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nel adieu au pays des Muses et des grands hommes, je m'embarquai au cap Suñium pour l'ile de Zéa.

pour le voyageur, qu'elle est en contraste avec l'im nobilité du reste de la nature: comme pour insulter à l'instabilité des peuples, les animaux même n'éprouvent ni révolution dans leurs empires, ni changemens dans leurs moeurs. Le lendemain de notre arrivée à Athènes, on nous fit remarquer des cigognes qui montoient dans les airs, se foroient en bataillon, ct prenoient leur vol vers l'Afrique. Depuis le règne de Cécrops jusqu'à nos jours, ces oiseaux ont fait chaque année le même pélerinage, et sont revenus au même lieu. Mais combien de fois ont-ils retrouvé dans les larmes, l'hôte qu'ils avoient quitté dans la joie! Combien de fois ont-ils cherché vainement cet hôte, et le toit même où ils avoient accoutumé de bâtir leurs nids!

Depuis Athènes jusqu'à Jérusalem, le tableau le plus affligeant s'offre aux regards du voyageur: tableau dont l'horreur toujours croissante est à son comble en Egypte. C'est là que nous avons vu cinq partis armés se disputer des déserts et des ruines (1). C'est là que nous avons vu l'Albanais coucher en joue de malheurcux enfans qui couroient se cacher derrière les débris de leurs cabanes, comme accoutumé à ce terrible jeu. Sur cent cinquante villages que l'on comptoit au bord du Nil, en remontant de Rosette au Caire, il n'y en a pas un seul qui soit entier. Une partie du Delta est en friche: chose qui ne s'étoit peut-être jamais rencontrée depuis le siècle où Pharaon donna cette terre fertile à la postérité de Jacob! La plupart des Fellahs ont été égorgés; le reste a passé dans la Haute-Egypte. Les paysans qui n'ont pu se résoudre à quitter leurs champs, ont renoncé à élever une famille. L'homme qui naît dans la décadence des empires, et qui n'aperçoit dans les temps futurs que des révolutions probables, pourroit-il en effet trouver quelque joie à voir croître les héritiers d'un aussi triste avenir? Il y a des époques où il faut dire avec le prophète : « Bienheureux sont les morts! »

(1) Ibraim-Bey dans la Haute-Egypte, deux petits beys indépendans, le pacha de la Porte au Caire, un parti d'Albanais insurgés, et El- fy-Bey dans la Basse-Egypte. Il y a un esprit de révolte dans l'Orient, qui rend les voyages difficiles et dangereux les Arabes tuent aujourd'hui les voyageurs qu'ils se contentoient de dépouiller autrefois. Entre la mer Morte et Jérusalem, dans un espace de 14 lieues, nous avons été attaqués deux fois, et nous essuyâmes sur le Nil la fusillade de la ligne d'El

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Zéa est l'ancienne Ceos, célèbre chez les Grecs par des vieillards qui se donnoient la mort; par Aristée, dont Virgile a chanté les abeilles; par la naissance de Simonide et de Bacchylide. La gaze de Ceos devint célèbre chez les poètes romains, qui la comparoient à du vent tissu. Je passai de Zéa à Tinos, de Tinos à Chios: et de Chios à Smyrne. Je résolus d'aller par terre à la plaine de Troie. Je m'avançai jusqu'à Pergame : je parcourus les ruines des palais des Eumènes et des Attales, et je cherchai vainement le tombeau de Galien. Quand je voulus continuer ma route, mon guide refusa d'aller plus loin sous prétexte que les gorges de l'lda étoient infestées de voleurs. Je fus obligé de prendre le chemin de Constantinople. Comme le principal but de mon voyage étoit la visite des lieux saints, je m'informai en arrivant à Perra, s'il n'y avoit point dans le port quelque bâtiment de la côte de Syrie. J'eus le bonheur d'en trouver un prêt à partir, et chargé de pélerins grecs pour Yaffa. Je m'arrangai avec le capitaine: et bientôt nous voguâmes vers Jérusalem, sous l'étendard de la Croix qui flottoit aux mâts de notre vaisseau. (1)

Nous étions sur ce vaisseau à-peu-près deux

fy-bey. Nous étions dans cette dernière affaire avec M. Caffe, négociant de Rosette, qui, déjà sur l'âge, et père de famille, n'en risqua pas moins sa vie pour nous, avec la générosité d'un Français. Nous le nommons avec d'autant plus de plaisir, qu'il a rendu beaucoup de services à tous nos compatriotes qui ont eu besoin de

ses secours.

