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fruit. Et si, invoquant à notre tour les témoignages de l'histoire, nous y voulons chercher des preuves sensibles d'une vérité si redoutable pour vous, nous y verrons votre pratique suivre de point en point une si pernicieuse théorie. Car de même que, dans la spéculation, vous tendez tout à-la-fois à affranchir les volontés des hommes de l'autorité religieuse, et leurs actions de l'autorité politique, de même nous verrons les peuples, sous la double influence de cette doctrine, devenir tout ensemble incrédules et rebelles. Et, en effet, lorsque Luther eut renversé l'autorité établie, qui pouvoit fixer la croyance publique ? qui pouvoit empêcher les peuples de se précipiter d'erreur en erreur, jusqu'aux derniers excès de l'athéisme? Luther futil une autorité pour Carlostad? empêcha - t- il Zuingle et Ecolampade de se moquer dé sa doctrine? La confession d'Ausbourg arrêta-t-elle Calvin? Le monde vit ces rebelles se révolter les uns contre les autres, s'acharner dans leurs disputes sans y pouvoir trouver d'issue, et n'avoir de sentiment commun que la haine de l'autorité ancienne qui les condamnoit tous. Ainsi les mœurs n'avoient plus de règle, et chacun se pouvoit créer une foi à sa mode, qui ne lui imposoit qu'autant qu'il le vouloit, jusqu'à ce que la philosophie, qui se piquoit de raisonner plus conséquemment que ses maîtres, vînt leur apprendre que puisqu'ils s'étoient faits les juges de leur religion, le plus court étoit de n'en plus avoir.

Voilà donc quelle fut, sous ce rapport, l'utile influence de la Réforme. Mais le même principe, qui fait que les hommes se révoltent contre les lois religieuses, les porte également à secouer le joug de l'autorité politique. M. Villers ne nous cache

point qu'il est de l'avis de François I, qui pensoit que les nouveautés de Luther tendoient à détruire toute monarchie divine et humaine. Il avance hardiment qu'on peut prendre cela pour une autorité. Ainsi, les souverains peuvent se tenir pour avertis; et si les corollaires philosophiques les précipitent du trône, ils ne pourront prétexter cause d'ignorance. M. Villers les menace bravement. Je ne sais pourtant quelle mauvaise honte le fait ensuite revenir sur ses pas; et pour justifier la Réforme de ses tentatives d'insurrection, il observe que ni Gustave Wasa, ni Henri VIII, ne furent détrônés par elle. L'exemple de Gustave n'est pas heureux; car tout le monde sait ce que ce prince eut à souffrir du lutheranisme, qu'il avoit adopté dans la vue de s'emparer des biens de l'Eglise. Les deux confidens de Luther, qu'il éleva aux premiers honneurs de la Suède, travaillèrent sourdement à sa perte; ils décrièrent son administration avec un acharnement intéressé, et l'un d'eux s'engagea même dans un plan de haute trahison ; en sorte que s'ils ne détrônèrent pas Gustave, ce ne fut ni la faute de leurs maximes, ni celle de leurs intrigues; c'est que ce prince habile sut se défendre. Ils n'eurent pas plus de pouvoir sur Henri VIII, quoiqu'ils aient eu tant de complaisance pour ses débauches. Mais n'est-ce donc pas assez de gloire pour ces réformateurs, d'avoir, cent ans plus tard, abattu la tête de Charles Ier, et d'avoir laissé de dignes héritiers de leur doctrine, quil, dans le siècle des lumières, conduisirent Louis, XVI à l'échafaud?

Si ces événemens furent des corollaires éloignés, mais nécessaires, de la réformation, la révolte des paysans de la Souabe et de la Franconie en

fut assurément une conséquence très prochaine et très-directe. Luther, qui voyoit ces troubles, «se >> reprochoit souvent, dit M. Villers, d'y avoir » donné lieu, bien qu'innoceniment. » On a vu ce qu'il faut penser de cette innocence, dans la spéculation, et les faits historiques l'éclaircissent encore mieux. «Il faut avouer que la réformation a >> momentanément fait rétrograder le règne de la » lumière. (La lumière régnoit donc, M. Villers?) >> Qu'on se figure les dévastations inouies dont la » malheureuse Allemagne devint la proie; la guerre » des paysans de la Souabe, celle des Anabaptistes » de Munster, celle de la ligue de Smalcade contre>> Charles - Quint; celle épouvantable, enfin, qui » dura jusqu'au traité de Westphalie, et même >> après ce traité. L'Empire fut changé par elle en » un vaste cimetière, où deux générations furent » englouties, où les villes n'étoient que des ruines >> fumantes, des monceaux de cendre, les écoles » deserles et saus maîtres, l'agriculture détruite, » les manufactures incendiées, et sur-tout les pro» priétés déplacées. » (Page 3o9. )

C'est avec cette force que M. Villers établit l'utile influence de la Réforme et les beaux effets des révolutions. On laisse à juger l'Europe si ce qui lui reste de la doctrine du moine Luther, c'est-à-dire, la philosophie moderne, suffit pour la dédommager d'un siècle et demi de crise mortelle, de guerres sanglantes, de soulèvemens et de troubles.

