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l'autorité fit les mêmes tentatives; cela ne m'étonneroit pas. Il étoit dans l'esprit de ce siècle de permettre à tous les écrivains d'exalter les gouvernemens étrangers, de prôner les prétendues vertus des souverains qui avoient voué une haine mortelle à notre patrie, et en même-temps de menacer les écrivains véritablement français qui pouvoient faire rougir la nation de ses folles admirations, et les philosophes de leurs coupables éloges, en exposant la vérité sans nul ménagement. On obtenoit alors des pensions pour libéraliser la France; c'est-à-dire, pour soumettre sa gloire, ses mœurs, ses intérêts à l'ascendant des cabinets étrangers. M. de Rulhière ne céda ni aux promesses, ni à la crainte ; on ne put obtenir que sa parole de ne point imprimer son manuscrit pendant la vie de Catherine II: parole qui fut scrupuleusement tenue. Les anecdotes sur la révolution de Russie en 1762, se trouvent réimprimées à la suite de l'Histoire de l'Anarchie de la Pologne, et ne sont pas la partie la moins curieuse de cet ouvrage, elles ont acquis un caractère d'authenticité par les vains efforts qu'on a fait pour les contredire dans quelques détails peu importans.

M. de Rulhière fut chargé, en 1768, d'écrire l'histoire des troubles de la Pologne, pour l'ins

C'étoit alors M. le baron de Grimm, conseiller d'état de Russie, et grand-croix de l'ordre de Waladimir. Il est mort avec ces titres: ce qui prouve que la philosophie peut être bonne à quelque chose. Nous ne connoissons point les onvrages de Grimm. La liste en est consignéc, dit-on, dans le dictionnaire allemaud de Mensel, intitulé: Gelehrtes Deutschland, ou l'Allemagne littéraire. Quant à ses titres à l'estime de la postérité, nous en faisons juges ceux qui ont su apprécier les Diderot, les d'Holbach, et tous les autres qui, comme Grimm, se sont constitués en guerre ouverte contre les principes conservateurs de la morale et de la société. P...t.

truction du dauphin qui mourut roi, sur un échafaud, avant que cette histoire fût achevée ; et M. de Rulhière lui-même est mort avant d'avoir entièrement terminé son ouvrage. Tout ce qu'on peut dire pour excuser cette negligence est inutile, et feroit peu d'honneur à celui qui trouveroit moyen de pallier un tort aussi grave. Quand même l'auteur n'auroit point été pensionné pour ce travail, il suffisoit qu'il l'eût accepté pour que rien ne pût le dispenser de s'y livrer exclusivement; la postérité lui reprocherà moins d'avoir reçu pendant vingt années une pension de 6000 f. comme historien des troubles de la Pologne, que de n'avoir point rempli les premières intentions qui avoient décidé la composition de cet ouvrage. Peut-être M. de Breteuil, qui eut beaucoup d'influence sur le choix du sujet et de l'auteur, ne vit-il dans tout cela qu'une occasion d'améliorer le sort de M. de Rulhière (1); les exemples fameux ne manquent pas à cet égard. Ces exemples ont fini par accoutumer les gouvernemens et les écrivains à ne voir qu'un titre dans la fonction d'historiographe, la plus noble que puisse envier l'homme de lettres digne de la remplir. Du moins ne peut-on repro

(1) C'est du moins ainsi que l'entendoit M, de Rhu'ière,; et l'on n'en sauroit douter depuis la découverte récente du plagiat qui vient de lui être imputé; (Voy. le Journal de l'Empire des 21 et 26 février) suivant cette accusation, qui l'a pas trouvé de contradicteur, les premiers volumes de, Rhulière sont une copie à-peu-près littorale d'une histoire de Pologne, composée ou 1764, par Maubert (ex-capucia, mort protestint), et déposée au ministère: ministère des relations extérieures. Toute la différence entre les deux ouvrages se réduit au récit des faits arrivés depuis 1764 jusqu'à 1704: fáits ajontés par l'académicien qui écrivoit à cette dernière époque, au travail de Vex-capu, cin qui avoit écrit son livre, vingt ans plus tôt. of CNGH VAL

Tome V.

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cher à M. de Rulhière d'avoir profité des bienfaits de la cour pour écrire dans des principes opposés à la cour, et des secours qu'on ne trouve qu'en France pour écrire contre la France; sous ce rapport, il devient encore impossible de le ranger parmi les philosophes. Jugeant toujours les peuples par l'état de leur civilisation, il voit le despotisme par-tout où il rencontre la barbarie, et la liberté dans tous les pays où la morale publique est bonne, où les beaux arts sont dirigés vers l'amélioration de la sociéte; aussi parle-t-il toujours de la France comme d'un pays essentiellement libre. S'il avo.t vécu assez pour voir le règne de la raison, les institutions, les lois, les mœurs, les écrits de ce temps, il auroit déclaré que nous étions tombés dans la barbarie, et par conséquent dans l'esclavage, et ne se seroit point trompé.

