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pour lui manquer de respect. Malgré toute l'estime que l'on conserva pour M. de Choiseul, on ne put lui pardonner ses anciens torts; on en craignoit de nouveaux.

M. de Choiseul recouvra donc sa liberté entière ; mais il ne put reconquérir sa faveur passée, ni réparer le délabrement de sa fortune- Déchu de son crédit à la cour, déchu de sa splendeur à Chanteloup, il couroit sans cesse de l'une à l'autre, et trouvoit par-tout des regrets et des dégoûts. Rebuté des vaines espérances, fatigué d'inutiles agitations, M. de Choiseul est mort, oublié des trois quarts de la France, indifférent au reste, à peine environné de quelques amis.

M. de Choiseul a conservé, jusqu'au dernier moment, cette grace, cet enjouement, ce tour fin, délicat, spirituel qui caractérise un Français parfaitement aimable et dn rang le plus distingué. Homme d'état du premier ordre, imposant au-dehors, absolu au-dedans; ardent au plaisir comme aux affaires; infatigable au travail, et supérieur à toutes les difficultés; grand dans ses conceptions, hardi dans ses projets; toujours maitre de l'ensemble, et jamais étranger à aucun détail; ami zélé et fidèle, ennemi généreux, brave, fier, audacieux; aucun de ces traits ne sauroit être déplacé dans son éloge, ni désavoué par la postérité qui le jugera. On regrette amèrement que tant de brillantes qualités aient été obscurcies ou plutôt dominées par un caractère violent, impétueux, qui le mit hors de mesure dans des circonstances importantes et décisives. M, de Choiseul a manqué à sa destinée. des plus graves autorités, et même sans recourir à celle de Voltaire, qui pourtant ne seroit pas suspect à cet égard, et qui a dit du Dauphin :

Il vécut en sage, et mourut en héros.

Il n'a pas remplila carrière que la fortune lui avoit ouverte. Quinze années de sa vie ont été perdues pour l'Etat et pour lui-même. Sa place dans l'histoire ne sera pas obscure. Il n'eût tenu qu'à lui qu'elle fût plus éclatante, et il semble qu'on lui reprochera toujours, avec raison, d'avoir sacrifié une grande partie de sa gloire à sa vanité (1)

(1) Ce portrait nous paroît flatté: au reproche de la vanité l'histoire en joindra peut-être de beaucoup plus graves. Comment pourra-t-elle dissimuler, par exemple, l'accueil et la protection qu'accordoit M. de Choiseul aux ennemis connus de la monarchie et aux premiers auteurs de la révolution, car c'est aux philosophes que M. de Condorcet en fait honneur? On sait combien ils triomphèrent de l'expulsion des jésuites, l'acte le plus remarquable du ministère de M. de Choiseul, et qui nous paroît bien apprécié dans le passage suivant de M. de Lalli - Tollendal : « Nous > croyons, dit cet éloquent écrivain, pouvoir avouer, dès ce » moment, que dans notre opinion, la destruction des jésuites fut » une affaire de parti et non de justice; que ce fut un triomphe

orgueilleux et vindicatif de l'autorité judiciaire sur l'autorité » ecclésiastique, nous dirions même sur l'autorité royale, si nous > avions le temps de nous expliquer; que les motifs étoient futi

les ; que la persécution devint barbare; que l'expulsion de plu>sieurs milliers de sujets hors de leurs maisons et de leur patrie » pour des métaphores communes à tous les instituts monastiques, » pour des bouquins ensévelis dans la poussière, et composés dans > un siècle où tous les casuistes avoient professé la même doc> trine, étoit l'acte le plus arbitraire et le plus tyrannique qu'onput > exercer; qu'il en résulta généralement le désordre qu'entraîne » une grande iniquité; et qu'en particulier une plaie jusqu'ici in> curable, fut faite à l'éducation publique, et notamment à l'édu>cation monarchique. M. Séguier, obligé par son corps de pren>dre une part active dans cette guerre acharnée contre des reli>gieux, y mit au moins tout ce qu'il put de modération et de > douceur. C'étoit en quelque sorte solliciter l'indulgence pour

eux que de rappeler, comme il le fit, les services qu'ils avoient > rendus à la religion, aux sciences et aux lettres. Elevé par eux,ţil » pouvoit juger combien on les calomnioit; il savoit que pour > un Lavalette et pour un Lavaur cette société comptoit dans son > sein trente Bourdaloue et autant de Porée, de la Rue, de > Tournemine, d'Orléans, de Vanière, etc. »

(Meroure du 25 janvier 1806.)

Rien n'est plus digne peut-être de l'attention de l'observateur que ces hommes puissans réduits toutà-coup à la condition de la vie privée, après avoir joué un grand rôle sur la scène politique. On aime à voir de quel air ils soutiennent leur chûte ; et la contenance qu'ils gardent dans le changement de leur fortune révèle leur foiblesse ou leur mérite véritable. Leur exemple est une grande leçon dans l'étude du cœur humain. Si la malignité se réjouit de leur humiliation, on éprouve au contraire une espèce de mouvement de fierté, un. sentiment consolateur, lorsque leur courage ne se dément point au sein de l'infortune ou de la défaveur. Deux hommes de cette dernière trempe honorent nos annales, Lhopital et Sully. L'antiquité n'offre pas, en ce genre, de plus parfaits modèles.

