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nécessaire, fût inconnue à M. de Choiseul. Il l'a prouvé par ses réformes dans le département des affaires étrangères. Ses opérations dans le ministères de la guerre ont été vues moins favorablement. Après les honteuses campagnes de la guerre de sept ans, une réforme paroissoit indispensable, Mais falloit-il, pour cela, forcer à la retraite un nombre prodigieux de vieux militaires qui perdirent par là toute espérance d'augmenter leur fortune et leur gloire ? L'attachement aux anciennes institutions, le véritable esprit monarchique n'en fut-il pas altéré d'une manière fatale au gouvernement? Cette foule de jeunes officiers, avides de nouveautés, ne produisit-elle pas ensuite cette secte de faiseurs, d'instructionnaires, qui en vinrent ensuite à joindre à l'instruction tudesque la discipline des coups, si avilissante pour le soldat français ? Toutes ces questions seront examinées lorsqu'on s'occupera à rechercher toutes les causes de la révolution. Elle n'étoit certainement point dans les desseins de M. deChoiseul. S'il fit alors une faute, il ne faut l'imputer qu'à son imprévoyance (1). II vaut mieux parler de la considération, de la préponderance politique qu'il rétablit chez l'étranger en faveur du cabinet de Versailles. II vaut mieux rappeler l'influence qu'il s'étoit acquise sur le ministère de la marine, et la manière dont il en profita pour élever les colonies des Antilles, et SaintDomingue sur-tout, à ce haut point de splendeur et de richesses qui en firent, depuis, un sujet d'envie pour nos implacables rivaux.

"M. de Choiseul a certainement des titres à la re

(1) Il faut, sans doute, en dire autant de la faveur qu'il accordoit aux philosophes, et notamment à Voltaire. (Voy. la note de la page 222.)

connoissance de la postérité. Il en eût obtenu davantage, s'il eût su mépriser ces petits dégoûts, ces honteuses cabales auxquels il crut devoir faire le sacrifice de son existence politique. Il est incontestable que Louis XV ne se fût jamais déterminé à l'éloigner. La confiance que lui inspiroient ses lumières administratives; l'agrément d'un travail facile et léger, même dans les choses les plus sérieuses; l'habitude, qui a tant d'empire sur les ames indolentes; l'espèce d'attrait qui attache de plus en plus à ceux qu'on a comblés de graces, tout enchaînoit le monarque d'un lien presque indissoluble. Mais M. de Choiseul voulut provoquer une rupture éclatante, et il y parvint. La faveur naissante de Mme Dubarry, au lieu d'exciter en lui un dédain généreux, provoqua tous ses ressentimens. Il voulut irriter son maître, insulter un vieillard épris dans ses affections les plus blâmables, à la vérité, mais les plus impérieuses. M. de Choiseul avoit cependant d'autres exemples à suivre. Il n'avoit qu'à choisir ou celui de Sully qui, par l'ascendant de sa vertu, avoit conservé toute l'amitié d'Henri IV, malgré les intrigues de ses dangereuses maîtresses, ou celui de Richelieu qui, par des moyens plus violens, avoit triomphé de toutes les cabales sans cesse renaissantes des princes du sang, des grands et des favoris. M. de Choiseul est d'autant plus inexcusable, qu'il n'avoit affaire ici qu'à une courtisane qui avoit peu d'esprit, peu de méchanceté, point de manége, et qui se seroit trouvée flattée de la moindre démande, de la politesse la plus insignifiante. Cette conduite lui étoit déjà indiquée par un homme d'un beau nom et d'une honnêteté reconnue. Cet homme étoit le marquis d'Escars. Il fut un des premiers courtisans que le roi mena aveo

lui, ou plutôt traîna chez Mme Dubarry. Le lendemain, M. d'Escars s'aperçut qu'on le traitoit assez froidement dans l'Eil-de-Bœuf. «Messieurs, dit-il » en élevant la voix, il y a vingt ans que je suis » comblé des bontés du roi ; j'ai cru ne pas devoir >> lui refuser un témoignage de respect et de sou» mission. J'ai fait hier, par complaisance et par >> attachement, ce que, dans huit jours, mille >> autres feront par bassesse.»

