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ques-uns courent épouvantés, etc. Toutes ces dissertations, digressions ou citations alongent prodigieusement son ouvrage. Et puisque M. Gaillard me donne l'exemple de citer, je lui citerai un précepte d'Horace, dont il auroit dû faire son profit :

Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se
Impediat verbis, lassas onerantibus aures.

A.

X I X.

Sur l'Histoire de l'anarchie de Pologne, par Cl. Rulhière.

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La été long-temps à la mode en France de vanter tous les gouvernemens étrangers, et surtout ceux du Nord. C'est de cette partie de l'Europe que nos philosophes, plus ignorans encore que factieux, nous annonçoient la lumière. A les entendre, notre régénération tenoit à imiter les mœurs, la législation, la politique de ces peuples divers.

M. de Rulhière a eu long-temps la réputation d'être philosophe et d'être méchant, apparemment pour le distinguer de la grande confrairie des philosophes qui ne sont que niais. L'Histoire de l'anarchie de Pologne suffira ponr le venger auprès de la postérité, de cette double accusation. Il est malheureux qu'il n'ait eu le temps, ni de l'achever, ni de la revoir; mais telle qu'il l'a laissée, c'est l'ouvrage le plus curieux, le plus instructif, le plus intéressant qui ait paru depuis long-temps sur l'histoire. On ne le lit point sans profit; et comme les faits sont toujours exposés avec impartialité et clarté, les réflexions qu'ils font naître deviennent indépen

dantes des opinions particulières de l'auteur, soit qu'on les partage ou qu'on les rejette; observation qui seule suffiroit pour prouver que M. de Rulhière n'a point écrit l'histoire en philosophe, c'està-dire, pour faire valoir tel ou tel système. Nul lecteur n'exigera qu'un auteur pense en toute occasion comme il auroit pensé lui - même s'il avoit traité le même sujet, mais c'est à condition que l'auteur n'annoncera pas la prétention de soumettre en tout le lecteur à ses opinions; c'est cette prétention hautaine, tyrannique, qui révolte les esprits sages, contre la plus grande partie des ouvrages du dix-huitième siècle. L'histoire particulièrement, étant faite pour instruire, doit plutôt diriger les réflexions que les contraindre.

Dans l'anarchie et le démembrement de la Pologne, on doit s'intéresser au courage exalté des républicains, gémir de leurs fautes quand elles tiennent à leur position, s'en indigner lorsqu'elles sont le résultat de l'intrigue ou de l'ambition; la conduite des oppresseurs doit inspirer l'horreur ou le mépris; mais il faut que tous ces sentimens, pour être profonds, naissent de la manière dont les faits sont présentés ; et c'est ce que M. de Rnlhière a parfaitement senti. Sous ce rapport, il obtiendra une place distinguée parmi les historiens, et son ouvrage restera instructif même lorsque le temps, par de nouvelles combinaisons politiques, aura ôté à ce livre l'intérêt qu'il reçoit naturellement de la position actuelle de l'Europe. La grande, l'utile moralité que tout peuple peut en tirer, c'est qu'il n'est pas de plus cruelle folie que celle de mettre plus de prix à assurer sa liberté interieure que son indépendance comme nation, et que l'indépendance nationale est devenue dans l'Europe con

tinentale inséparable de la monarchie (1). Lorsque nous disons monarchie, il est d'autant plus aisé de nous entendre que nous examinons un ouvrage où la Pologne est toujours représentée, avec raison, comme une république ; tant il est vrai que le gouvernement d'un seul et de plusieurs est une chose incompatible; que de ce mélange il résulte des combats intérieurs qui tournent tantôt au profit du pouvoir, tantôt au profit de la multitude, selon les hommes et les temps; que ces combats sans cesse renaissans, parce que la cause est sans cesse active, finissent par l'affoiblissement général de la nation; et qu'elle périt presque toujours au moment où les deux partis, également fatigués de la lutte, font les derniers efforts pour sortir, l'un de la monarchie par la république, l'autre de la république par la monarchie.

