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ses. Parmi ces intrigues qui se croisent et qui s☛ compliquent mutuellement; parmi toutes ces passions différentes, souvent attentives à se masquer et à tromper tous les yeux, comment distinguer les vrais principes de tant de révolutions diverses et imprévues? Souvent tel personnage qui prend la plus grande part dans un événement important, a été déterminé tout-à-coup par un hasard, par un caprice, et seroit étonné lui-même du motif qui l'a fait agir, s'il lui venoit dans l'idée de s'en rendre compte. Qui dévoilera tous ces mystères à l'historien ? Et faut-il s'étonner que les plus célè bres aient quelquefois échoué dans ces recherches? On a accusé Tacite d'avoir mis dans la bouche des Romains un discours peu vraisemblable, lorsqu'il leur fait dire qu'Auguste avoit choisi pour successeur un prince impérieux et cruel, afin de faire regretter la douceur de son règne. On pour. roit peut-être faire à M. de Rulhière quelques reproches de ce genre. Par exemple, lorsque le roi de Prusse refuse aux Polonais son intervention entr'eux et la Czarine, voici l'explication que donne l'historien de cette conduite. «Il favorisoit, ditil, les desseins de Catherine, de manière que ces malheureux républicains cédassent sans être opprimés. Toute sa conduite tendit évidemment à ce que les Polonais, déshonorés de plus en plus en recevant de gré ou de force Poniatonski pour roi, demeurassent toutefois séparés de la Russie, et que ni la servile complaisance d'un parti, ni l'impuissante opposition de l'autre, ne rendissent la Czarine maîtresse de la république. » Il est peut-être superflu de remarquer qu'il y a dans ces phrases un peu obscures une contradiction, et que, si Frédéric vouloit que les Polonais reçussent un

roi de gré ou de force, il consentoit done qu'ils fussent opprimés. Mais d'ailleurs cette politique si subtile et si raffinée, n'est-elle pas en contradiction avec ce que l'historien a établi ailleurs, que ce prince ayant connu par expérience toute l'incertitude des calculs de la politique, avoit pris la résolution d'attendre les événemens pour se dè clarer ? N'étoit-il pas suffisant de dire que, conformément à ce principe de conduite, il laissoit avec plaisir à Catherine le soin d'affo blir les Polonais, en se réservant de profiter, tôt ou tard, de leur désunion ?

En général, on peut accuser M. de Rulhière de vouloir quelquefois lire trop avant dans l'ame do. ses personnages; de trop subtiliser sur le cœur humain; de développer laborieusement de petites intrigues qui n'ont aucun résultat. Il est porté à accorder trop d'importance aux révélations que lui avoient faites des ambassadeurs et des ministres : ce qui peut devenir une source d'erreur, parce que les hommes d'Etat ne voient trop souvent dans un événement politique que la part qu'ils y ont eue. Sans doute un historien ne doit riennégliger pour approfondir les causes secrètes des révolutions ; mais vouloir exposer toutes les manoeuvres cachées, toutes les tentatives inutiles auxquelles chaque incident a donné lieu, ce seroit s'engager dans un labyrinthe inextricable. C'est bien assez de raconter en détail celles qui ont eu une influence marquée sur le cours général des évé

nemens.

C'est sans doute à cette complication de tant de fils divers qu'il faut attribuer l'espèce d'obscurité qui se fait sentir dans quelques endroits de la narration, et qui, sans nuire à l'intérêt qu'elle

inspire, en rend quelquefois la lecture un peu laborieuse. Champfort, l'ennemi personnel de Rulhière, a dit de lui: qu'il n'envisageoit les grandes choses que sous de petits rapports, n'aimoit que les tracasseries de la politique, n'étoit éclairé que par des bluettes, et ne voyoit dans l'histoire que ce qu'il avoit vu dans les petites intrigues de la société. Cette critique est excessivement injuste: mais enfin il y a peu de satires, quelques calomnieuses qu'elles soient, qui n'aient quelque fondement réel. Les meilleurs mensonges sont, diton, ceux qui se rapprochent de la vérité, et sans doute Champfort se seroit bien gardé de manquer à ce principe.

