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l'appui des vérités que le raisonnement a établies, mais que tout le monde se défie d'un charlatan qui commence par arranger les faits à sa convenance qui atténue les uns, qui grossit les autres, et qui les dénature tous, pour leur faire prouver tout ce qu'il veut.

Arrêtons-nous un moment au chapitre où M. Villers prétend nous donner des instructions générales sur l'essence des réformations. Il a découvert, dans cette essence, et il veut bien nous l'apprendre, dans l'effusion de son ame, que les révolutions sont très-utiles et très-desirables (1), attendu que ce sont des moyens essentiels de perfectibilité, dont la seule vue pour enflammer les belles ames; mais que les ́ames paisibles, qui ne sont pas belles, et les esprits modérés qui ne sont pas philosophes, qu'effraient une marche bondissante et les fureurs des révoltes, ceux-là font de l'histoire une idylle, et de l'univers une Arcadie. M. Villers, qui ne s'amuse point à la pastorale, mais qui aime les marches bondissantes, et à qui les fureurs des révoltes ne font pas peur, doit donc, en vertu de cette théorie des belles ames, admirer la révolution de la Réforme, qu'Erasme appeloit la tragédie luthérienne, et encore plus la révolution française, qui en est un corollaire, et qui, d'ailleurs, est bien plus tragigique. Voilà le raisonnement sur lequel ce philosophe a bâti tout son ouvrage, et je défie d'y trouver

(1) Voyez pages 22 et 126, où M. Villers nous parle des beaux effets de ces révolutions, qui, déplaçant toutes les propriétés, fruits des institutions sociales, ne laissent à leur place que la grandeur d'ame les vertus et les talens, fruits de la seule nature. C'est là le solide de la réforme et de la philosophie, c'est ce déplacement des propriétés. Il est bien juste qu'on gagne quelque chose à faire des révolutions et à les vanter.

une idée qui ne rentre point dans celle-là. M. Villers abuse ici d'une lueur de raison, qui ne lui apparoît que pour l'éblouir. Il a lu quelque part que les révolutions servent à l'instruction des hommes; mais il n'a pas compris cette pensée. Elle ne signifie pas, comme il le suppose, que les révolutions soient l'explosion de quelque vérité qu'il faille acheter avec du sang, mais qu'au contraire, étant l'ouvrage des passions, soulevées par une fausse doctrine, elles tournent à l'instruction des peuples, en les corrigeant par les malheurs qu'elles entrainent à leur, suite. C'est aussi de cette manière qu'il faut entendre cet état meilleur où la so ciété arrive après les grandes secousses. Tout peuple qui sort de l'ordre, est forcé d'y retourner par son désordre même. Il est malheureux jusqu'à ce qu'il y rentre. C'est ainsi que notre nation, lassée des horreurs de l'indépendance, demande à se reposer dans ses anciennes lois, et qu'elle s'est corrigée de la philosophie par la philosophie ellemême. Les révolutions sont donc les châtimens de l'erreur, et non les progrès de la vérité. Bien loin d'être desirables, elles ne peuvent servir qu'à apprendre aux hommes à n'en plus faire.

que

Mais comment les hommes en tireront-ils cette instruction, si on leur laisse des maîtres tels M. Villers, qui se font gloire de leur enseigner, avec Zuingle, que le peuple peut renverser l'autorité quand elle lui déplaît, et déposer ses magistrats quand il les juge oppresseurs ( pag. 132); qui n'approuvent la doctrine de Luther que parce qu'ils y voient le renversement de toute monarchie divine et humaine? Je demande à tout homme sensé si la société peut se maintenir avec de tels prin cipes, et si ce n'est pas se moquer, de prétendre

qu'en prêchant une doctrine si favorable aux passions, on apprendra aux hommes à agir sans passion, et à tenir un milieu modéré ?

Mais tâchons de porter notre vue plus haut, et considérons dans une plus grande lumière ces principes de la société que M. Villers attaque sans les connoître.

Il y a deux choses dans l'homme qui intéressent l'ordre social, sa volonté et ses actions : car l'homme peut vouloir le mal, et il le peut commettre; et pour prévenir ce mal dans sa source, il ne suffit pas de punir l'action qui le commet, si l'on ne redresse aussi la volonté qui le produit. Il faut donc tout à-la-fois à la société, et des lois qui éclairent la volonté des hommes, et un pouvoir qui règle leurs actions.

