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s'élevoient du fond d'une vallée : c'étoit le couvent de Saint-Saba.

Une autre troupe de Bédouins nous assaillit au pied même du monastère. Ali-Aga me sauva la vie en recevant dans la main un coup de poignard qu'un Arabe me portoit par derrière. On se rappelle que je ne veux rien décrire aujourd'hui des lieux que j'ai parcourus. Ainsi je ne parlerai point de cette fameuse retraite de Saint-Saba, bâtie dans le ravin du torrent de Cédron; par la même raison je garderai le silence sur la mer Morte et sur le Jourdain; mais telle est l'impression que ces lieux font sur l'ame, qu'au moment où j'écris ceci, je crois encore sentir l'étonnement et l'épouvante qu'inspire cette terre frappée de la main de Dieu. J'ai vu les grands fleuves de l'Amérique avec ce plaisir que donnent la solitude et la nature; j'ai visité le Tibre avec empressement, et recherché avec le même intérêt le Céphise, l'Eurotas et le Nil; mais je ne puis dire ce que j'éprouvai à la vue du Jourdain. Non-seulement ce fleuve me rappeloit une antiquité fameuse, ses rives me présentoient encore le théâtre des miracles de la resaules de Babylone, ne rentrèrent pas tous dans la cité de David; ces filles de Judée qui s'écrioient sur les bords de l'Euphrate :

O rives du Jourdain, ô champs aimés des cicuz!

Sacrés monts, fertiles vallées,

Du doux pays de nos aïeux,
Serons-nous toujours exilées?

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Ces compagnes d'Esther ne revirent pas toutes Emmaüs et Bethel. Plusieurs laissèrent leurs dépouilles aux champs de la captivité; et c'est ainsi que nous rencontrâmes loin de la France le tombeau de deux nouvelles israélites:

Lyrnesis domus alta, solo Laurente sepulchrum!

Il nous étoit réservé de retrouver au fond de la mer Adriatique Je tombeau de deux filles de rois, dont nous avions entendu prononcer l'oraison. funèbre dans un grenier à Londres. Ah! du

ligion. La Judée est le seul pays du monde qui offre aux voyageurs chrétiens le souvenir des affaires humaines et des choses du Ciel.

Nous couchâmes sur la grève de la mer Morte. J'y fis diverses expériences, et je l'examinai curieusement le lendemain au lever du jour (1). De là je me rendis au Jourdain. Notre habit français ́nous sauva d'une nouvelle attaque des Arabes, ils n'osèrent nous approcher. J'ai dit qu'Ali-Aga étoit né dans le village de Rihha, l'ancienne Jéricho, et qu'il en étoit gouverneur. Il me couduisit dans ses Etats, où je ne pouvois manquer d'être bien reçu de ses sujets; en effet, ils vinrent complimenter leur souverain. Il voulut me faire entrer dans une vieille masure qu'il appeloit son château ; je refusai cet honneur, préférant dîner au bord de la source d'Elisée, nommée aujourd'hui source du Roi. En traversant le village, nous vêmes un jeune Arabe assis à l'écart, la tête ornée de plumes, et paré comme dans un jour de fête. Tous ceux qui passoient devant lui s'arrêtoient pour le baiser au front et aux joues. On me dit que c'étoit un nouveau marié. Nous nous arrêtâmes à la source d'Elisée. On égorgea un agneau, qu'on mit rôtir tout entier à un grand bûcher au bord de l'eau ; un Arabe fit griller des gerbes de doura. Quand le festin fut préparé, nous nous assîmes en rond autour d'un plateau de bois, et chacun déchira avec ses mains une partie de la

victime.

moins la tombe qui renferme ces nobles dames, aura vu une fois interrompre son silence; le bruit des pas d'un Français aura fait tressaillir deux Françaises dans leur cercueil. Les respects d'un pauvre gentilhomme, à Versailles, n'eussent été rien pour des princesses; la prière d'un chrétien, en terre étrangère, aura peut-être été agréable à des Saintes.

(1) J'ai apporté une bouteille d'eau de cette, mer avec laquelle on pourra renouveler l'expérience de Pockoke.

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On aime à distinguer dans ces usages quelques traces des mœurs des anciens jours, et à retrouver chez les descendans d'Ismaël des, souvenirs d'Abraham et de Jacob.

Les Arabes, partout où je les ai vus, en Judée, en Egypte, et même en Barbarie, m'ont paru d'une taille plutôt grande que petite. Leur démarche est fière. Ils sont bien faits et légers. Ils ont la tête ovale, le front haut et arqué, le nez aquilain, les yeux grands et coupés en amandes, le regard humide et singulièrement doux. Rien n'annonceroit chez eux le sauvage, s'ils avoient toujours la bouche fermée; mais aussitôt qu'ils viennent à parler, on entend une langue bruyante et fortement aspirée; on aperçoit de longues dents éblouissantes de blancheur, comme celles des chacals et des onces différens en cela du sauvage américain, dont la férocité est dans le regard, et l'expression humaine dans la bouche.

