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que

siècle, l'opinion publique se fortifie de tout ce l'autorité abandonne ou se laisse enlever; elle dicte ses lois au gouvernement qui n'a plus sur elle qu'une action faible et craintive.

Dans un tel tableau, l'on peut suivre le mouvement de toutes les classes d'une nation. La cour, qui auparavant remplissait seule presque tout le tableau de l'histoire, n'en occupe plus qu'une partie. De longues guerres ne paraissent plus que des épisodes subordonnés à une action principale, qui est le mouvement des esprits. Loin de le ralentir, elles le favorisent et l'accélèrent. Le pouvoir législatif passe en quelque sorte des hommes d'état qui n'ont aucun plan arrêté, aux philosophes qui créent des théories. En répétant les opinions de ces derniers, les cercles de la capitale doublent leur puissance et la partagent. Les parlemens portent des coups directs et répétés à l'autorité royale c'est de l'opinion publique qu'ils empruntent leur force; elle les entraîne, les égare, les relève dans leur chute, leur procure de fatales victoires sur le gouvernement, et bientôt se déclare contre eux. La noblesse, livrée aux intrigues de la cour, ou séduite par des opinions nouvelles, a perdu son existence politique; elle fait un effort tardif pour la recouvrer. A peine a-t-elle mis le trône en péril, qu'ellemême est menacée. Le clergé, par ses impru

dentes discordes, prête des armes aux nombreux et redoutables adversaires de la religion. C'est aux classes intermédiaires de la nation que toute la puissance arrive par degrés ; elles s'en laissent déposséder par la multitude, et tous les pas qu'on a cru faire vers un ordre admirable, sont des pas vers l'anarchie.

Pourquoi l'historien s'effraierait-il de la multiplicité de ces points de vue? Des faits qui amènent une des plus grandes catastrophes qu'ait subies le genre humain, n'offrent que trop une progression d'intérêt. Chaque partie de ce récit compliqué tient l'esprit attentif. Le lecteur saisit plus de rapports que l'historien ne peut lui en présenter. A peine lui avez-vous fait entendre les murmures qui accompagnent Louis XIV dans ses malheurs et dans ses dernières années, qu'il prévoit ce que vont produire la lassitude et l'inconstance de la nation. Il voit le premier choc livré aux antiques institutions dans la gaieté licencieuse de la régence. L'esprit de discussion qui succède à ce bruyant délire l'étonne par la hardiesse des conceptions et des résultats. C'est avec effroi qu'il examine toutes les fautes du gouvernement. Comme on voudrait réveiller de sa langueur un monarque amolli par les plaisirs! Combien de fois ne dit-on pas à un monarque infortuné Sois ferme, sois constant, toi

:

dont l'âme est si pure et si compatissante!

Je crois inutile, d'après les observations préliminaires, d'expliquer pourquoi cette histoire ne remonte pas précisément aux premières années du siècle. La guerre de la succession d'Espagne n'offre aucun rapport avec le sujet que je traite. Je m'arrête à tout ce qui, dans la vieillesse de Louis XIV, pouvait faire pressentir un brusque changement des mœurs et des esprits.

Depuis que Louis XIV, en répondant aux propositions humiliantes de ses ennemis, avait prononcé ces paroles, J'aime mieux faire la guerre à mes ennemis qu'à mes enfans', les Français redoublaient d'efforts pour défendre leur gloire et leur indépendance menacées. Les

1 Ce fut en 1709, et peu avant l'ouverture de la campagne, que Louis XIV prononça ces paroles en plein conseil. On venait de lui rapporter les outrageantes conditions auxquelles Eugène Marlborough et le grand pensionnaire Heinsius avaient proposé, non pas la paix, mais une trêve au marquis de Torcy. Ce ministre était allé, sous un nom emprunté, partager lui-même les humiliations qu'éprouvait, à la Haye, le président Rouillé, envoyé secrètement par le roi pour essayer de traiter avec les Hollandais. La première des conditions proposées par ces républi cains était que Louis se joignît à ses ennemis pour chasser de l'Espagne son propre petit - fils dans l'espace de deux mois.

rigueurs de l'hiver de 1709; une disette qui en avait été la suite; la pénurie du trésor royal; le souvenir des cruelles journées d'Hochstedt, de Ramillies, de Turin, d'Oudenarde; l'impéritie de plusieurs ministres; les fautes de quelques généraux; l'esprit d'irrésolution, de faiblesse et même de caprice, qui avait dicté de mauvais choix à un monarque si vanté pour son discernement; les querelles opiniàtres, et cependant futiles, qui divisaient le clergé ; la dépopulation des villes et des campagnes, effet déplorable de la guerre et de la révocation de l'édit de Nantes; tant de symptômes de vieillesse et de décadence, dans une monarchie récemment élevée au comble de la gloire, n'avaient point éteint chez les Français les nobles sentimens qui les avaient exaltés pendant un demi-siècle.

Une armée nouvelle se forma dans la Flandre. L'indigence et le désespoir avaient appelé sous les drapeaux du maréchal de Villars et du maréchal de Boufflers, des jeunes gens auxquels ils surent bientôt communiquer leur ardeur héroïque. Ces deux généraux osèrent attaquer le prince Eugène et le duc de Marlborough. La bataille de Malplaquet, livrée le 11 septembre 1709, fut perdue; mais elle montra aux deux grands ennemis de Louis XIV combien ils étaient encore loin d'ébranler son trône, de dompter le courage de son peuple, et de pro

corps

céder au démembrement de ses provinces. Le d'armée des Hollandais avait été presque entièrement détruit par le choc furieux des troupes françaises. Louis XIV était vengé des affronts que lui avaient fait essuyer les magistrats de cette république. Le champ de bataille avait beaucoup coûté aux vainqueurs ; leur perte surpassait des deux tiers' celle des Français. Villars avait fait des dispositions habiles pour l'attaque; il se disculpait des fautes qui avaient été commises ensuite, par la blessure qu'il avait reçue : Boufflers avait savamment conduit la retraite. La prise de Mons fut, il est vrai, pour les alliés, un trophée de leur victoire 2; mais ils n'osèrent plus penser une impétueuse invasion du royaume, dont ils s'étaient promis la conquête.

à

Je ne m'arrête pas plus long-temps sur les détails de la journée de Malplaquet. Je rappellerai, avec la même rapidité, les derniers événemens de la guerre de la succession d'Espa

1 Tous les historiens, et même Rapin-Thoyras et Smolett, conviennent que la perte des alliés, en tués, blessés ou prisonniers, s'éleva à vingt-deux ou vingttrois mille hommes, et que celle des Français n'alla pas à huit mille. Les Hollandais perdirent à eux seuls quatorze mille hommes.

2 Cette ville se rendit aux alliés le 21 octobre, après vingt-cinq jours de tranchée ouverte.

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