A cette époque terrible, une nation cesse d'être l'arbitre de son sort, elle est sous le joug de l'étranger dont les partis ont tour-à-tour imploré l'appui et mendié les secours. Tel étoit l'état de la Pologne au moment de l'élection de son dernier roi Poniatouski, bel esprit, toujours en émotion, toujours en larmes, trahissant ceux qu'il venoit d'embrasser, sans avoir assez de force dans le caractère même pour être faux ; cherchant dans chaque situation ce qu'il seroit possible de dire de mieux, et ne pensant jamais à ce qu'il faudroit faire; se croyant roi tant qu'il n'étoit pas détrôné; mais

(1) Pour que cette proposition fut à l'abri de toute critique, il faudroit, ce nous semble, que l'indépendance fut toujours assurée à la monarchie et jamais aux autres états; or, combien d'exemples contraires ne peut-on pas alléguer? Au surplus cette propositión paroît se rattacher à un système particulier dont l'examen excéderoit les bornes d'une note. (Voyez ci-devant les notes des pages 146 et 147.)

dantes des opinions particulières de l'auteur, soit qu'on les partage ou qu'on les rejette; observation qui seule suffiroit pour prouver que M. de Rulhière n'a point écrit l'histoire en philosophe, c'està-dire, pour faire valoir tel ou tel système. Nul lecteur n'exigera qu'un auteur pense en toute occasion comme il auroit pensé lui-même s'il avoit traité le même sujet, mais c'est à condition que l'auteur n'annoncera pas la prétention de soumettre en tout le lecteur à ses opinions; c'est cette prétention hautaine, tyrannique, qui révolte les esprits sages, contre la plus grande partie des ouvrages du dix-huitième siècle. L'histoire particulièrement, étant faite pour instruire, doit plutôt diriger les réflexions que les contraindre.

Dans l'anarchie et le démembrement de la Pologne, on doit s'intéresser au courage exalté des républicains, gémir de leurs fautés quand elles tiennent à leur position, s'en indigner lorsqu'elles sont le résultat de l'intrigue ou de l'ambition; la conduite des oppresseurs doit inspirer l'horreur ou le mépris; mais il faut que tous ces sentimens, pour être profonds, naissent de la manière dont les faits sont présentés ; et c'est ce que M. de Rnlhière a parfaitement senti. Sous ce rapport, il obtiendra une place distinguée parmi les historiens, et son ouvrage restera instructif même lorsque le temps, par de nouvelles combinaisons politiques, aura ôté à ce livre l'intérêt qu'il reçoit naturellement de la position actuelle de l'Europe. La grande, l'utile moralité que tout peuple peut en tirer, c'est qu'il n'est pas de plus cruelle folie que celle de mettre plus de prix à assurer sa liberté interieure que son indépendance comme nation, et que l'indépendance nationale est devenue dans l'Europe con

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tinentale inséparable de la monarchie (1). Lorsque nous disons monarchie, il est d'autant plus aisé de nous entendre que nous examinons un ouvrage où la Pologne est toujours représentée, avec raison, comme une république ; tant il est vrai que le gouvernement d'un seul et de plusieurs est une chose incompatible; que de ce mélange il résulte des combats intérieurs qui tournent tantôt au profit du pouvoir, tantôt au profit de la multitude, selon les hommes et les temps; que ces combats sans cesse renaissans, parce que la cause est sans cesse active, finissent par l'affoiblissement général de la nation; et qu'elle périt presque toujours au moment où les deux partis, également fatigués de la lutte, font les derniers efforts pour sortir, l'un de la monarchie par la république, l'autre de la république par la monarchie.

A cette époque terrible, une nation cesse d'être l'arbitre de son sort, elle est sous le joug de l'étranger dont les partis ont tour-à-tour imploré l'appui et mendié les secours. Tel étoit l'état de la Pologne au moment de l'élection de son dernier roi Poniatouski, bel esprit, toujours en émotion, toujours en larmes, trahissant ceux qu'il venoit d'embrasser, sans avoir assez de force dans le caractère même pour être faux ; cherchant dans chaque situation ce qu'il seroit possible de dire de mieux, et ne pensant jamais à ce qu'il faudroit faire; se croyant roi tant qu'il n'étoit pas détrôné; mais

(1) Pour que cette proposition fut à l'abri de toute critique, il faudroit, ce nous semble, que l'indépendance fut toujours assurée à la monarchie et jamais aux autres états; or, combien d'exemples contraires ne peut-on pas alléguer? Au surplus cette propo sition paroît se rattacher à un système particulier dont l'examen excéderoit les bornes d'une note. (Voyez ci-devant les notes des pages 146 et 147.)

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