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» des rois plus respectés, il n'y en a jamais eu de » plus aimés, ni de plus aimables: la bonté même » de notre Louis XII et de notre Henri IV fut plus >> réfléchie, moins naïve et moins populaire. A >> la mort de ce prince, les boutiques furent fer» mées, les temples retentirent de prières ferven>> tes et de cris lamentables; les artisans, les gens » du peuple couroient en foule au palais pour voir » encore ce prince; et, tendrement familiers avec >> lui après sa mort comme pendant sa vie, ils » pressoient de leurs mains ses mains glacées, ils >> les couvroient de baisers et les arrosoient de lar»mes. » A cet excellent roi de la maison d'Anjou, la maison d'Arragon opposa pour compétiteur un très-grand prince, qui ne pouvoit pas être plus brave que René, mais qui fut plus heureux, et qui lui enleva le royaume de Naples. C'étoit Alphonse Ier, guerrier habile et heureux, prince ami des lettres qu'il cultivoit, et de tous les arts, excepté pourtant de la danse, dans laquelle il ne voyoit que les mouvemens accélérés et désordonnés de la folie. « Entre un vrai fou, et un homme qui danse, » il n'y avoit, disoit-il, d'autre différence, sinon » que la folie du dernier est volontaire, et dure

» moins. >>

Mais bientôt ce n'est plus une simple branche de la maison royale en France, c'est le roi luimême qui succédant aux droits de la maison d'Anjou, succède aussi à ses prétentions, et en revendique tout l'héritage ou avoué ou contesté, comme un apanage de sa couronne; alors les causes de division entre les deux puissances rivales prennent un plus haut degrés d'importance et d'intérêt. Ces causes se compliquent encore par des prétentions réciproques sur le Milanez, et l'ambition secrète

de dominer toute l'Italie qui anime également et la cour de France et la cour d'Espagne. Alors la guerre est plus vive et plus active, les actions plus éclatantes, les armées plus nombreuses, les généraux plus habiles. Parmi les Français se distinguent les d'Alègre, les Lautrec, les Chabanne, les La Tremoille, les Bayard, et ce fameux Gaston de Nemours, le foudre de l'Italie, le plus beau gendarme de l'armée comme le plus brave, disent les historiens du temps. Tué à la fleur de son âge, après des prodiges de bravoure, «< il avoit, dit >> Brantome, depuis le menton jusqu'au front, >> quatorze ou quinze plaies, et par-là montroit » bien, le gentil prince, qu'il n'avoit pas tourné le >> dos. » Il mourût, continue le même historien, « en » l'âge de vingt-trois ou vingt-quatre ans : dom» mage pareil à celui qu'on fait de gâter ou fouler >> une belle herbe verte, ou plaisante fleur au beau >> mois de mai. »

A tant de héros, les Espagnols opposoient des généraux non moins habiles, parmi lesquels on vit briller Gonsalve de Cordoue, dit le Grand-Capitaine, et les deux Pescaires, père et fils. Mais lorsque la maison d'Autriche eut succédé à celle d'Arragon, ce n'est plus une contrée d'Italie qu'on se dispute, ce sont de vastes provinces au nord et au midi; c'est sur-tout le premier rang dans l'Enrope, la suprématie dans toutes les cours, l'ascendant dans la politique générale : l'Europe entière est le théâtre de la guerre; on voit paroître sur la scène, rois tels que François Ier et Charles - Quint, Henri IV et Philippe II; des ministres tels que Richelieu, Olivarès, le duc de Lermes; alors s'ouvre ce dix-septième siècle qui doit finir cette grande querelle, époque à jamais mémorable, il

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lustrée dans les fastes militaires par les exploits de Gustave-Adolphe, de Banier, de Tortenson, du duc de Saxe-Weimar, de Tilly, de Walstein et du côté de la France, par ceux de Gassion, de Toiras, d'Harcourt, et enfin de deux illustres capitaines qui s'élèvent au-dessus de tous les généraux français et étrangers de la même époque, Turenne et Condé. Enfin cette sanglante rivalité, après avoir commencé sous un de nos plus grands rois (Louis IX), finit après une durée de plus de 400 ans, sous un roi non moins grand (LouisXIV), et eut l'issue la plus glorieuse à la France, dont la maison régnante occupa enfin non-seulement le royaume de Naples, premier objet de la contestation, mais presque toutes les couronnes de sa rivale.