Voilà, M. Villers, un principe certain, et il en faut prouver la fausseté, ou convenir que votre philosophie, qui proclame l'indépendance des volontés, est une doctrine anti-sociale. Il n'est plus temps de vous envelopper dans vos subtiles distinctions, et de nous répondre que, si vous laissez les hommes libres de vouloir le mal, vous ne leur ordonnez pas de le commettre, et que vous ne défendez point aux lois de le punir. Car, qui ne voit qu'en dernier ressort c'est réduire tout votre système et toute la société à l'institution des gibets et des échafauds? Et s'il faut le rappeler, philosophes, pour votre instruction et pour la nôtre, par quels autres moyens nous avez-vous gouvernés ? Quel autre système avez-vous mis en pratique ? Ce n'est pas là une vaine théorie. Ici l'expérience vous presse, les faits parlent, le monde a les yenx ouverts sur ce débordement de crimes dont vos spéculations ont inondé la France, ses colonies, ses

voisins, toute l'Europe; et lorsque le bras de la justice se lasse tous les jours à punir des forfaits inconnus avant vous, vous osez reproduire encore ce principe de toutes les révoltes, cette abominable doctrine de l'insurrection, et ces droits insensés qui ont effacé tous les devoirs! vous osez les reproduire, au mépris de la conscience publique de votre nation, qui embrasse ses autels à peine sortis de leurs ruines; au mépris même de l'autorité politique, qui appelle au secours des mœurs et de la bonne-foi, prêtes à s'éteindre, ces lois religieuses que vous insultez, mais qui n'en sont pas moins les protectrices de votre liberté et de votre vie!

Car, s'il faut vous l'apprendre, M. Villers, il y a deux sortes de libertés; l'une fausse, l'autre véritable. Il y a la liberté des passions et des sauvages qui rejette les lois divines comme un joug importun: Projiciamus à nobis jugum ipsorum. C'est celle que vous avez vu régner, les deux pieds dans le sang, au milieu de cet empire. Celle-là déclare toutes les volontés libres, et ne connoît d'autre obstacle que la force. Mais la liberté sociale qui lui est opposée, consiste en ce que les volontés et les actions des hommes étant réglées par des lois, aucun ne peut attenter au repos de son voisin, ni même déplacer les propriétés, M. Villers.

Ceci nous ramène à la suite de notre raisonnement. Si l'homme a besoin d'être réglé parce qu'il a des passions, il est évident qu'il ne peut être sa règle à lui-même. Car sa volonté réglera-t-elle sa volonté ? ce seroit un cercle vicieux. Mais il ne prendra pas non plus sa règle dans la volonté des autres hommes, sujets aux mêmes erreurs et aux mêmes passions que lui. Ce seroit une servitude: toute loi qui vient de l'homme est tyrannique, et

les philosophes qui s'y soumettent sont des esclaves. Il faut à l'homme vraiment libre une règle qui soit supérieure au genre humain, qui soit indépendante de lui, dont la rectitude inaltérable subsiste pour faire fléchir ses passions, ou pour les condamner; une règle enfin, à laquelle la société puisse en appeler sans cesse, pour n'être pas le jouet éternel des caprices et des disputes des hommes. Or, cette règle si nécessaire au monde moral, et sans laquelle la société n'existeroit pas, ne peut se trouver que dans les lois émanées de Dieu même. Dono Dieu a donné des lois à la société.

Ce principe posé, les conséquences s'enchaînent d'elles-mêmes, et l'application en sera facile à la question qui nous occupe. Mais, obligé de resserrer en peu de mots ce qui seroit la matière d'un long traité, qu'il me soit permis de renvoyer le lecteur à la source de l'instruction. L'illustre auteur de la Législation primitive a répandu sur la société des lumières dont l'influence se fait sentir en Europe sur tous les esprits justes, et qui ne laissent plus voir dans les préjugés de la philosophie moderne que la double barbarie de la corruption et de l'ignorance.

J'ose donc engager M. Villers à se hâter d'en sortir, et son livre même lui en fournit les moyens. Car en prenant les choses qu'il nous accorde, et dans ses propres termes, pour un fondement fixe et convenu, on peut lui faire voir, par la seule force des conséquences, qu'il ne peut raisonner avec ordre sans être obligé de rentrer dans nos principes.

En effet, il avoue d'abord (et je cite ses paroles ) que la réforme divine opérée par J. C. est essentiel

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