Lhopital ne quitte point la cour à l'aspect d'une courtisane. De plus grands motifs déterminent sa résolution. Après avoir lutté de toute sa probité, de toute son éloquence, de tout son courage contre l'ambition des Guise, l'obstination des protestans, les fureurs des catholiques, les foiblesses honteuses d'une cour corrompue, il cède à l'orage qu'il a su prévoir et qu'il n'a pu conjurer. Il connoit l'acharnement des partis, les coupables des

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Quant à l'enjouement et à l'ardeur pour le plaisir, toutes choses qu'on n'a pas remarquées dans les Richelieu, les Mazarin, les Sully nous n'oserions y voir un trait d'éloge pour M. de Choiseul; et ce n'est pas en effet, ce qu'il y a de plus nécessaire dans un premier ministre. Nous doutons même qu'on soit véritablement digne d'un tel poste, ni qu'on prenne le chemin pour y arriver (excepté sous des princes, tels que le régent qui prépara le régne de Louis XV), quand on est réellement aussi ardent au plaisir qu'aux affaires.

Nous observérons, en finissant, que M. de Bezenval qui, dans ses mémoires, défend M. de Choiseul son ancien protecteur, ayoue néanmoins, entr'autres griefs, qu'il en étoit venu à braver roi et à élever autel contre autel.

seins des chefs, la perfidie des conseils, la bassesse des moyens; au milieu du tumulte des passions, sa voix n'est plus entendue, sa modération est suspecte, sa vertu est méprisée; il juge que le moment est arrivé où l'homme de bien lutteroit inutilement contre la ligue redoutable des méchans. Il se replie sur lui-même, renferme son indignation, se couvre de sa robe, comme César frappé au sénat, et s'éloigne sans retour. Les affreuses destinées de la France s'accomplissent. Les malheurs prédits par Lhopital éclatent et la couvrent de sang et de deuil dans cette nuit fatale de la St. Barthelemi. Le vénérable magistrat l'apprend dans sa retraite, il lève au ciel ses yeux baignés de larmes, et s'écrie: Excidat illa dies, périsse à jamais cet horrible souvenir ! Ce dernier coup épuise le peu de forces qui lui restent. Tant de vertu ne peut plus habiter cette terre coupable et désolée, elle doit se hâter de retourner à sa céleste origine. Lhopital meurt, et le dernier souffle de cette belle ame, avant de s'élancer vers le ciel, est un vœu pour sa patrie.

La retraite de M. de Sully offre un spectacle plus sublime encore et non moins touchant.

Henri IV est assasiné au milieu de Paris. Le cri de la douleur publique retentit aussitôt à l'Arsenal, et vient frapper les oreilles du grand-maître. Il n'y a point d'expression qui puisse rendre la consternation, le désespoir dont son cœur est navré et déchiré tour-à-tour, en apprenant cette affreuse nouvelle. Cependant, après avoir mêlé ses larmes à celles de la régente et du jeune enfant destiné à porter, une couronne sanglante, il réprime avec force les mouvemens d'une afflic

tion immodérée. La sienne est vive et profonde, mais calme, mais auguste, telle qu'elle convient à la fermeté de son caractère, telle que l'exige là perte d'un héros. M. de Sully rappelle tout son courage pour se livrer, quelque temps encore, aux fonctions indispensables de son ministère; et, libre enfin de tous ses devoirs, il se hate de quitter des lieux teints du sang de son royal bienfaiteur' de son immortel ami. Il emporte avec lui l'image révérée de ce maître si chéri, si digne de l'ètre. Elle est sans cesse attachée sur sa poitrine; ses yeux ne la quittent point; souvent il la porte à ses lèvres, et l'inonde de pleurs.

Sully ne traîne point avec lui à Villebon un essaim d'adorateurs qui doivent lui payer les hommages d'un jour, et l'oublier tout le reste de leur vie; il a une autre espèce de magnificence qui n'en est pas moins imposante. Réuni à sa famille qui le vénère, à ses vassaux auxquels il tient lieu de père, il est encore le représentant du plus grand monarque de son siècle, et l'un des premiers hommes de l'état. L'opulence qui l'environne, le cérémonial qui règle sa maison, les honneurs qu'on lui rend, annoncent assez qu'il n'a perdu de son ancienne splendeur que ce qu'il a bien voulu en abandonner lui-même. Ce qu'il en conserve encore, n'est pas de la vanité ou de l'ostentation, c'est de la grandeur, c'est de la dignité. M. de Sully n'a pas besoin d'aller à St.-Germain épier le hasard d'un coup d'oeil ; ou mendier la faveur d'un sourire. C'est le nouveau gouvernement lui-même qui s'honore de le consulter sur les affaires publiques. L'histoire nous a conservé le souvenir de ce jour de triomphe où Sully, appelé au conseil, se vit d'abord exposé aux insipides railleries d'une Tome V

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