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pasteurs luthériens étoient si persuadés que Leibnitz les méprisoit, qu'ils répétoient sans cesse, pour le décrier: Leibnitz glaubt nichts; Leibnitz ne croit rien.

Cela prouve assez que ce ne peut être qu'en riant que cet honnête Allemand, je veux dire M. Villers, ait prétendu que la religion romaine avoit enveloppé les peuples dans un système d'obscurantisme et d'étouffement. Quoi! ira-t-on prouver sérieusement que Pascal n'est pas un génie étouffé, et que le Tasse n'est pas un écrivain

obscur?

Ce qui achève de démontrer qu'on n'a pas entendu prendre cet ouvrage autrement que comme une plaisanterie, c'est qu'il est rempli des traits de l'ignorance la plus grossière et qu'il est écrit, s'il faut le dire, en style de cuisine. Les premiers principes de la langue n'y sont pas même observés. Depuis la première page jusqu'à la dernière vous trouverez à peine quelques participes qui s'accordent avec leurs noms relatifs. M. Villers écrit perpétuellement : Les hellenistes que l'Europe protestante a produit, les peines qu'elle a essuyée, les faveurs qu'elle a reçue, etc. Il seroit bien plaisant que cet écrivain voulût mettre sur le compte de l'imprimeur, des fautes si constantes et si multipliees, qui ne sont point notées dans l'errata où on en relève de moins importantes, et qui enfin sont la marque d'un homme sans éducation.

Mais ensuite, quel goût ! quelle éloquence! quelle fraîcheur d'imagination! Quel autre que M. Villers a jamais voulu co-ordonner l'aggregat informe des faits épars? Où a-t-il vu que les lances et les écus furent mis de côté devant les armes à feu? seroit-ce dans le temps que la philosophie de la

nature organisée alloit à l'encontre d'un systême d'obscurantisme ? ou bien dans le temps qu'une caste blasée vouloit mettre une enclouure à la destinée de la science ? C'est une grande question qu'il n'appartient qu'à M. Villers de résoudre assurément. Mais croit-on, de bonne foi, que l'Institut ait fait autre chose que rire d'un style si étrange et si burlesque ? Certes, la plaisanterie n'est pas équivoque. Il est aussi trop risible de voir un homme qui écrit comme un laquais, prétendre qu'une religion qui a produit Bossuet est un système d'ignorance et d'étouffement. Z.

XVIII.

Sur l'Histoire de la Rivalité de la France et de l'Espagne, par M. Gaillard.

C'EST une chose remarquable, que M. Gaillard, l'homme le plus ennemi de la guerre qui fut jamais, ait choisi pour sujet de ses travaux historiques les histoires les plus remplies de divisions, de querelles et de combats : l'histoire de Marie de Bourgogne, qui en portant l'héritage de Charles-le-Téméraire dans la maison d'Autriche, donna naissance à ces guerres interminables qui ont désolé si souvent les Pays-Bas, la France et l'Allemagne; l'histoire des rivalités de la France et de l'Angleterre, de la France et de l'Espagne, source plas féconde encore de guerres entre la France et l'Angleterre dans toutes les parties du Monde ; entre la France et les maisons d'Aragon et d'Autriche, dans le royaume de Naples, l'Italie, et les autres contrées de l'Europe; enfin, l'histoire de Charlemagne, le prince

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le plus guerrier de la monarchie française, et celle de François Ier, dont la vie fut aussi une suite de guerres et de combats. Ce contraste entre l'humeur pacifique de M. Gaillard et les sujets belliqueux qu'il traite, produit des bizarreries assez singulières ; et l'on ne s'attend guère, par exemple, à voir l'historien d'un prince tel que Charlemagne, consacrer une bonne partie de son ouvrage à déclamer contre la guerre et les conquêtes.