Les femmes arabes ont la taille plus haute en proportion que celle des hommes. Leur port est noble; et par la régularité de leurs traits, la beauté de leurs formes et la disposition de leurs voiles, elles rappellent un peu les statues des prêtresses et des Muses. Nous en rencontrâmes trois dans la montagne de Judée, qui portoient des vases pleins d'eau sur leur tête, et qui donnèrent à boire à nos chevaux. N'est-ce pas là les filles de Laban ou des Madianites? Ceci doit s'entendre avec restriction: ces belles statues sont souvent drapées avec des lambeaux; l'air de misère, de saleté et de souffrance, dégrade ces formes si pures; un teint cuivré cache la régularité des traits; en un mot, pour voir ces femmes telles que je viens de les peindre, il faut les contempler d'un peu loin, se contenter de l'ensemble, et ne pas entrer dans les détails.

*

La plupart des Arabes portent une tunique nouée autour des reins par une ceinture. Tantôt ils ôtent un bras de la manche de cette tunique', et ils sont alors drapés à la manière antique; tantôt ils s'enveloppent dans une couverture de laine blanche, qui leur sert de toge, de manteau ou de voile, selon qu'ils la roulent autour d'eux, la suspendent à leurs épaules, ou la jettent sur leurs têtes. Ils marchent pieds nus. Ils sont armés d'un poignard, d'une lance ou d'un long fusil. Les tribus voyagent en caravane; leurs chameaux cheminent à la file. Le chameau de tête est attaché par une longue corde de bourre de palmier, au cou d'un âne, qui est le guide de la troupe, et qui, comme chef, est exempt de tout fardeau, et jouit de divers honneurs chez les tribus riches, les chameaux sont ornés de franges, de banderoles et de plumes.

Les jumens, selon la noblesse de leurs races, sont traitées avec plus ou moins d'honneurs, mais toujours avec une rigueur extrême. On ne met point les chevaux à l'ombre: on les laisse exposés à toute l'ardeur du soleil, attachés en terre à des piquets, par les quatre pieds, de manière à les rendre immobiles; on ne leur ôte jamais la selle, souvent ils ne boivent qu'une seule fois, et ne mangent qu'un peu d'orge en vingt-quatre heures. Un traitement si rude, loin de les faire dépérir leur donne la sobriété, la patience et la vitesse. J'ai souvent admiré un cheval arabe, ainsi enchaîné dans le sable brûlant, les crins descendant épars, la tête baissée entre ses jambes pour trouver un peu d'ombre, et laissant tomber de son oeil sauvage un regard oblique sur ses maîtres. Avez-vous dégagé ses pieds des entraves? Vous êtes-vous élancé sur son dos? Il écume, il frémit, il dévore

)

la terre; la trompette sonne, il dit: Allons! (1). Et vous reconnoissez le cheval de Job.

Tout ce qu'on dit de la passion des Arabes pour les contes est véritable, et j'en vais citer un exemple. Pendant la nuit que nous passâmes sur la grève de la mer Morte, nos Bethléémites étoient assis autour de leur bûcher, leurs fusils couchés à terre à leurs côtés; les chevaux attachés à des piquets, formoient un second cercle en dehors. Après avoir bu le café et parlé beaucoup ensemble, ces Arabes tombèrent dans le silence, à l'exception du scheik. Je voyois à la lueur du feu, ses gestes expressifs, sa barbe noire, ses dents blanches, les diverses formes qu'il donnoit à son vêtement en continuant son récit. Ses compagnons l'écoutoient dans une attention profonde, tous penchés en avant, le visage sur la flamme, tantôt poussant un cri d'admiration, tantôt répétant avec emphase les gestes du conteur: quelques têtes de chevaux et de mulets qui s'avançoient au-dessus de la troupe, et qui se dessinoient dans l'ombre, achevoient de donner à ce tableau le caractère le plus pittoresque, surtout lorsqu'on y joignoit un coin du paysage de la mer Morte et des montagnes de Judéc.

́Si j'avois étudié avec tant d'intérêt au bord de leurs lacs les hordes américaines, quelle autre espèce de sauvages ne contemplois-je pas ici! J'avois sous les yeux les descendans de la race primitive des hommes ; je les voyois avec les mêmes mœurs qu'ils ont conservées depuis les jours d'Agar et d'Ismaël; je les voyois dans le même désert qui leur fut assigné par Dieu en héritage: Moratus est in solitudine, habitavitque in deserto Pharan.

(1) Fervens et fremens sorbet terram ; ubi audicrit buconam, dieit vah!

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