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ses passions dans les querelles de l'Europe, où elle auroit autrefois interposé son autorité; et, pour en citer le trait le plus remarquable, ce que Louis XIV n'auroit pas tenté au fort de ses prospérités, Louis XV l'essaya dans sa foiblesse : et il voulut ôter l'empire d'Allemagne à la maison d'Autriche, pour en revê→ tir une famille qui auroit plié sous ce fardeau, et qu'il auroit fallu y soutenir malgré elle-même; et telle fut la différence des temps, ou plutôt des hommes, que les brillantes campagnes qui marquèrent le milieu du règnè de Louis XV, ne purent sauver à la France l'humiliation de voir un commissaire anglais assister en personne à la démolition de nos ports, et que les revers qui avoient affligé les dernières années de Louis XIV, n'avoient pu l'empêcher de disposer de la couronne d'Espagne en faveur de son petit-fils. La France s'effaçoit insensiblement du nombre des puissances indépendantes: toutes se mettoient en équilibre avec elle; et le roi de Prusse, son allié, autrefois son client, osa faire à main armée, chez un peuple voisin et ami, une révolution qu'il falloit faire nous-mêmes, si elle étoit utile, ou empêcher, si elle ne l'étoit pas. La France, conseillée par la philosophie, alloit au-delà des mers appuyer la révolte et fonder une démocratie de marchands funeste exemple pour tous les peuples, voisinage plus dangereux pour nos colonies même que celui de la puissance anglaise ! Et elle laissoit détruire à ses portes une vieille monarchie, noble enfant de la chrétienté, barrière nécessaire contre les grandes invasions, le premier de tous les Etats appelés par la nature à l'indépendance (1)

(1) La position de la Navarre et de l'Ecosse, plus encore que leur foiblesse, leur défendoit d'aspirer à l'indépendance. La Hongrie, pressée par un voisin redoutable, ne pouvoit conserver son

qui, depuis Charlemagne, eût disparu de la grande famille; mais depuis que l'aîné avoit perdu tout pouvoir, le désordre étoit dans la maison: les plus jeunes se battoient entr'eux, et, à défaut d'un centre commun d'autorité, ils cherchoient leur sûreté dans des équilibres de puissances(1).LaPologne fut la victime de ce système. Trois puissances, à diverses reprises, s'arrangèrent paisiblement pour la partager en trois lots, qui furent pesés dans la balance de l'ambition et de la force. Cet événement honteux, préparé depuis long-temps par la philosophie de Frédéric et de Catherine, mais que nos philosophes, et pour cause, n'ont reproché qu'à Marie-Thérèse, termina le règne de Louis XV, ou plutôt son siècle, puisqu'il ne fut consommé que sous son successeur.

La philosophie du dix-huitième siècle avoit (elle l'avoue elle-même )(2), ébranlé toutes les idées po→ sitives ; elle avoit affoibli la religion, égaré la politique, corrompu la morale, iutimidé les rois, exaspéré les peuples, avili le clergé, porté atteinte à la indépendance, et assurer celle de l'Europe, qu'en s'appuyant à l'Autriche, et cependant, les titres de ces monarchies ont été con. servés, au lieu que tout a péri de la Pologne, jusqu'à son nom. (Note de l'Auteur.)

1

(1) Le lecteur s'aperçoit peu-être que ce morceau d'histoire appartient à un article plus étendu sur l'équilibre de l'Europe, où l'auteur a eu pour but d'établir, contre cet équilibre, un droit d'aînesse ou une supériorité héréditaire de la France sur le reste de l'Europe: système contre lequel on a fait beaucoup d'objections, inutiles à rappeler;il vaut mieux remarquer, qu'on est d'autant moins obligé d'admettre ce système, qu'en le rejetant on n'ôte rien à la force des argumens de l'auteur contre la philosophie moderne ; c'est cette philosophie que M. de Bonald a toujours en vue, et qu'il importe de dévoiler toute entière, afin de remettre en honneur le sens commun, à la place duquel elle avoit mis tant de choses qui lui ressemblent si peu.

(2) Voyez le feuilleton du Publiciste du premier mai 1807.

juste considération de la magistrature, et même à l'honneur de la profession militaire, par ses éternelles et indiscrètes déclamations contre la guerre; et pour nous consoler de tant de pertes, elle nous avoit donné la Pucelle, le Contrat Social, le Système de la Nature, le livre de l'Esprit, l'Encyclopédie, quelques académies de plus, et des théâtres par-tout.

