratique salutaire qui avoit été trop négligée; il

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