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la critique, toutes les fois qu'une doctrine évidemment contraire aux bonnes mœurs, entreprend de corrompre les sources de la science; et, ici, l'avertissement est d'autant plus nécessaire, que le poison paroît plus difficile à découvrir dans la variété des matières qui forment cette volumineuse compilation, et que ce Dictionnaire étant l'ouvrage de plusieurs savans, dont quelques-uns portent un nom justement considéré, on doit craindre que les erreurs qu'on y a mêlées ne se couvrent de l'autorité de leurs suffrages pour se faire recevoir avec moins de méfiance. Mais si ce mélange est capable d'infecter tout leur travail ou du moins de nuire à sa réputation, il est juste aussi de reconnoitre que chaque auteur ne répond que de ses articles, afin d'épargner à des hommes respectables le chagrin de se voir confondus avec des charlatans sans honneur et sans science.

Le système que M. Deluc expose et combat dans sa Dissertation, appartient moins à l'histoire naturelle qu'à cette philosophie honteuse qui, confondue mille fois dans la littérature, cherche maintenant un asile dans les ténèbres de la physique. Le matérialisme se croit sur son terrein lorsqu'il s'exerce sur une science qui ne traite que de la matière; et il est assez naturel que des hommes qui ne s'appliquent qu'à l'étude des corps, finissent par croire qu'il n'existe rien autre chose que des corps. Cela prouve seulement que la vue de l'homme est bornée, et que ses passions retrécissent encore son intelligence. Ce qui est étonnant, c'est de voir ces philosophes, si enfoncés dans la matière, s'ériger en législateurs dans la morale, employer des recettes de pharmacie à l'enseignement de la vérité, prétendre réformer les moeurs avec des

pains de sucre, et adoucir les hommes avec du jus de betterave. On sent combien ces inventions et ces méthodes sont admirables pour certains docteurs qni logent la pensée dans le bas-ventre; et leur opinion paroîtra incontestable, pour peu qu'on veuille leur accorder que l'homme est composé de matière; car c'est là tout-à-la-fois la supposition d'où ils partent, et la conclusion où ils veulent arriver, en sorte que leur méthode philosophique consiste, à prendre pour fondement un point qu'ils commencent par supposer avant de l'avoir découvert. N'est-ce pas là une logique merveilleuse ?

L'auteur des articles combattus par M. Deluc ne forme pas d'autre raisonnement. Tout son système se réduit à avancer hardiment, en attendant qu'il le prouve, que la matière qu'on avait cru jusqu'ici indifférente, conçoit, au contraire, de vastes desirs de perfection: ces desirs font qu'elle aspire sans cesse à s'élever de l'état minéral à l'état végétal, et de l'état végétal à l'état animal. Ainsi une pierre tend à devenir une rose une rose tend à devenir une huître, et une huître fait tout ce qu'elle peut pour devenir un homme, afin de manger des huitres à son tour; et ce qu'on peut assurer de plus clair à cet égard, c'est que l'auteur d'un pareil système est un homme qui raisonne comme une huitre. La conclusion de ce grand philosophe est que l'homme est une pierre perfectionnée par un accroissement progressif dans la force vitale. Il se fonde apparemment sur l'histoire de Deucalion et de Pyrrha, qui firent, comme on sait, des hommes avec des cailloux, et c'est pour cela qu'ils sont si durs: Inde homines durum genus.

nati,

Mais enfin qu'on n'imagine pas que je tire du principe de l'auteur des conclusions bizarres et forcées, je rapporterai ses propres expressions : « Les êtres les plus imparfaits, dit-il, aspirent » à une nature plus parfaite.... Le polype tend à » la nature du ver; celui-ci tend à l'organisation » de l'insecte; l'insecte aspire à la conformation du >> mollusque ; celui-ci tend à se rendre poisson » et ainsi de suite jusqu'à l'homme..... Il paroît >> donc certain que les êtres les plus parfaits sortent » des moins parfaits. Les animaux tendent tous › à l'homme; les végétaux aspirent tous à l'ani» malité; les minéraux cherchent à se rapprocher » du végétal. »

