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» dépravation des moeurs, le Systéme en est encore >> une plus marquée de la dépravation des ames. » Le succès du Systéme de Law eût été un crime : sa chûte fut une calamité; et toutes les idées que fit naître cette opération fatale, et tous les désordres qu'elle entraina, firent aux moeurs publiques une plaie que la conduite personnelle du régent n'étoit pas propre à guérir. Les mœurs de Louis XIV n'avoient pas été pures; mais telle étoit, jusque dans ses foiblesses, la dignité de son caractère, que ses favorites, toutes d'un grand nom, la plupart distinguées par leur esprit autant que par leur beauté, quelques-unes même célèbres par leur repentir, paroissoient moins servir aux passions de l'homme qu'au faste du monarque, et qu'on s'étoit accoutumé à les regarder, ou peu s'en faut, comme un officier de la maison. Les maîtresses du régent furent de viles prostituées, sans honneur et sans décence: funeste exemple que son royal pupille imita depuis, et même surpassa! Le régent, avili dans l'opinion, s'arma de l'effronterie contre le mépris. Il érigea le libertinage en systême; et bientôt, à son exemple, on raisonna la corruption, on philosopha sur la débauche, l'esprit se joua de tout, et même de l'infamie; et comme il faut de nouveaux mots pour exprimer de nouvelles idées, et des mots honteux pour exprimer des idées infâmes, le nom de roués désigna des hommes que le prince initioit à ses plaisirs, et que leur naissance et leur rang offroient à la nation comme ses modèles. La nation, jusque là si grande et si grave, tomboit dans le petit esprit : symptôme le plus assuré de décadence. Elle y tomboit, et par la légèreté avec laquelle elle traitoit les choses les plus sérieuses, et par l'importance et Pengouement qu'elle inettoit aux choses frivoles et

même puériles, à commencer par les pantins, Ce double caractère qui a reparu à toutes les époques de désordre, n'a pas, depuis la régence, quitté la nation française, même à ses derniers momens.

Mais ce qui contribua le plus efficacement à avilir insensiblement la nation aux yeux de l'Europe, ce fut la philosophie sophistique de ce siècle : cette philosophie qu'une secte d'écrivains, ou plutôt une compagnie de spéculateurs tiroit de l'étranger comme une matière première, et qu'elle colportoit dans toute l'Europe, manufacturée en France avec un si déplorable succès, et mise dans des ouvrages de tous les genres, à la portée de tous les esprits.

Il ne faut pas croire sur la foi de quelques étrangers, russes, polonais, anglais, italiens, avec qui Voltaire étoit en commerce réglé de célébrité, et dont il a eu soin de nous transmettre les lettres de félicitation et d'éloges, pas même sur la foi de quelques souverains du Nord, dont les vertus, aujourd'hui mieux connues, ne recommandent pas les opinions philosophiques; il ne faut pas croire que notre philosophie fit l'admiration des peuples étrangers. Si des jeunes gens, avec des connoissances de collége, et les passions de leur âge, si de beaux esprits aussi frivoles que leurs études, véritables prolétaires dans l'état littéraire, se rangeoient de toutes parts sous les drapeaux de ces nouveaux chefs, dans l'espoir d'obtenir, à la faveur du désordre, quelque part de renommée, par-tout les vrais savans qui sont les grands propriétaires de l'empire des lettres, les hommes judicieux en grand nombre chez les peuples chrétiens, les chefs de famille qui par-tout sont la nation, dépositaires de ses principes et de ses moeurs, et qui sans écrire ni vers ni prose, éclairés, dès leurs enfance,

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de toutes les lumières de la morale chrétienne. n'en forment pas moins, à la longue, l'opinion publique et l'esprit général, ne voyoient qu'avec hor reur les progrès d'une doctrine dont la conséquence immédiate étoit de dissoudre tous les liens de famille et d'Etat; de justifier toutes les passions, et d'ébranler tous les fondemens de la paix domestique et de l'ordre public. Voltaire lui-même, le coryphée de la secte, connoissoit si bien le foible du parti, qu'il écrivoit à d'Alembert: «Telle est notre situa»tion, que nous sommes l'exécration du genre hu > main,si nous n'avons pour nous les honnêtes gens, Sans doute la France faisoit du bruit dans le monde avec sa littérature et sa philosophie; mais l'espèce de sentiment qu'elle inspiroit étoit celui qu'obtient dans un cercle l'homme brillant et corTompa qui se fait écouter et craindre, mais dout personne ne voudroit faire son conseil ou son ami.

