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dans le récit des faits, méthodique dans leur disposition, sage dans les réflexions, et écrite,du style le mieux assorti au sujet, n'étoit, aux yeux de quelques écrivains, qu'une gazette sans intérêt et sans utilité. Comme la philosophie bien entendue est la recherche des causes et la connoissance de leurs rapports avec les effets, on pourroit croire que la méthode d'histoire regardée alors comme la plus philosophique, devoit être celle qui présente l'ensemble et le résumé des faits, dévoile leurs causes, indique leurs rapports, et puise dans cette connoissance des réflexions générales sur l'ordre religieux et politique de la société; mais on se, tromperoit étrangement. Une histoire philosophique, telle qu'on en faisoit alors, consistoit en exceptions qu'on donnoit pour des règles, en faits particuliers, et presque toujours isolés, même en anecdotes ; et plus d'un écrivain célèbre a été accusé d'en trouver dans son imagination, quand sa mémoire ne lui en fournissoit pas. Tout y étoit particulier, et même personnel; et il n'y avoit de général qu'un esprit de haine et de détraction de la politique et de la religion modernes. Ainsi il étoit indispensable, pour écrire l'histoire philosophiquement, de donner toujours aux gouvernemens anciens la préférence sur les gouvernemens modernes ; et généralement, aux temps du paganisme sur les temps chrétieus. La liberté se trouvoit nécessairement dans les constitutions des anciens, toutes plus ou moins démocratiques, la perfection dans leurs

qui seroient comme des lisières avec lesquelles on voudroit retenir Ies pas d'un enfant qu'il faut laisser courir et sauter. M. de Bonald passe des abrégés historiques aux histoires, appelées philosophiques, sujet de l'article qu'on va lire, et qui se lim vec les précédens.

mours; la vertu étoit le ressort unique de leurs gouvernemens; et si leur religion n'étoit pas trèsraisonnable, elle étoit tout-à-fait politique. En un mot, il n'y avoit de raison, de génie, de courage, d'amour de la patrie, de respect pour les lois, d'élévation dans les ames, de dignité dans les carac tères, de grandeur dans les évènémens, que chez les Grecs et les Romains. Les Chrétiens ont été le peuple le plus ignorant, le plus corrompu, le plus superstitieux, le plus foible, opprimé par ses gouvernemens monarchiques, dégradé par sa religion absurde, et plus d'un philosophe leur a préféré les Mahometans, et même les Iroquois. La religion chrétienne a été coupable de tous les malheurs du monde; ses ministres, de tous les crimes ou de toutes les fautes des gouverne mens, et il étoit toutà-fait philosophique de l'accuser de toute l'igno-. rance des peuples, quoiqu'elle seule les ait éclairés; et de toute leur férocité, quoiqu'elle seule les ait adoucis.

Mais il étoit sur-tout nécessaire, si l'on aspiroit au titre d'historien philosophe, de s'élever avec amertume, et à tout propos, contre les prétentions surannées de quelques papes sur l'autorité temporelle; il falloit les représenter (lors même qu'ils étoient menés par la force des choses là où ils ne vouloient pas aller) comme des conquérans toujours arinés, comme le Jupiter de la Fable, la fou dre à la main, ébranlant l'univers d'un mouvement de ses sourcils. Il eût été peut-être plus philosophique, et même, je crois, vraiment philosophique, d'observer que dans des temps où le caractère personnel des rois se ressentoit des mours féroces et grossières des peuples, où l'administration n'étoit pas plus éclairée que les constitu