Je ne sais si M. Gaillard a bien démontré l'inutilité de ses déclamations. Sans doute la guerre est un fléau, mais c'est un fléau dont on ne délivrera point l'humanité, parce qu'elle est la suite nécessaire des passions dont on ne guérira point les hommes, et que ces passions la rendent juste, du moins dans l'un des deux partis, et inévitable dans tous les deux. Cette triste nécessité produit du moins le plus grand intérêt de l'histoire; et c'est lorsqu'elle peint les malheurs, et les dissensions des peuples et des rois, ces luttes terribles, ces jeux cruels de la fortune, ces sanglantes catastrophes qui bouleversent les Etats, changent les destinées des peuples et élèvent quelquefois un Empire sur les débris d'un autre; c'est alors qu'elle présente de plus grands caractères, de plus grandes passions, de plus grands événemens, et que les récits sont plus importans, plus animés, plus dramatiques. On peut dire de toutes les guerres en général, ce que Cicéron disoit des discussions civiles et des révolutions, que si elles sont souvent funestes à ceux qui en sont les témoins et les auteurs, elles intéressent presque toujours ceux qui en lisent le récit: Quæ etsi in experiendo optabiles non fuerunt, in legendo tamen sunt jucundæ ; d'où je suis cependant fort éloigné de conclure qu'on doive faire des

guerres ou des révolutions pour le plaisir des lec

teurs.

Une bonne Histoire de la Rivalité de la France et de l'Espagne, seroit très-propre à exciter cette curiosité, cet intérêt; à faire naître ces alternatives de crainte, d'espérance, de pitié, de blâme, d'éloge et quelquefois d'admiration que produisent, dans la lutte de deux nations célèbres, les vicissitudes de la fortune, les talens des généraux, la bravoure des soldats, et la variété des événemens. Cette Histoire a même sur la plupart de celles qui s'offrent à un historien, un avantage très-réel; c'est que tandis que les autres sont obscures dans leur origine, et sans intérèt dans leurs foibles commencemens, celle-ci est aussi intéressante dans ses premières années, peut-être même plus que dans aucune des périodes de sa durée. Elle offre dès les premières pages des caractères élevés, des passions ardentes, des actions éclatantes, des infortunes dignes de pitié; c'est une véritable tragédie: Charles d'Anjou, frère de Saint-Louis, guerrier impétueux, fond avec une poignée de chevaliers français sur le royaume de Naples, dont le pape lui avoit donné l'investiture, sans y avoir aucun droit. Mainfroy, fils naturel de Frédéric II, et qui avoit hérité des grandes qualités de cet illustre. empereur, régnoit alors à Naples, et son droit n'étoit guère mieux fondé que celui de Charles; mais il avoit pour lui la possession et le consentement, vraisemblablement forcé, du légitime héritier. Les deux compétiteurs, dignes l'un de l'autre par leurs talens et leur bravoure, se disputent avec acharnement une si belle proie. Mainfroy succombe; mais il perd glorieusement la vie avec le trône à la bataille de Bénévent. Alors Conradin, légitime roi

de Naples, fils légitime de Frédéric II, et digne d'un tel frère, puisqu'à 16 ans il osoit disputer un royaume, les armes à la main, contre un guerrier redoutable et un prince victorieux, vient attaquer Charles d'Anjou; mais la fortune trompe son courage. Vaincu et fugitif, la lâcheté d'un seigneur napolitain le livre au vainqueur, qui loin d'être généreux envers un ennemi illustre, malheureux et désarmé, le fait trainer indignement sur un échafaud: Crime odieux, qui souillera à jamais sa mémoire, car la postérité qui pardonne l'usurpation ne pardonne jamais un pareil abus de la force et de la victoire.

Le vif intérêt qu'excitent de pareils événemens se ralentit sans doute plus d'une fois dans le cours de cette Histoire ; mais il se réveille à des époques également fécondes et en actions éclatantes et en personnages célèbres; telle est celle où régnoit à Naples cette fameuse Jeanne, femme intéressante par son esprit, ses graces, sa beauté, ses malheurs, et ses fautes même, qui ne furent que des foiblesses; reine malheureuse, qui à tous ces titres a beaucoup de traits de ressemblance avec l'infortunée Marie Stuart. Telle est encore l'époque où régnoit Robert-le-Sage, un des meilleurs rois qui soient montés sur le trône; et sur-tout ce bon René, qu'on ne peut nommer sans ajouter à son nom cette épithète prince aimable, valeureux et spirituel; véritable chevalier français, affable et populaire, cultivant, dans un siècle peu éclairé, les arts et les sciences, aimant la poésie et la peinture, poète et peintre lui-même. Plusieurs villes de Provence conservent encore quelques-uns de ses tableaux; mais la Provence entière conserve sur tout la mémoire du bon Réné. «Il y a eu, dit M. Gaillard,

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