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n'ayant pu deviner pendant toute sa vie qui lui conserveroit sa couronne, de la Russie, qui la lui avoit donnée malgré les Polonais, ou des Polonais, quelquefois disposés à lui pardonner d'être leur roi, s'il vouloit s'unir à eux pour secouer le joug de la Russie. Et il faut l'avouer, à moins d'avoir un grand courage, il étoit difficile de prendre un parti, parce que la Pologne, déjà subjuguée sans le croire, étoit dans cette situation violente où la république et la monarchie étoient devenues incompatibles. Depuis 40 ans, un parti puissant qui avoit plutôt reçu Poniatouski qu'il ne l'avoit accepté, mais qui l'auroit soutenu s'il avoit pu se laisser conduire, tra¬ vailloit avec persévérance à rendre au pouvoir royal plus de latitude, plus d'énergie; et cette opération, habilement conduite, n'avoit pu s'accomplir sans violer les priviléges de la nation ou des grands, ce qui est la même chose en Pologne. Par cette nouvelle constitution, les Polonais croyoient avoir perdu leur liberté ; car la liberté n'est pour tous les peuples que le droit de vivre selon leurs habitudes; et c'est pour cela qu'il est si dangereux de leur en laisser prendre qui soient incompatibles avec la forme de gouvernement nécessaire à leur conservation. Ils détestoient le roi appelé à consacrer cette constitution; ils le détestoient encore plus, parce que la Russie les avoit humiliés en le leur donnant,

Dans les momens de désespoir, ils auroient regardé comme un bonheur que ce roi s'unît à eux pour chasser les Russes; mais Poniatouski, qui avoit reçu trop de preuves directes du mépris et de la haine des Polonais, sentoit fort bien qu'en se brouillant avec la Russie, il tomboit au pouvoir de ses sujets; que ses sujets étoient républi

si

cains; et que l'union entre le roi et la république ne pouvant pas durer plus long-temps que le danger qui l'auroit amenée, la perte de sa couronne seroit le résultat de cette belle réconciliation. D'un autre côté, il lui étoit impossible de répondre à toutes les volontés de Catherine II; car de complaisance en complaisance il auroit fallu céder jusqu'à son titre de roi, auquel il tenoit autant que ce titre eût été un pouvoir. Dans cette position embarrassante, et dont il fut incapable de sortir, Poniatouski offrit le singulier spectacle d'un monarque neutre entre ses sujets et les étrangers qui les massacroient, neutre entre les partis qui divisoient les étrangers, neutre entre les partis qui divisoient ses sujets; mais comme on n'est jamais tout-à-fait impassible dans uu débat qui touche de si près des intérêts personnels, ce roi passoit sa vie à négocier avec tous, à trahir tous ceux avec lesquels il négocioit, recevant de l'argent de la Russie pour corrompre ceux qui pouvoient le servir, et s'acquittant quelquefois avec adresse de la commission, ne fût-ce que pour avoir une occasion de plus d'écrire à Catherine II des lettres travaillées avec soin, mais qu'elle avoit depuis lông-temps renoncé à lire.

Si l'on sent bien dans quel embarras inextricable le combat de la monarchie et de la république avoit placé la Pologne et son roi, on compren dra pourquoi nous avons dit que, dans l'Europe continentale, l'indépendance des nations est inséparable de la monarchie. Nous avons vu la Suède 'tenter aussi d'enchaîner le pouvoir royal, et aussitôt les factions de l'étranger se disputèrent l'influence dans le sénat; la Russie, suivant sa perfide politique, au profit provisoire des républicains

la France, pour soutenir l'unité de pouvoir, qu'elle parvint en effet à rendre au monarque. Mais du moins le monarque n'étoit pas neutre, et les puissances fidelles à leurs alliances pouvoient le servir. En Pologne, à qui porter du secours? Tous les partis couroient l'Europe pour en réclamer, et tous s'accusoient auprès de ceux qui pouvoient les servir. Le parti qui vouloit chasser les Russes, vouloit aussi revenir aux anciennes coutumes qui avoient fini par livrer la Pologne aux étrangers; et ce qu'il y a de remarquable, c'est que Catherine II ne persécutoit Poniatouski que parce qu'il s'opposoit au retour de ces mêmes coutumes. Ainsi il y avoit unité d'intentions entre ceux qui se combattoient les armes à la main, et division entre ceux qui s'accordoient pour écraser les confédérés. Catherine non-seulement protégeoit toutes les anciennes causes d'anarchie, mais elle en créoit de nouvelles ; et les confédérés, qui voyoient toujours la liberté dans la licence des diètes et dans le pouvoir des grands, opposé à celui du roi, se faisoient tuer par les soldats de Catherine, pour obtenir le fatal avantage qu'elle leur préparoit.