(1) Je serois trop ingrat d'oublier les soins que M. le général Sébastiani m'a prodigués à Constantinople. Quel plaisir j'aurois encore à remercier ici celle qui ajoutoit tant de prix, par sa grace, anx politesses de M. l'ambassadeur! Je n'aurois jamais cru que l'expression de ma reconnoissance pût arriver trop tard.

cents passagers, hommes, femmes, enfans et vieillards, on voyoit autant de nates rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont. Une bande de papier, collée contre le bord du vaisseau, indiquoit le nom du propriétaire de la natte. Chaque pélerin avoit suspendu à son chevet son bourdon, son chapelet et une petite croix. La chambre du capitaine étoit occupée par des papas conducteurs de la troupe. A l'entrée de cette chambre on avoit ménagé deux espèces d'antichambres : j'avois l'honneur de loger dans un de ces trous noirs; d'environs six pieds carrés, àvec mes deux domestiques; une famille occupoit vis-à-vis de moi l'autre appartement. Dans cette espèce de république, chacun faisait son ménage à volonté : les femmes soignoient leurs enfans, les hommes fumoient ou préparoient leur dîner, les papas causoient ensemble. On entendoit de tous côtés le son des mandolines, des violons et des lyres. On chantoit, on dansoit, on rioit, on prioit. Tout le monde étoit dans la joie. On me disoit : Jérusalem! en me montrant le Midi; et je répondois. Jérusalem! Enfin, sans la peur, nous eussions été les plus heureuses gens du monde, mais au moindre vent, les matelots plioient les voiles, les pélerins crioient: Christos! Kirie eleison ! L'orage passé, nous re prenions notre audace.

Au reste, je n'ai point remarqué le désordre dont parlent quelques voyageurs. Nous étions au contraire forts décens et forts réguliers. Dès le premier soir de notre départ, deux papas firent la prière, à laquelle tout le monde assista avec beaucoup de recueillement.. On bénit le vaisseau : cérémonie qui se renouveloit à chaque orage. Les chants de l'Eglise grecque ont assez de douceur

mais peu de gravité. J'observai une chose singulière: un enfant commençoit le verset d'un pseaume dans un ton aigu, et le soutenoit ainsi sur une seule note: tandis qu'un papa chantoit le même verset sur un air différent et en canon, c'est-à-dire, commençant la phrase lorsque l'enfant en avoit déjà passé le milien. Ils ont aussi un admirable kirie eleison: ce n'est qu'une note tenue par différentes voix, les unes graves, les autres aigües, exécutant andante et mezza voce, l'octave, la quinte et la tierce. L'effet de ce kirie est surprenant pour la tristesse et la majesté. C'est sans doute un reste de l'ancien chant de la primitive Eglise. Je soupçonne l'autre psalmodie d'être ce chant moderne introduit dans le rit grec vers le quatrième siècle, et dont saint Augustin avoit bien raison de se plaindre.

Dès le lendemain de notre depart la fièvre me reprit avec assez de violence, je fus obligé de rester couché sur ma natte. Nous traversâmes rapidement la mer de Marmara et le détroit des Dardanelles, (la Proopntide et l'Hellespont). Nous passâmes devant la presqu'île de Cyzique, et à l'embouchure d'Egos-Potamos. Nous rasȧmes les promontoires de Sestos et d'Abydos: Alexandre et son armée, Xerxès et sa flotte, les Athéniens et les Spartiates, Héro et Léandre, ne pnrent me faire vaincre le mal de tête qui m'accabloit; mais lorsque le 21 septembre, à six heures du matin, on vint me dire que nous allions doubler le château des Dardanelles, la fièvre ne put tenir contre le souvenir de Troie. Je me traînai sur le pont; mes premiers regards tombèrent sur un haut promontoire couronné par neuf moulins : c'étoit le cap Sigée. Au pied du cap je distinguois

deux tumulus, les tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchure du Simois étoit à gauche du château neuf d'Asie; plus loin, derrière nous, en remontant vers l'Hellespont, paroissoit le cap Rhétée et le tombeau d'Ajax. Dans l'enfoncement s'élevoit la chaîne du mont Ida, dont les pentes, vues du point où j'étois, paraissoient douces et harmonieuses. Tenedos étoit devant la proue du vaisseau Est in conspectu Tenedos. Il faut qne' la gloire soit quelque chose de réel, puisqu'elle fait ainsi battre le cœur de celui qui n'en est que le juge.

Le 22, nous nous engageâmes dans l'Archipel. Nous vimes Lesbos, Chio, Samos, célèbre par sa fertilité et ses tyrans, et sur-tout par la naissance de Pythagore. Mais tout ce que les poètes nous ont appris de cette île est surpassé par le bel épisode du Télémaque. Nous côtoyâmes les rivages de l'Asie, où s'étendoient la Doride, et cette molle Ionie, qui donna des plaisirs et de grands hommes à la Grèce. Là, serpentoit le Méandre, là, s'élevoient Ephèse, Milet, Halicarnasse, Gnide. Je saluois la patrie d'Homère, d'Apelle,d'Hérodote,de Thalès,d'Anaxagore, d'Aspasie. Mais je n'appercevois ni le temple d'Ephèse, ni le tombeau de Mausole, ni la Vénus de Gnide. Tout étoit désert; et sans les travaux de Pockoke, de Wood, de Spon, de Choiseul, je n'aurois pu, sous un nom moderne et sans gloire, reconnoître le promontoire de Mycale. Après avoir relâché à Rhodes, et relevé l'ile de Chypre, nous découvrîmes enfin les côtes de la Palestine. Je ne sentis point cette espèce de trouble que j'éprouvois en appercevant les premières montagnes de la Grèce. Mais la vue du berceau des Israëlites et de la

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