M. de Rulhière n'a emprunté de la philosophie du dix-huitième siècle qu'une grande facilité à abuser des mots fanatisme et superstition; ce qui est sans inconvénient dans son ouvrage, parce qu'il n'applique ces mots qu'à des circonstances particulières, et non aux grands intérêts des nations; et c'étoit bien là en effet l'esprit des sociétés dans lesquelles il passa sa vie. Mais doit-on en conclure qu'il étoit philosophe? et l'espoir de grossir le parti peut-il aller jusqu'à flétrir, pour quelques phrases légères, la réputation d'un homme dont la conduite, les principes politiques, l'attachement à sa patrie et l'impartialité comme historien, sont dignes de l'estime des honnêtes gens, sur-tout lorsqu'il est prouvé que cet écrivain, instruit par l'expérience, est mort sans avoir mis la dernière main à son ouvrage ? Nous ne le croyons pas; mais comme nous sommes entièrement désintéressés dans

Cette cause, nous avons cru qu'il nous suffiroit d'exposer les faits, et de laisser prononcer les lec teurs. (1)

F.

X X I.

Méme Sujet.

L'HISTOIRE présente plus d'une fois le spectacle

d'une nation livrée à des dissensions intestines

(1) Peut-être que cela ne seroit pas difficile, en distinguant les philosophes actifs d'avec les philosophes passifs ou neutres; ceux qui propageoient leur philosophie d'avec ceux qui la gardoient pour eux-mêmes, ou qui même en blâmoient la propagation; on reconnoît dans ces derniers (et ce n'est pas un petit mérite) des politiques attachés à l'état, amis de l'ordre, ennemis des révolutions, mais peut-être malheureusement assez aveugles pout ne pas sentir l'accord nécessaire du vrai et de l'utile. M. de Rhulière fut, ce nous semble, un de ces politiques si nombreux dans le 18e siècle et c'est par là, je veux dire par son attachement à la monarchie, qu'il est très-différent des philosophes actifs ; mais ce qui l'en rapproche, c'est une indifférence en matière de religion, qui se manifeste bien clairement dans son ou vrage. Sous ce rapport, il auroit même atteint, si la chose étoit possible, à ce degré d'apathie sublime que M. Gaillard prend pour de l'impartialité, et qui consiste, selon cet historien, à si bien cacher ses principes religieux et politiques, que le lecteur ne puisse les deviner: niaiserie philosophique, s'il en fut jamais; ou plutôt, vraie chimère, puisque les philosophes eux-mêmes n'ont pu la réaliser, et que, dans leurs histoires comme ailleurs, ils ne nous laissent pas ignorer leurs principes; et cela doit arriver ainsi, puisque dans tout ouvrage où la religion entre pour quelque chose, il est comme impossible que l'ecrivain ne se montre, selon l'esprit qui l'anime, ou religieux ou irréligieux ou indifférent. Ainsi, après la lecture des histoires de Rollin, de Raynal, de Rhulière, on ne seroit pas en doute sur leurs principes, quand même ils ne les auroient manifestés d'aucune autre manière.

que des voisins politiques fomentent dans son -sein, afin de lui faire consumer ses forces contre elle-même, et de la mettre hors d'état d'opposer aucune résistance à leurs desseins ambitieux; mais avant les troubles de la Pologne, on n'avoit peut-être jamais vu des troupes étrangères s'éta blir dans une république indépendante, sous le nom d'auxiliaires et d'amis, contraindre les citoyens à se rassembler, leur dicter insolemment les lois et les réformes qu'ils doivent adopter; les forcer de s'enchaîner au joug de leurs propres mains, et donner ainsi des formes légales à la violence et à la tyrannie. Cette situation singulière, développée par un écrivain habile, pouvoit manquer de rendre l'Histoire du Démembrement de la Pologne extrêmement attachante, parce qu'elle lui donne un caractère particulier qui la distingue de toutes les autres révolutions politiques.

ne

Une autre singularité du sujet, dont l'auteur à également tiré un grand parti, c'est l'opposition qui existoit entre les mœurs des Russes et celles des Polonais : les uns, perfides, astucieux, marchant avec activité vers un but unique, mettant en œuvré tous les détours et toutes les ruses de la politique la plus raffinée, et cependant, trompés fréquemment dans leurs calculs, parce qu'ils ne soupçonnoient pas ce que le patriotisme et l'amour de l'indépendance peuvent donner de courage et de force dans les situations le plus désespérées; les autres, divisés entr'eux d'intérêt et de passions, aussi imprévoyans que braves, jamais assez soupçonneux, quoique toujours trompés, mais résistant encore sous le glaive de leurs

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