A tant de succès, il manquoit le triomphe, et le chef du parti, vieilli dans une guerre de soixante ans contre le Christianisme, vint le recevoir dans la capitale, sous les yeux de l'autorité qui avoit flétri ses ouvrages! Il y fut accueilli avec des honneurs presque divins : fètes impies que Sully n'auroit pas plus permises que Richelieu. Je remarque cet événement, parce que ceux qui le répétèrent sur l'image de Voltaire, aux premiers jours de nos malheurs, nous révélèrent l'importance qu'ils y attachoient, qu'ils en firent comme l'inauguration de la révolution, dont Voltaire, suivant l'historien de sa vie, a été le premier auteur (1); et que l'ado

le

genre

(1) L'historien dont parle M. de Bonald est Condorcet, qui s'exprime ainsi : « Il me semble qu'il étoit impossible de dévelop› per davantage les obligations éternelles que humain » doit avoir à Voltaire. Les circonstances actuelles (la révolution) > en fournissoient une belle occasion. Il n'a point vu tout ce qu'il » a fait, mais il a fait tout ce que nous voyons. Les observateurs » éclairés, ceux qui sauront écrire l'histoire, prouveront à ceux » qui savent réfléchir, que le premier auteur de cette grande » révolution qui étonne l'Europe, et répand de tous côtés l'espérance chez les peuples, et l'inquiétude dans les cours, c'est sans contredit Voltaire. C'est lui qui a fait tomber la première et la > plus formidable barrière du despotisme, le pouvoir religieux et > sacerdotal. S'il n'eût pas brisé le joug des prêtres, jamais on » n'eût brisé celui des tyrans. L'un et l'autre pesoient ensemble → sur nos têtes, et se tenoient si étroitement que, le premier une› fois secoué, le second devoit l'être bientôt après. L'esprit hu

ration du dieu du bel esprit se trouva ainsi liée au culte de la déesse de la Raison.

Si jamais un poète entreprend de retracer l'histoire de nos calamités, et qu'usant du privilége de l'épopée, d'assister aux conseils de la Divinité, il représente, comme Homère, l'Eternel pesant dans des balances d'or les destinées de la France, il assignera à ce jour funeste le moment où un jugement. sévère fut porté sur la France et sur ses maîtres, et où, au milieu de nos joies insensées, une main invisible écrivit sur les murs de la demeure royale ces terribles paroles, qui disent à. unc nation que ses jours ont été comptés, ses crimes pesés, et que son pouvoir va être divisé.

Il n'y avoit plus de pouvoir en France, puisque la religion y étoit impunément outragée par ses ennemis. Il n'y avoit plus de pouvoir en Europe, puisque la chrétienté y étoit impunément mutilée par ses propres enfans. Dès ce moment la France et l'Europe furent en équilibre entre la monarchie et la démocratie, entre l'ordre et le désordre, entre la vie et la mort et tout annonça aux esprits attentifs que ces royaumes divisés eux-mêmes, suivant l'oracle de la divine sagesse, alloient étre désolés.

Les jours de la désolation arrivèrent: hâtés par les uns, prévus par les autres, au point que l'annonce du bouleversement dont ces funestes doctrines menaçoient la société, étoit devenu, depuis quarante ans, un lieu commun des discours de la > main ne s'arrête pas plus dans son indépendance que dans sa » servitude; et c'est Voltaire qui l'a affranchi, en l'accoufumant » à juger, sous tous les rapports, ceux qui l'asservissoient. C'est » lui qui a rendu la raison populaire; et si le peuple n'eût pas › appris à penser, jamais il ne se seroit servi de sa force. C'est » la pensée des sages qui prépare les révolutions politiques ; maig » c'est toujours le bras du peuple qui les exécute.

chaire, et même des réquisitoires du ministère public. Alors commença pour la France, pour l'Europe, peut-être pour le Monde, cette révolution que les rois et les peuples ne sauroient assez méditer; cette révolution qui a laissé, dans les esprits et dans les mœurs, des traces de désordres bien plus profondes que dans les fortunes; mais qui cependant, grace à notre caractère, et même à nos vertus, sera bientot oubliée, lorsque ceux qui l'ont faite l'auront pardonnée à ceux qui l'ont supportée.

B... d.

X X V.

Sur le duc de Choiseul.

M. de Choiseul a occupé dans le monde un posto trop éclatant pour n'avoir pas eu beaucoup d'ennemis. On lui a, comme de coutume, fait une multitude de reproches injustes ou exagérés. On a rendu assez de justice à son esprit, à ses talens, à ses qualités brillantes. Mais il avoit de plus de l'élévation dans l'ame, ce qui suppose de la probité, de la droiture, de la franchise, qualités si nécessaires à un particulier, et toujours recommandables dans un homme d'état. Il s'est peint d'une manière assez vraie dans ses Mémoires. On lui a reproché d'excessives dépenses, comme si des réformes immen¬ ses et de grandes améliorations n'exigeoient pas des sacrifices extraordinaires. Il n'y a qu'un homme médiocre qui économise dans une place éminente. Un administrateur du premier ordre faitde grandes avances et crée de grandes ressources. Il ne paroît pas cependant que l'économie, quand elle étoit

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