Les nouveaux docteurs traitoient la politique comme la morale. On voyoit avec étonnement des écrivains, nés la plupart dans les rangs inférieurs de la société, étrangers à toutes les idées qu'inspire la propriété, à tous les sentimens que donne l'habi tude de la supériorité et de la considération, et qui avoient dépouillé tout principe de cette religion qui apprend à obéir, lorsqu'on n'est pas appelé à com mander; ou les voyoit s'ériger en directeurs des peuples et en tuteurs des rois. Assez instruits de tout ce qui s'apprend dans les livres, mais sans aucune de ces connoissances bien autrement positives que donne la pratique des hommes et des affaires, possédés, comme dit Leibnitz, de la manie de l'antique, ils cherchoient perpétuellement dans une nature imaginaire dont ils exagéroient les vertus, des Ieçons inapplicables à nos sociétés modernes dont ils

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exagéroient les vices; et croyoient les anciens des maîtres en politique, parce qu'ils ont été nos maitres en littérature. Dans leur fureur de régenter les gouvernemens, ils ne parloient aux peuples que pour flatter leurs passions; ils ne parloient des rois que pour calomnier leurs intentions, grossir leurs défauts, avilir leur dignité; et, portant dans leurs systêmes d'administration, et les petites jalousies de la médiocrité, et les petites vanités du bel esprit, ils décrioient les fonctions de la vie publique pour exalter la vie domestique, l'agriculture, les arts, le commerce qu'ils n'entendoient pas; conseillant à tort et à travers dans l'agriculture, les défrichemens et le partage des communaux ; dans les finances, les emprunts; dans l'économie publique, le luxe ; élevant le commerce au-dessus de tout; inspirant aux hommes publics la manie des arts, et aux peuples la fureur du pouvoir; et faisant ainsi des grands, des servitenrs inutiles, et des petits, des sujets mé contens en attendant d'en faire des maitres féroces.

Le gouvernement les laissoit faire il payoit même des écrivains qui avoient l'extrême complai sance de lui révéler des abus ignorés jusqu'à eux, incertain s'il n'étoit pas lui-même le premier et le plus grand des abus; intimidé par je ne sais quelle magie de mots qui retentissoient d'un bout de l'Eu rope à l'autre, il souffroit tout au nom de la tolér rance, permettoit tout au nom de la liberté, cons piroit contre lui-même au nom de l'égalité, et contre la religion au nom de la philosophie; accordoit tout au bel esprit: et bientôt le titre d'académicien seroit devenu une fonction publique.

Les institutions fortes, puissant moyen d'administration entre les mains d'un gouvernement éclairé, n'offroient plus qu'un secours importun à Tome V.

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un gouvernement affoibli, qui ne vouloit pas des moyens plus forts qu'ils ne l'étoit lui-même; et, comme un soldat énervé, il jetoit des armes dont il n'avoit plus la force de se servir. Violent par foiblesse, il détruisoit, poussé par la philosophie du jour, ces institutions religieuses à qui, depuis plusieurs siècles, avoit été confié l'enseignement public, et qui avoient élevé tous nos grands hommes ; et il ne les remplaçoit pas. Il détruisoit ces institutions politiques, placées entre le roi et les peuples pour donner l'exemple de l'obéissance, après avoir montré les bornes de l'autorité : premier corps de magistrature de l'Europe, même avec les défauts qui tenoient presque tous à l'esprit général du siècle; il détruisoit même ces institutions militaires qui entouroient le trône, pour le défendre bien moins par leurs armes que par leur incorruptible fidélité. Nos philosophes s'applaudissoient de toutes les fautes de l'autorité, des malheurs même du temps; et c'est au milieu des querelles de religion et d'état, qui consternoient les honnêtes gens, que Voltaire écrivoit ces cruelles paroles : « De quelque manière que >> les choses tournent, je suis assuré d'y trouver de » quoi rire. »

La politique extérieure n'alloit pas mieux que l'administration: les nouveaux publicistes avoient pris à tâche de déprimer la France, et d'exalter l'Angleterre, ses lois, ses mœurs, son administration, sa littérature; et de là cette anglomanie, si ridicule dans l'individu qui en étoit atteint, mais si dangereuse pour l'Etat, où des affections étrangères prenoient la place de l'amour du pays: et, même en France, il étoit presque honteux d'être Français.Une nation qui ne s'estime plus elle-même, ne peut plus rien faire de grand. La France portoit

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