Tel est en raccourci l'immense et intéressant tableau que présente l'Histoire de la Rivalité de la France et de l'Espagne. L'auteur, M. Gaillard, a plusieurs des qualités qui constituent le bon historien. Il est exact et véridique ; laborieux, il n'épargne ni soins ni recherches pour trouver la vérité; bon critique, il la démêle autant qu'il est possible à travers les relations mensongères et contradictoires de l'esprit de parti; impartial, il rend justice aux princes, aux ministres, aux généraux de toutes les nations; en bon Français, il se plait à raconter les succès et la gloire des Français; mais il ne dissimule ni leur fautes, ni leurs torts, ni leurs excès souvent criminels. Chose étrange? il est même impartial, quoique philosophe. Dans les questions qui intéressent son parti, s'il s'élève longuement et fréquemment contre l'abus que les papes et les évêques faisoient de leur autorité et de leur influence, ce n'est pas parce que ce sont

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des papes et des évêques, c'est parce qu'il est de sa nature d'être long et d'aimer à se répéter: du reste il se montre toujours juste à leur égard, « Le » clergé, dit-il, abusoit beaucoup alors, parce » qu'il pouvoit beaucoup. Ce n'est point l'ecclésias»tique qui abuse, c'est l'homme puissant: l'état » est indifférent; mais le degré de pouvoir ne » peut l'étre. » Et ailleurs: « Dans le même temps, » dit-il, le pape, dont les légats (il faut le dire » et le redire, car on ne l'a pas assez dit) étoient » toujours en mouvement pour entretenir ou pour » rétablir la paix, etc. » L'abus monstrueux qu'ont fait de leur puissance les ennemis des papes, des évêques, de la religion, des rois et de la société, le révolte bien davantage ; et quoique cela' ne soit pas de son sujet, l'horreur que lui inspirent leurs monstrueux excès est un sentiment dominant qui se reproduit en vingt endroits de son ouvrage. C'est ainsi qu'après avoir parlé de quelques injustices du cardinal de Richelieu (le seul homme envers qui M. Gaillard ne me paroisse pas juste), il ajoute : « Mais ni ces injus»tices, ni celles de Louis XI, ni celles de tous » les tyrans de toutes les nations, ne peuvent >> entrer en parallèle, ni pour le nombre, ni » pour l'énormité, avec celles qu'apparemment >> on ne reverra plus. » << Chacun de nous a pu » connoitre, dit-il encore ailleurs, combien le >> fanatisme impie est plus horrible que le fana »tisme dévot. »

Telles sont les bonnes qualités de l'historien. Voici actuellement ses défauts: son style souvent lâche et diffus, n'a presque jamais la rapidité et l'élégance qu'on a droit d'exiger dans une bonne histoire, Le seul art de l'auteur, pour éviter les Tome V

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amphibologies que produisent dans une longue phrase où l'on parle de plusieurs personnages, les pronoms il, lui, elle, etc., est de mettre entre deux parenthèses les noms que représentent ces pronoms. On trouve souvent des phrases trop familières, telles que celles-ci: Les Espagnols n'étoient toujours pas contens ; un autre que SaintLouis auroit eu guerre, etc., etc. Mais le plus grand défaut de M. Gaillard, ce sont ses digressions éternelles, tandis que l'historien, comme le poète épique, devroit toujours se presser vers l'événement, semper ad eventum festinat, M. GailJard n'est jamais pressé d'arriver; il donne chemin faisant le plan d'une tragédie, disserte sur des étymologies, fait une apologie de la reine Brunehaut, etc., mais sur-tout il fait d'éternelles citations des passages de la Bible, des vers de Virgile, de Lucain, d'Ovide, de Sénèque, de Silius Italicus, des tragédies de Corneille, de Racine, de Voltaire, des Fables de La Fontaine, etc. M. Gaillard, qui renfermoit dans sa vaste mémoire les anciens et les modernes, devoit trouver un inconvénient dans cette prodigieuse érudition. Jamais il n'avoit le plaisir d'inventer une pensée ; il se trouvoit toujours qu'un ancien ou un moderne l'avoit employée avant lui: il se dédommageoit en citant l'ancien ou le moderne. Quelquefois ces citations sont agréables; mais souvent aussi elles sont déplacées, parce qu'elles ne tiennent pas assez au sujet, n'y ont qu'un rapport très éloigné, ou n'offrent que des lieux communs. Parle-t-il, par exemple, de bataillons fuyant en déroute, aussitôt des vers de Virgile Diffugiunt alii..... § et puis encore d'autres vers: Pars vertere terga....; et puis des vers français: Et déjà quel

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