C'étoit là une belle leçon. M. de Choiseul n'en profita point. Il prit un parti contraire. Il céda à l'humeur, peut-être à l'importunité de ses flatteurs ou de sa propre famille; il afficha l'opposition; it voulut se faire gloire d'une arrogante résistance, il en fut la victime. Cependant, nul n'avoit été comblé de plus de faveurs. Duc et pair, gouverneur de province, décoré de tous les ordres, sur-intendant des postes, ministre de la guerre, ministre des affaires étrangères, ministre de la marine sous le nom de son foible parent, le duc de Praslin, colonel-général des Suisses et Grisons, il avoit absorbé toutes les graces; il réunissoit les titres les plus éminens, les postes les plus lucratifs. Que ne devoit-il pas au roi! Que de motifs n'avoit-il pas pour dissimuler les écarts, pour couvrir les foiblesses de son bienfaiteur! Il se devoit encore plus à l'état qui avoit toujours besoin de ses services. Ces considérations ne l'arrêtèrent pas. Il crut que le monarque n'oseroit jamais le remplacer. Ses manières hautaines et dédaigneuses surmontèrent enfin l'attachement qu'on avoit pour lui. L'irritation, l'impatience suppléèrent à l'énergie, et l'idole fut brisée.

L'exil de M. de Choiseul fut d'abord une espèce de triomphe. Toute la cour, toute la France cou

rut à Chanteloup. On y fit bâtir un pavillon où furent inscrits tous les noms de ceux qui venoient faire cortège à l'illustre proscrit. On voyoit à la tête de cette liste fastueuse, le premier prince du sang. On ne refusoit de permission à qui que ce soit. Versailles fut un moment presque désert; mais bientôt on reprit ses anciennes habitudes. On étoit allé se faire écrire à Chanteloup. C'étoit une mode qui passa comme tant d'autres. La foule des adorateurs diminua peu à peu. Ces restes d'une ancienne faveur, ces fumées de gloire, se dissipèrent. L'isolement produisit les regrets. La dissipation d'une immense fortune, la privation d'émolumens considérables, forcèrent à des démarches presque honteuses. On voit dans les Mémoires de M. de Choiseul, les amis de celui-ci réduits à solliciter en vain, auprès de cette favorite tant méprisée, une audience que le monarque aigri s'obstine à refuser, et le sort de M. de Choiseul remis à l'arbitrage du duc d'Aiguillon, son plus cruel ennemi. Il est peu d'exemples d'un revers aussi complet, aussi humiliant. La cour de Chanteloup en est consternée. La fureur, le dépit, la vengeance s'emparent de tous les esprits, de tous les coeurs. On fait des satires, on joue des comédies allégoriques, on aiguise des épigrammes sanglantes. Mais des épigrammes ne consolent point. Elles décèlent l'ennui, accusent l'impuissance, aigrissent les ressentimens, longent l'infortune.

pro

Un chêne orgueilleux s'élève au-dessus de tous les autres, et semble défier les atteintes de la foudre et les outrages du temps. Il ne faut pas cependant beaucoup d'efforts pour l'humilier et le détruire. Un souffle malfaisant s'attache à lui, et le voilà frappé de mort. Il paroît sain encore à l'extérieur:

mais, au-dedans, s'est glissé un principe de corruption. Un ver meurtrier l'a piqué au cœur ; il empoisonne la sève, il ronge les fibres : peu à peu, Parbre se flétrit, se dépouille, se dessèche, et tombe en débris. Naguère, c'étoit une idole révérée, maintenant ce n'est plus qu'un tronc aride, sans honneur, sans ornement, presque sans vie. C'est l'inutile lignum du poëte de Tivoli. Bien loin de songer à en faire un dieu, on n'en voudroit pas même pour un escabeau. 'Felle est l'image d'un ambitieux disgracié. Telle fut la destinée de M. de Choiseul.

Quelques temps avant sa mort, on assure que Louis XV, apprenant le premier partage de la Pologne s'étoit écrié : Si Choiseul étoit ici les choses se seroient passées autrement. Souvenir honorable pour le ministre, inutile regret pour le favori! La disgrace de M. de Choiseul n'en reçut pas le moindre adoucissement. Il essaya de se présenter à la nouvelle cour. On rendit quelque justice à ses services passés; mais on ne l'employa point. Malgré toute la faveur de la reine, Louis XVI ne put oublier la scène très-vive qui s'étoit passée entre le dauphin, son père, et l'exministre. Celui-ci en rend compte dans ses Mémoires. Quelque raison qu'eut M. de Choiseul, il oublia dans ce moment les premières convenances. Il pouvoit se justifier sans menacer l'héritier présomptif de la couronne, de son peu d'attachement. M. le dauphin étoit un prince très-vertueux et très-attaché à tous ses devoirs. Il y avoit peut-être un peu de superstition dans ses idées religieuses (1); ce n'étoit pas un motif

(1) Le lecteur instrait n'aura garde, sans doute, d'adopter cette opinion de M. D. qui à la vérité l'accompagne d'un peut-être bien Lécessaire; il seroit aisé en effet d'appuyer l'opinion contraire

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