Le premier principe de toute bonne physique étant de ne rien avancer sans l'avoir vu, il semble qu'on serait en droit de demander à cet auteur où il a vu ce qu'il avance. Où a-t-il vu des minéraux passer à l'état de végétaux, et des plantes se transformer en animaux? Cela se passoit, s'il faut l'en croire, il y a plusieurs milliers de siècles, dans un temps qu'il appelle la jeunesse de la nature; car il est bon de remarquer que, selon ce physicien, la nature est aujourd'hui dans un état de décrépitude et d'épuisement: ce qui fait bien peu d'honneur à la philosophie. Mais, quoiqu'il en soit, comme il ne peut pas être mieux informé que nous de ce qui s'opéroit à une époque si reculée au-delà des temps connus on voit tout de suite quelle peut être la force de son témoignage.

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M. Deluc prouve aisément que cette prétendue décrépitude de la nature n'est qu'une imagination ridicule, et de plus une contradiction de l'auteur;

mais j'ajouterai une remarque qui semble découvrir ses vues secrètes : c'est qu'en même temps qu'il lui plaît d'attribuer à la matière des désirs de perfection qu'on ne lui a jamais connus, il étouffe ou méconnoît ces mêmes desirs dans les êtres dé son espèce; et, par une bizarrerie inexplicable, il veut que la pierre insensible puisse aspirer à un état plus élevé, tandis que l'homme, qui seul dans l'univers espère l'immortalité, n'est destiné, selon lui, qu'à se précipiter à jamais dans les abimes. Quel renversement de toutes les idées! Quelle ignorance profonde de la nature, ou plutôt quelle mauvaise foi évidente !

Il sembleroit qu'un système aussi absurde dût être dépourvu de tout moyen de faire illusion. Mais comme la plupart de ceux qui s'adonnent à l'étude des sciences physiques ne parlent pas trèsbien leur langue, l'impropriété des expressions leur tend à eux-mêmes des piéges, ou bien ils s'en servent à dessein pour égarer les jeunes gens qu'ils endoctrinent. C'est ainsi que l'auteur dont nous parlons, pour établir le passage d'un règne à l'autre, ose donner aux substances filamenteuses qu'on remarque entre les fossiles, le nom de pierres fibreuses, quoique le mot fibre soit exclusivement réservé à l'organisation animale. C'est par de tels rapprochemens qu'un professeur parvient à étourdir des écoliers, et qu'il se déshonore auprès des gens instruits.

Dans cette bizarre doctrine, l'homme se trouve, comme on le dit populairement, plus malheureux que les pierres; car tandis que la pierre tend à se perfectionner en passant à l'état végétal, l'homme n'a d'autre perspective que de retourner à l'écume et à la crasse de la terre dont nous somme

formés expressions abjectes et dégoûtantes, dans lesquelles il semble que l'auteur ait voulu concentrer, s'il m'est permis d'employer cette expression chimique, toute la bassesse de ses idées et de son style.

Cette physique grossière, qui s'acharne à avilir l'espèce humaine, semble nous ramener à l'enfance par la puérilité et la turpitude de ses conceptions. Dans ses idées générales sur la nature, l'auteur a découvert que ce monde est une espèce de polypier dont nous sommes les animalcules. Nous sommes des espèces de parasites, des cirons, de même que nous voyons une foule de pucerons qui vivent aux dépens des arbres. Nous sommes formés de l'écume et de la crasse de la térre.

Voilà comme ces misérables travaillent à flétrir dans le cœur de l'homme tout sentiment d'honneur et de dignité morale. Et c'est chez le premier peuple de l'univers qu'on ose débiter ces sottises énormes! On ose les recueillir dans un livre destiné à l'enseignement, et publié avec appareil par des savans de l'Institut de France! Quel opprobre pour la physique! Quelle honte pour notre siécle! Tandis que la fleur de la nation brave tous les périls pour écarter de son sein le fléau de la guerre, des physiciens ignorans oseront ne voir dans l'homme qui meurt pour son pays, qu'un puceron formé de la crasse de la terre! Un souverain à la tête de son armée ne sera qu'un ciron un peu plus remuant que les autres! Et cependant on verra ces philophes, aussi vils dans leurs actions que dans leurs pensées, ramper devant ceux qu'ils osent traiter de cirons et de parasites, et mendier des récompenses, comme le prix des efforts qu'ils ont faits pour déprayer la jeunesse !

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