Maintenant; si l'on porte les yeux sur l'ensemble de cette grande composition, en rendant justice à l'art qui a présidé à l'ordonnance géné. rale, il faudra reconnoître que les différentes parties ne sont pas toutes dans de justes proportions (1). Cette critique doit s'appliquer sur-tout

( 1 ) Cette critique nous paroît non-seulement fondée, mais même indulgente; il nous semble en effet que l'ouvrage de M. de Rhu lière est bien moins une composition historique qu'une suite de petites compositions, ou d'histoires détachées; que ce n'est pas précisément et uniquement l'histoire de la Pologne, mais plutôt des fragmeos intéressans de Fhistoire du 18e siècle et quèlquefois des siècles précédens: matière abondante, comme on voit, mais confuse, sans ordre et sans liaison, au point que les événemens qui appartiennent au sujet principal, sont ceux qu'on retient le moins de cette lecture ; et certcs ce n'est pas là un léger défaut ; ° car, comme l'a dit Fénélon dans sa lettre à l'académie française: la principale perfection d'une histoire consiste dans l'ordre > et l'arrangemeut.

Mais si l'ouvrage de M. de Rhulière est dépourvu de cette qualité, il attache par le défaut opposé; je veux dire par la variété des digressions, des événemens et des personnages qui paroissent tourà-tour sur la scène personnages d'autant plus intéressans qu'ils

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au premier volume, où le sujet principal est chargé d'un trop grand nombre de détails épisodiques sous lesquels il disparoit plus d'une fois. L'auteur auroit dû faire réflexion que le tableau d'une anar. chie permanente, où le corps politique reste si long-temps sans mouvemens et sans vie, deviendroit nécessairement un peu monotone, et il devoit marcher plus directement au but. La guerre entre la Porte et la Russie n'a qu'un rapport indirect avec les affaires de Pologne: ainsi les règles de l'art exigeoient peut-être que l'auteur n'en montrát que les résultats généraux ; mais on seroit fàché qu'il eût songé à prévenir cette critique, puisqu'on y auroit perdu les récits les plus attachans, parmi lesquels on distinguera l'expédition du Péloponèse : cette narration, enrichie des souvenirs que réveille à chaque pas cette contrée, excite l'intérêt le plus entraînant dont un événement historique soit susceptible. C. M.

sont plus près de nous, et que leurs portraits sont presque toujours dessinés de main de maître.

Le style de M. de Rhulière est en effet ce qu'il a de plus remarquable on lui a accordé avec raison de l'éclat, de la vigueur, de la rapidité, une élégante précision, quelquefois de la profondeur; mais on auroit pu ajouter qu'il manque souvent des qualités qui, pour être moins brillantes, ne sont pas moins essentielles à l'historien, telles que la gravité, la correction la netteté et une certaine douceur qui n'est point incompatible avec la force et la rapidité. C'est même par le mélange de ·ces qualités différentes qu'on prévient un vice; dont le style de M. de Rhulière ne nous paroit pas exempt, c'est-à-dire la mɑ→ notonie.

X XII.

Sur l'Esprit des Historiens Philosophes du 189 siècle. (1)

Qui

UELLE que fût la méthode que l'on suivit en écrivant l'histoire, il falloit, dans le dernier siècle, qu'elle fût philosophique; et un histoile qui n'étoit pas philosophique, fût-elle exacte

(1) Les réflexions qu'on va lire, sont tirées d'un article plus étendu : sur la manière d'écrire l'histoire. M. de Bonald y traite d'abord des abrégés d'histoire dont il blâme l'usage dans l'éducation. A son avis, l'abrégé, est moins un moyen d'apprendre l'histoire qu'un secours pour en considérer l'esprit et l'ensemble; ct, autant ce dernier travail est-il peu à la portée des jeunes gens, autant sont-ils capables et même avides des lectures détaillées. A cet âge, on a le loisir de lire, et la faculté de retenir est dans toute sa force. Sans doute le jeune homme ne retient pas tout d'une histoire détaillée, mais il ne retient presque rien d'une histoire abrégée, parce que les retranchemens qu'exige l'abrégé portent sur des circonstances accessoires qui sont comme autant de liens seuls capables de fixer le fait principal dans la mémoire. « D'ailleurs (continue M. de Bonald, dont on ne sauroit trop opposer le sentiment à cette légion d'abbréviateurs décharnés qui me naçent de réduire l'instruction à zéro, tant ils sont menés loin par le zèle d'abréger les études, et de soulager l'application de la jeunesse ! ) D'ailleurs l'histoire présente dans ses longues nar rations des modèles de style et de disposition de faits et d'idées qu'il importe d'offrir aux jeunes gens, qui apprennent ainsi à exprimer leurs pensées, et à mettre de l'ordre dans leurs idées, en en mettant dans le discours. Au lieu que l'abrégé, avec ses réflexions concises, ses pensées plutôt indiquées que développées, ses faits plutôt notés que racontés, ne leur présentent que des formes raccourcies de style qu'il seroit, à leur âge, et dans le premier essor de leur imagination, dangereux d'imiter; et

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