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tous les perfonnages y font facrifiés à un feul. Il femble, en particulier, que l'auteur, frappé des difficultés qu'offroit celui de Jafon, n'ait pas même tenté de les vaincre. L'amour, loin d'excuser ce héros, ne fert qu'à le rendre plus méprifable. Chez Euripide, il ne paroît au dénouement que parce qu'il veut fauver fes fils. Médée a bien fçu trouver l'endroit fenfible de fon cœur. Ici fon amante lui fait oublier qu'il eft père, jufqu'à l'inftant où Médée vient le lui rappeler par un coup bien cruel, mais auquel on ne s'attend pas à le trouver fort fenfible.

Créon manque de caractère. Creüfe n'a point des charmes capables d'excufer la perfidie de Jason. Ce défaut étoit peut-être inévitable; en ce cas il falloit fupprimer un perfonnage qui ne fourniffoit que quelques fcènes languiffantes, & qu'on ne pouvoit rendre aimable qu'en laiffant à l'imagination du fpectateur, le foin de l'embellir. Mais le caractère de Médée a de la force & de la vérité; il excite l'attention, il étonne, il est grand & terrible. Auffi toutes les fois qu'une actrice diftinguée a rempli ce rôle, la pièce a reçu des applaudiffe

mens.

Elle excite rarement la pitié; elle occupe plus qu'elle n'émeut; mais on y trouve de beaux vers, un caractère, du mouvement, des fituations, des tableaux; & comme elle a été remife

au théâtre avec fuccès à diverfes époques, il eft probable qu'elle s'y foutiendra long-temps. On peut regretter que l'auteur, qui avoit faifi fortement le caractère de Médée, n'ait pas, à l'exemple du poëte Grec, préparé de loin le parricide; qu'il ait attendu la fin du quatrième acte pour faire naître la crainte & le foupçon même d'un tel crime; qu'il ait prodigué les premiers actes à de langoureuses confidences, au lieu de les employer à faire preffentir par mille traits déchirans, le coup qu'il fe préparoit à frapper. Il feroit d'ailleurs inutile de dépouiller la fable de fes épisodes les compositions modernes fupportent rarement cette épreuve.

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MÉDÉE,

TRAGÉDIE DE M. CLÉMENT.

M. Clément a fuivi d'affez près le plan d'Euripide. Il a écarté du fujet la magie & le merveilleux, même dans le dénouement: ainsi, à cet égard, on peut dire qu'il eft fupérieur à tous ceux qui l'avoient précédés dans cette carrière. Le fujet ainsi limité, ne lui a fourni que trois actes.

ACTE PREMIER.

Le premier, &, fi je ne me trompe, le plus beau, s'ouvre par une fcène entre Médée & fa confidente. Médée y exprime fes regrets, comme la nourrice, dans le prologue d'Euripide.

Plût aux dieux que l'ingrat fatal à mon repos,
N'eût jamais abordé aux rives de Colchos!
Je n'aurois point trahi ma patrie & mon père,
Je n'aurois point rougi mes mains du fang d'un frère.
Et je ne verrois pas l'infidelle aujourd'hui

Oublier que Médée a tout perdu pour lui.

Les fcènes de Créon, de Médée & de Jafon reffemblent à celles de l'auteur Grec. En s'attachant à ce modèle, l'auteur a évité plufieurs défauts de Corneille & de Longepierre. Jafon n'allégue

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point le fort & l'amour pour juftifier son infidélité; il allégue des raisons politiques, tirées de l'interêt de fa gloire; il offre, comme dans Euripide, des fecours à son épouse abandonnée, qui les rejette avec courroux: elle paffe de l'emportement aux plaintes; elle peint fes fils fuivant leur mère dans fon exil : ici, comme dans la tragédie de Longepierre, Jason la raffure en infinuant qu'il a deffein de garder fes enfans auprès de lui. Cette idée trouble le cœur de Médée, & lui arrache les plus effrayantes menaces.

Il eft impoffible que Jafon joue un rôle intéreffant dans cette fituation. Un héros interdit, criminel & humilié, eft peu propre à la tragédie. Ce reproche ne s'adreffe pas à M. Clément, mais plutôt au fujet, qui offre un obstacle peutêtre infurmontable. C'est en vain qu'on a prétendu comparer Jason à Pyrrhus de l'ANDROMAQUE de Racine. Pyrrhus n'a d'autre tort que l'inconftance. Les charmes & la douceur d'Andromaque, l'aigreur & la violence d'Hermione difpofent le fpectateur à l'indulgence. Ce qui caractérise la perfidie de Jafon, c'eft moins fon inconftance que fon ingratitude. La fituation où il fe trouve, reffemble à celle d'Enée; & comme tout l'art de Virgile ne peut excufer fon héros, tout le talent des poëtes tragiques n'a pu rendre Jason supportable. Son action, quoiqu'il dise, semble

toujours odieufe, & la foibleffe de fon caractère, contrafte d'une manière défagréable avec la force du caractère de Médée. On doit du moins fçavoir gré à M. Clément de lui avoir fauvé un ridicule en n'en faifant pas un amant langoureux.

ACTE I I.

Jafon fent quelques remords: Médée l'apprend, & fe livre à l'efpérance, mais elle est bientôt défabufée. Jafon eft à l'autel. On fe demande pourquoi ce mariage eft fi fort précipité? Pourquoi on n'épargne point à Médée un spectacle cruel, en le différant d'un feul jour? L'auteur a prévenu cette objection. Acafte l'exige. Peut-être cependant eût-il été plus naturel d'imiter en ceci Longepierre ou Euripide. Celui-ci n'indique point l'époque où doit fe célébrer l'hymen. Longepierre fe contente de la faire envifager comme prochaine.

Cela étoit d'autant plus facile, que Médée n'a point attendu cet inftant pour envoyer la robe empoisonnée. Elle n'en charge pas fes fils, mais fa confidente. On ne prépare point le fpectateur à cet incident, comme dans les autres MÉDÉES; la robe n'eft point décrite avec pompe; Creüfe ne l'a point defirée ; ce n'eft point un présent fait à la fuite d'une réconciliation; & il femble que, fans un excès de défiance, Creüfe pourroit bien dire comme Pollux :

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J'eus toujours pour fufpects les dons des ennemis.

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