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Ce défaut de préparation fe fait auffi fentir dans la manière dont Médée fe détermine au parricide. On eft furpris lorfqu'on lui entend dire toutà-coup,

C'eft au cœur de fes fils que je veux le frapper.

Rien n'avoit annoncé une fi étrange résolution. Cependant elle est déformais inébranlable; & dès qu'on vient lui demander fes fils, elle fort pour l'exécuter. Il est vrai qu'elle envisage comme un artifice & comme un outrage tout à-la-fois, cette demande & le motif qu'on y joint. On veut, lui dit-on, conduire au temple ces jeunes enfans, afin que Creüfe,

Par un ferment facré dans ce jour folemnel,

Les adopte, & leur jure un amour maternel,

Elle fe contient, & répond avec fierté :

Allez, dites, Arbas, à ce généreux père,
Qu'il recevra fes fils de la main de leur mère.
Pour les rendre à lui feul j'ai de juftes raisons ;
Il le veut, il l'ordonne, il les aura.... fortons.

On voit que le poëte avoit befoin de la conclufion du mariage, pour amener l'incident qui hâte le crime de Médée; mais on peut douter qu'il fallût facrifier à ce befoin des convenances d'un autre genre.

ACTE

ACTE II I.

«Qu'ai-je fait »! s'écrie Médée en revenant fur la fcène. A ce mot on devine de quel fang eft teint le poignard dont elle eft armée. Elle exprime avec force les remords auxquels fon cœur eft en proie; mais les plus vives couleurs pâlissent dans une fituation fi violente. Dans les autres tragiques, on la revoit avec plus d'horreur, il eft vrai, mais avec moins de mépris, lorfque livrée encore à l'ivreffe de la vengeance, elle revient pour en jouir & pour l'aggraver. Jafon la trouve en cet état dans l'inftant où il vient lui reprocher le meurtre de Creüfe; il apprend de Médée ellemême un crime bien plus affreux : elle lui demande la mort, mais il la lui refufe, & fuit en la chargeant de malédictions. Médee fe tue, en difant :

Ce fer m'affranchira de tes voeux exécrables.

C'en eft fait; en tranchant mes jours trop miférables,
Je finis des remords que rien n'eût pu calmer,
Et me délivre enfin de l'horreur de t'aimer.

Il paroît que le foin qu'a pris M. Clément d'éviter les écarts & les erreurs de fes devanciers, l'a empêché de fe livrer à fon fujet avec confiance. Il a tenu en quelque forte fon génie captif, & n'a point ofé lui donner l'effor; il a craint la Tome V. Ii

tempête, comme dit un maître de l'art, & a trop pourvu à fa fûreté 1. Son ouvrage n'en eft pas moins eftimable à plus d'un égard; & fes rapports avec la MÉDÉE d'Euripide ne nous permettoient pas de l'omettre dans cette collection.

* Tutus nimiùm timidufque procellæ.

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MÉDÉE,

TRAGÉDIE DE GLOVER'

LE plan de cette tragédie angloise ne ressemble

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à aucun de ceux qu'on vient de voir. L'héroïne n'eft point une femme féroce & implacable; à cet égard, le poëte n'a pas fuivi la tradition; il a enfreint volontairement le précepte donné par Ariftote, & fi fouvent répété, de rendre les caractères femblables à ceux des fables reçues : il a violé la règle d'Horace, de fuivre la renommée dans. les fujets connus; règle confirmée par l'exemple même de Médée:

« Sit Medea ferox, invictaque ».

Ici, fous le nom de Médée, on voit une femme tendre & fenfible, qui n'a d'autre tort que de tout

1 Cette pièce a été représentée, pour la première fois, en 1761. Son auteur, M. Glover, déjà connu par la tragédie de BOADICIA & par le poëme de LÉONIDAS, avoit commencé à se faire un nom dès l'an 1740, en plaidant avec éloquence la cause du commerce de Londres à la barre des Communes, où il a fiégé enfuite comme membre. Il eft mort le 2 novembre 1785, âgé de 74 ans. On a de lui une autre tragédie, faite pour fervir de fuite à celle de mÉDÉx 3 mais elle n'a point ancore été jouée, à cause des grandes dépenses qu'exigeroit ce spectacle.

facrifier à l'amour; elle a commis des crimes, il est vrai, mais on laiffe entendre qu'elle pourroit s'en juftifier, fi fa fierté lui permettoit de l'entreprendre; elle devient même parricide fans ceffer d'être innocente c'eft une enchantereffe, & on lui voit demander vengeance à Hécate; mais fon cœur paroît fi peu fait pour goûter ce plaifir, qu'elle ne fçait elle-même qui fon bras doit frapper; elle épargne fa rivale; elle refpecte Efon; enfin elle nomme à peine Créon pour fa victime, & frémit de l'idée de punir un époux infidelle.

Le caractère de Créon eft précisément l'oppofé de celui qu'Euripide donne à ce prince. Chez le poëte Grec, c'eft un homme foible, qui ne fçait point être absolu ni foutenir un ordre rigoureux : dans la pièce angloife, c'est un tyran impie & defpotique; il méprife les dieux, & veut qu'on respecte en lui leur image. Ce caractère femble avoir été choisi pour faire reffortir celui de Théano, prêtreffe de Junon, qui lui réfifte avec un courage tranquille, & oppofe conftamment à l'impiété de fon roi, la confiance d'un cœur pur & religieux.

Jafon eft à Corinthe: il eft venu folliciter du fecours contre le fils de Pélias. Créon profitant du malheur qui amène un héros à fa cour, & voulant s'en faire un appui, lui offre fa fille en mariage, ou plutôt il ne lui promet fon fecours qu'à condition de s'unir à lui par les nœuds de

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