Le plus grand avantage politique que M. Villers aperçoive dans cette doctrine, c'est qu'elle tend à faire des démocraties et à morceler les états. Car il est bon de savoir que ce philosophe du dix-huitième siècle en est encore à regarder comme des chefs-d'oeuvre les confédérations anarchiques de Tome V

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la Grèce, et les cantons Suisses, et les ProvincesUnies, et la république de Genève, et tous ces gouvernemens que les passions populaires ont bâtis sur le sable, et dont le torrent de la révolution a démontré, en passant, la foiblesse et la folie (1). Aussi fait-il un grand mérite à la Réforme d'avoir soulevé une partie de l'Allemagne contre le chef de l'empire, afin de morceler et d'affoiblir la puissance autrichienne. Il ne voit pas que les réformateurs servoient, par un tel moyen, la cause des barbares, et menaçoient l'Europe d'une ruine totale. « Le lutheranisme, dit M. de Bonald, avoit com» mencé en Allemagne, au fort de la guerre des » Turcs, et dès sa naissance il s'étoit montré d'in>>telligence avec les ennemis du nom chrétien.... >> C'est à l'identité de leurs principes, autant peut» être qu'à l'envie de susciter des embarras à la » maison d'Autriche, qu'il faut attribuer l'avis de » Luther, qui ne vouloit pas qu'on résistát à la volonté de Dieu, qui nous visitoit par les Turcs. » Il n'y a peut-être au monde que M. Villers, qui puisse ne pas comprendre ce que la société avoit à craindre de cette visite, que les lutheriens appeloient par leurs voeux, et secondoient de leurs révoltes et sûrement il ne concevra par davantage, que si l'Europe, au lieu de la vaste monarchie de

(1) La foiblesse et la folie. Il nous semble qu'un tel argument prouve bien moins la foiblesse et surtout la folie des gouvernemens qu'il attaque, que la force du torrent qui entraînoit pêle-mêle Républiques et Monarchies. Le sentiment exclusif de M. Delalot a d'ailleurs contre lui de graves autorités desquelles on peut conclure que le crime des novateurs politiques du 16. et du 18. siècle n'a pas été précisément d'être des républicains, mais de l'être dans les monarchies, c'est-à-dire d'être des révo lutionnaires.

(Voyez la note suivante.)

l'Autriche, n'eût eu pour la défendre, que la ligue de Smalcade, ou tout autre confédération de petits états, c'en étoit fait de la chrétienté.

Mais que peut-on attendre d'un homme qui n'étudie l'histoire que pour y trouver de quoi nourrir sa haine contre l'unité du pouvoir, cette grande pensée du christianisme (1); d'un homme que ses

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(1) l'unité du pouvoir, cette grande peneée du Christianisme. Comme l'invention de la Monarchie ne sauroit être attribuée au Christianisme auquel elle est si antérieure, c'est sans doute de son perfectionnement que M. Delalot veut parler. Mais alors pour que l'éloge de la Religion ne soit pas, à cet égard, incomplet ou inexact, il est nécessaire de remarquer qu'elle n'a pas seulement perfectionné le gouvernement monarchique (en dressant les trônes dans les consciences, selon l'expression de Bossuet), mais encore étendu le même bienfait à tous les gouvernemens; qu'elle recommande l'obéissance envers tous, s'accommode à tous, les perfectionne tous également soit par la soumission qu'elle leur assure soit la douceur qu'elle leur inspar pire; et qu'en un mot, sa protection étendue à tous sans exclusion ni préférence d'aucun, est un trait de sa sagesse que ses apologistes n'ont pas oublié. C'est du moins un point de sa doctrine qu'on ne sauroit contester. Il est exposé en peu de mots par M. l'abbé Fleury, dans le passage suivant : « comme Jésus» Christ, dit ce sage et savant écrivain,`ne nous a rien révélé » toucehnt le gouvernement temporel, nous nous en rapportons » au droit naturel et aux anciennes loix de chaque Nation. > Nous croyons que la Religion s'accommode avec toutes les » formes légitimes de Gouvernement; que l'on peut être Chré→ › tien à Venise et en Suisse, aussi bien qu'en Espagne et en France; et chacun doit demeurer soumis et fidèle au gouverne→ >ment sous lequel la Providence l'a fait naître. (Discours sur les Libertés de l'Église Gallioane, page 57 des Opuscules de l'abbé Fleury.) A cette autorité, nous joindrons celle de Bossuet qui, en expliquant le texte non est potestas nisi à deo, etc. s'exprime de la manière suivante: « Il n'ya, » dit-il, aucune forme de gouvernement, aucun établissement » humain qui n'ait ses inconvéniens, de sorte qu'il faut demeu→ > rer dans l'état auquel un longtems a accoutumé le peuple. > C'est pourquoi Dieu prend en sa protection tous les gouver,

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