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C'est avec raison que M. Deluc oppose des considérations morales à ces dangereux systèmes de la physique moderne. Il ne craint pas de dire que ceux qui les publient se rendent très-coupables, et il laisse suffisamment entendre à quels dangers s'expose un Etat qui souffre que l'on corrompe impunément la morale publique. En attendant que les magistrats soient plus éclairés sur cette matière, et qu'ils comprennent que la tolérance de l'erreur est la persécution de la vérité, il est au pouvoir des honnêtes gens de punir ces écrivains pernicieux par le côté le plus sensible, par leur cupidité, en rejetant leur ouvrage avec la juste indignation qu'il doit inspirer.

Z.

I I I.

ATHÉNÉE. Cours de Littérature.

Troisième Leçon de M. Chénier. FABLIAUX,

LES

ES symptômes de la décadence se manifestent : les applaudissemens deviennent moins vifs; l'ennui gagne; le professeur s'épuise et s'affoiblit; on devoit s'y attendre; il eût dû le prévoir; mais son zèle philosophique lui a fait illusion: il s'est trompé sur la valeur de la mine qu'il se proposoit d'exploiter; il commence à se répéter; ce sont toujours les mêmes lazzis; encore une leçon, le dégoût succédera à l'ennui. Dans les ouvrages des Troubadours, on trouve des facéties anti religieuses; les Fabliaux reproduisent les mêmes facéties; comment jeter de Tome V

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la variété sur un sujet aussi uniforme ? Le professeur n'avoit pas pressenti cet écueil de la monotonie plein d'un aveugle enthousiasme, étourdi par l'idée de l'effet qu'il alloit produire, il n'a pas vu que tout son succès se borneroit à une première impression; et qu'en se proposant de faire de ses leçons de littérature un petit cours d'impiété, il arriveroit très-rapidement à n'en faire qu'un cours d'ennui. Cela profite déjà; la dernière leçon peut passer pour très-instructive en ce genre, et promet beaucoup pour l'avenir. Voulez-vous apprendre à vous ennuyer, à bâiller pendant une heure, allez dorénavant au Cours de M. Chénier.

Les professeurs ne savent pas tout : il faut apprendre à celui-ci pourquoi il ennuie, et pourquoi il ennuiera; cela ne sera pas même inutile à ses disciples: c'est toujours une consolation, quand on s'ennuie, de savoir pourquoi. Et d'abord, messieurs les auditeurs, vous vous ennuyez, parce que vous êtes trop savans et trop modestes : vous vous imaginez que M. Chénier peut vous apprendre quelque chose en fait de lazzis anti - religieux, et de pasquinades philosophiques; non, messieurs, vous avez eu le bonheur de naître dans le siècle des lumières; vous êtes prodigieusement éclairés ; Vous savez votre Voltaire par coeur ; vous avez médité vos questions encyclopédiques, et vous venez vous remettre sur les bancs! Que voulez-vous donc qu'on vous apprenne? Voltaire lui-même a déjà perdu pour vous tout son sel; et vous semblez venir à l'Athénée pour dire au professeur : Fais-nous rire encore ! Messieurs, à coup sûr, il vous fera bâiller. Vous pourriez répondre à toutes ses plaisanteries soporifiques par ce vers de La Fontaine:

Le conte est du bon temps, non du siècle où nous sommes.

Du temps des contes dont il vous endort, on avoit moins de philosophie et plus de bonhomie que vous n'en avez ces Troubadours, ces auteurs de Fabliaux étoient,au fond, de très-bonnes gens,très-simples, trèsingénus et très-croyans ; ils étoient bien loin d'avoir la malice que leur prête le professeur; leurs bouffonneries, leurs gaietés, s'adressoient à des contemporains qui leur ressembloient, et qui, quelquefois, n'étoient point fâchés de s'égayer au sujet des choses même qu'ils respectoient le plus. Nous sommes fort éloignés aujourd'hui de cette simplicité gauloise. Qu'y a-t-il de piquant à entendre railler de ce que nous ne croyons plus, à entendre fronder ce qui n'existe plus, à voir danser sur des ruines, et insulter à des tombeaux? Lorsque la religion cessa, dans le dixhuitième siècle, d'être respectée comme institution divine, elle imposoit encore comme puissance sociale; les gaietés des Troubadours, des auteurs de Fabliaux, de Rabelais, etc., s'adressoient à la foi et à la conscience; celles de Voltaire, à l'orgueil et à l'envie; mais aujourd'hui quelle intelligence un prétendu diseur de bons mots pourroit-il se ménager dans les coeurs? Est-ce à l'envie qu'il parle ? Est-ce à la conscience? Est-ce même à l'esprit? Quel esprit y a-t-il à faire un choix des traits libres et des saillies anti-religieuses répandus dans les écrits barbares de quelques poètes de nos premiers siècles? L'en n étoit donc une des conditions inévitables d'un cours de Littérature établi sur ce plan: il doit succéder très-vîte à l'effet de la première impression; et il attendoit le professeur à sa troisième

séance.