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tions n'étoient définies, l'Europe, encore mal affermie dans les voies du christianisme seroit retombée dans un chaos pire que celui dont elle étoit sortie avec tant d'efforts, s'il n'y avoit eu d'autre recours contre les fautes, ou plutôt contre les erreurs de rois emportés, que l'insurrection des peuples barbares; et qu'il étoit, je ne dis pas utile, mais nécessaire que les peuples vissent quelque pouvoir au-dessus de celui de leurs maitres, de peur qu'ils ne fussent tentés d'y placer le leur. Ce sont cês rigueurs, quelquefois excessives et peu mèsu rées, qui ont accoutumé au joug des lois ces enfans indociles qu'il falloit châtier avec la verge, en at tendant de pouvoir un jour les guider par une raison plus éclairée ; et l'Europe aujourd'hui n'avoit pas plus à craindre le retour de ces mesures sévères, que l'homme fait ne peut redouter les corrections de l'enfance. La religion punissoit des trois enfans par l'excommunication; quand ils sont devenus grands, et qu'ils ont eu secoué le joug de leur mère, la philosophie les a punis par l'échafaud. Les rigueurs de la religion ne pouvoient produire aucunę révolution populaire, parce que le même pouvoir qui réprimoit les rois eût réprimé les peuples,' et même eût été plus fort contre les peuples que contre les rois. Mais la philosophie a été aussi impuissante contre les peuples qu'elle a été forte contre les rois: elle a reconnu, mais trop tard (pour me servir des paroles de Made Condorcet), que la force du peuple peut devenir dangereuse pour lui-même ; et après lui avoir appris à en faire usage, lorsqu'elle a voulu lui enseigner à la \soumettre à la loi, elle a éprouvé que ce second ouvrage, qu'elle ne croyoit pas, à beaucoup près, silong et si pénible que premier, étoit non-seulement moins aisé, mais toutTome V.

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à-fait impossible et le monde a appris, par une mémorable expérience, la vérité de cette parole, que les rois ne règnent que par Dieu, et qu'il ne faut pas moins que le pouvoir divin pour contenir le pouvoir populaire.

Il étoit donc extrêmement philosophique de méconnoître tout ce que les papes ont fait pour la çivilisation du monde; et si quelques-uns d'entr'eux ont trouvé grace aux yeux des philosophes du dixhuitième siècle, c'est pour avoir favorisé la culture, et récompensé les progrès des arts agréables, quoiqu'à vrai dire, et pour employer plus à propos le mot connu d'un bon évêque, ce ne soit pas là cé qu'ils aient fait de mieux car les historiens philosophes faisoient consister toute la civilisation de l'Europe dans les arts et sur-tout dans le commerce; Une nation étoit à leurs yeux plus honorée par les talens de ses artistes, les découvertes de ses savans, l'industrie de ses commerçans, que par la science de son clergé, le dévouement de ses guerriers, l'intégrité de ses magistrats; et en même temps que la philosophie déclamoit contre le fanatisme de ces hommes qui alloient, au péril de leur vie, porter à des peuples barbares notre religion et nos lois, elle admiroit l'industrie qui leur portoit des couteaux, des grains de verre et de l'eau-de-vie.

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Au reste, dans ces histoires philosophiques, la politique n'étoit pas mieux traitée que la religion, ni les rois plus ménagés que les papes; et lorsque la sévérité des jugemens philosophiques n'étoit pas désarmée par des pensions ou des louanges, ou contenue par la crainte, les rois n'étoient que des mangeurs d'hommes; leur négociations n'étoient que fausseté, leurs guerres que barbarie, leurs administrations qu'avidité, leurs acquisitions qu'am

bition, et leurs fautes passoient pour des crimes. Cependant ces mêmes actions, si odieuses dans un prince chrétien, pouvoient être excusées sur l'intention dans un prince philosophe, ou même jugées dignes des plus grands éloges. Un roi qui auroit négocié auprès du grand-seigneur la reconstruction du temple de Jérusalem, ou mis le feu à l'Europe pour renverser la religion chrétienne et s'emparer des principautés ecclésiastiques, eût été déclaré grand homme, et bienfaiteur de l'humanité; et pourvu que la philosophie fût accueillie, et ses adeptes honorés, l'administration la plus despotique, les forfaits même les plus odieux, trouvoient grace aux yeux des philosophes: et nous en avons vu d'illustres exemples.

On doit remarquer encore que, dans ces histoires philosophiques, on parle beaucoup de destin et de fatalité; ces mots reviennent fréquemment, même dans l'Histoire récemment publiée de l'Anarchie de la Pologne, histoire où il y a un grand éclat de style, quoiqu'avec un peu trop de complaisance à rechercher des motifs et à tracer des portraits. Le destin est en politique ce que le hasard est en phy. sique; et comme le hasard n'est, suivant Leibnitz, que l'ignorance des causes naturelles, le destin et la fatalite ne sont que l'ignorance des causes politiques et, certes, il y a eu beaucoup de ce destin dans la conduite de tous les cabinets de l'Europe.

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