Dans cette confusion de volontés, de moyens, de partis, trop ordinaires à la fin des révolutions, les puissances voisines de la Pologne attendoient le dénouement de ce grand drame pour en profiter, sans prévoir quel contre-coup en recevroit l'Europe; et les puissances éloignées, qui avoient un intérêt si éminent à soutenir cet Etat, n'étoient pas fâchées de trouver dans l'extrême complication des événemens,une excuse pour ne pas se hâter de prendre un parti actif. Les philosophes français seuls se pressèrent de se déclarer en faveur de Catherine, de vanter à l'Europe entière sa justice,

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ses vertus, son humanité, son amour pour la tolé rance; il est vrai qu'elle s'adressoit avec une modeste complaisance ces éloges dans tous les écrits publiés en son nom; et les malheureux Polonais qu'elle livroit au désespoir, dupes eux-mêmes de cette basse dissimulation, furent long-temps persuadés qu'on ne les pilloit et les proscrivoit au nom de l'impératrice de Russie, qu'à son insu et contre le vœu de son coeur sensible.

M. de Rulhière, qui démêle et expose ces intérêts compliqués avec une rare sagacité, s'explique avec beaucoup de franchise sur la conduite ridicule que tinrent alors les philosophes français, sur le sens qu'ils ont fini par donner au mot tolérance. Une courte notice sur M. de Rulhière servira à expliquer comment cet homme, d'un esprit ferme et juste, qui ne se trompe jamais toutes les fois qu'il tire ses réflexions de son sujet, se met quelquefois en contradiction avec lui-même lorsqu'il cède au desir de faire des phrases, uniquement pour paroitre penseur. Ce léger défaut tient à l'esprit du temps où cet ouvrage a été composé, et ne nuit point à l'effet qu'il doit produire. F.

X X.

Suite du même Sujet.

Il n'est pas toujours nécessoire de beançoup tra

vailler pour obtenir à Paris, une grande réputation littéraire. Quelques heureux essais que les maîtres de l'art s'empressent d'encourager; des applaudissemens accordés par ces sociétés choisies, qui. dans les capitales, décident à la fois du mérite d'un

homme et de ses ouvrages; une certaine habileté à entretenir les espérances que l'on a fait naître, et l'art de se présenter comme également dominé par des goûts contraires, en laissant toujours douter auxquelles des affaires. ou des lettres, on consacrera des talens qui ne sont plus contestés, voilà tout ce qu'il faut pour jouir pendant sa vie d'une renommée brillante; mais ce rôle, tout facile qu'il paroisse en apparence, ne peut cependant être bien rempli que par un homme de beaucoup d'esprit. Dans le grand nombre des auteurs auquels l'opinion a fait presque toutes les avances, il en est peu qui se soient acquittés aussi loyalement que M. de Rulbière; son ouvrage justifie et les éloges donnés par les littérateurs à ses premiers essais, et le zèle constant que déployèrent en sa faveur les sociétés qui l'avoient adopté. Les succès qu'il obtint comme homme du monde ayant été long-temps la plus ferme base de sa renommée littéraire, il n'est pas sans intérêt de rechercher l'influence que les liaisons qu'il contracta eurent sur son talent et sur ses opinions; car malheureusement les opinions des littérateurs sont devenues d'une si haute importance depuis le règne de la philosophie, qu'un ouvrage est encore aujourd'hui jugé moins par ce qu'il vaut, que par la réputation présumée de l'auteur.

M. de Rulhière fut élevé au collège de Louis-leGrand; à seize ans il entra dans les gendarmes de la garde; il devint aide-de-camp de M. le maréchal de Richelieu, alors gouverneur de Bordeaux, et quitta le service à l'âge de trente ans. L'intelligence qu'il avoit montrée dans ses études lui acquit l'amitié du P. Latour, jésuite et préfet du collège de Louis-le-Grand; ce fut ce religieux qui le présenta à M. de Breteuil, nommé ministre plé

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