Il faut être juste pourtant: son début a été des plus réjouissans: c'étoit une comédie de voir avec quelle gravité, quelle componction il a préparé la délica

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tesse de ses auditeurs aux citations graveleuses qui alloient faire la base de sa leçon: grandes réflexions, exemples imposans, il n'a rien épargné ici c'est madame de Sévigné qui recommandoit à sa fille la lecture des Contes de La Fontaine, auxquels il voudroit sûrement qu'on mit pour épigraphe : La mère en prescrira la lecture à sa fille; là, c'est la vertueuse femme de Louis XIV devant laquelle on représentoit Georges Dandin; ce sont Regnard, Dancourt, qui prodiguoient les bouffonneries les plus grossières, dans les dernières années du dixseptième siècle; puis une tirade ambitieuse sur la décadence du langage, sur cette réserve du discours, qui n'a commencé que sous la régence. Voltaire et son école, a-t-il dit, se scnt heureusement affranchis de cette espèce de bégueulisme ; mais il faut être bien plus circonspect aujourd'hui que dans les beaux jours de notre littérature : il faut sur-tout prendre garde à ces laubardemons littéraires, a-t-il ajouté, en haussant la voix, qui ont besoin de plus d'une hypocrisie. Ce bégueulisme et ces laubardemons ont fait un effet très-divertissant au milieu de ces précautions oratoires : ce bégueulisme au-dessus duquel s'est élevé l'auteur de la Pucelle, ces laubardemons, qui croient qu'il faut au moins respecter la décence, quand on ne respecte point la vertu, qui s'imaginent qu'il y a un milieu entre le bégueulisme et le cynisme; ce bégueulisme, que dédaignoit Voltaire, lorsqu'il insultoit à la pudeur par des traits dignes de Diogène, et lorsqu'il faisoit rougir les convenances par un langage digne des halles ; ces laubardemons littéraires, qui veulent qu'un professeur ne supplée point à l'esprit et à l'instruction qui lui manquent, par des obscénités et des impiétés, sont des conceptions curieuses; et ces

laubardemons, qui ont besoin de plus d'une hypocrisie, c'est-à-dire, qui ne voudroient pas que le Cours de M. Chénier, fût à-la-fois irréligieux et immoral quel trait ajouté au tableau ! quelle inconcevable naïveté ! quel orateur que M. Chénier!

S'il y avoit des précautions oratoires contre l'ennui, ce sont ces précautions qu'il auroit dû employer; car il n'a pu parvenir à réveiller son auditoire, quoiqu'il l'eût bien prévenu qu'il alloit le divertir par des citations les plus piquantes. Il faut donner quelques exemples de ces citations, toujours ornées des bons mots du professeur: d'abord c'est le conte du Testament de l'Ane, qui avoit légué vingt livres tournois au curé pour avoir le droit d'entrer en Paradis ; sur quoi le professeur a fait la réflexion suivante: «Il est vrai qu'aujourd'hui vingt livres tournois pourroient paroitre une foible somme pour acheter le Paradis; mais il faut considérer que tout est renchéri. Quelle platitude! Ensuite c'est le conte de l'Aucassin, où Rudebœuf fait dire à un mauvais sujet, présenté par M. Chénier comme un aimable étourdi, qu'il ne veut point aller en paradis, parce qu'il n'y a que des moines fainéans et d vieux prêtres crasseux qui y soient, tandis que les rois de France et leurs preux chevaliers, et leurs belles dames au cœur tendre, vont tous en Enfer. Puis vient la peinture de la cour du Paradis, où les quatre évangélistes sont représentés placés aux quatre coins, et jouant sur le cor différens airs. Ici, pour embellir son auteur, M. Chénier s'est permis une petite falsification; il a cru devoir ajouter avec des variations; ce qui ne laisse pas d'être fort ingénieux : il s'est permis encore, pour la gloire de la philosophie, une petite altération dans le Dialogue des Croisés. Le défenseur des Croisades y dit

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