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» ofé plonger un poignard dans le sein de tes » propres enfans, pour me frapper dans eux & » par eux? Comment vois-tu encore la lumière après cet attentat »? Enfuite de ces emportemens, il reproche à Médée tous fes crimes. Infenfé, dit-il, d'avoir traîné avec lui dans la Grèce une pareille furie. Médée répond qu'elle auroit trop de quoi confondre fon infidélité, quand même Jupiter ne feroit pas témoin de leur conduite réciproque. " Quoi, dit-elle, j'aurois fouffert le triomphe & le bonheur d'un ingrat? Non, appelle moi barbare; charge moi de noms encore plus détestés. Il me fuffit d'être vengée, & de jouir de ta peine ». Voilà au moins le tour & le fens de fa réponse.

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JASON. Et c'est à vos dépens, cruelle, que vous êtes vengée.

MÉ DÉ E. Que m'importe à quel prix, pourvu qu'un perfide ne se rie ne fe rie pas de Médée.

JASON. Chers enfans, quelle mère vous a donné le jour! (Il faut remarquer qu'il voit leurs corps enfanglantés dans le char de leur mère).

MEDEE. Chers enfans, c'eft un père infidelle qui vous a perdus.

JASON. Ma main du moins ne s'eft pas trempée dans leur fang.

MÉDÉE. Elle a fait plus : elle m'a trahie. JASON. Ce léger mal devoit-il être fi cruellement puni?

MEDEE. Perfide, ofes-tu nommer léger un pareil outrage? Connois tu le cœur d'une femme ? Jafon demande du moins les corps de fes fils pour les enfevelir. Médée les lui refufe. Elle va, dit-elle, les cacher dans un temple de Junon, pour enlever ces triftes reftes à la fureur de fes ennemis. Elle-même établira des fêtes & des expiations folemnelles à Corinthe pour appaifer les mânes. Ce font apparemment ces fêtes & ces expiations qui ont pu faire croire que les Corinthiens avoient égorgé ces enfans fur l'autel où Médée les avoit laiffés en fuyant de Corinthe, fuivant une autre tradition. Pour elle, c'eft Athènes qui va la recevoir en qualité d'époufe d'Égée1. Enfin, elle prédit à. Jafon qu'après avoir affez vécu pour fentir tout le poids de fon infortune, il périra accablé fous les débris du vaiffeau des Argonautes, ce qui arriva en effet. Un jour qu'il dormoit à l'abri de ce vaiffeau, une poutre détachée lui fracaffa la tête.

JASON. Puiffent les Euménides & la vengeance te réferver le fupplice dû aux parricides?

MÉDÉE. Hé, quel dieu prêteroit l'oreille aux

vœux d'un parjure & d'un impie ?

Les adieux du côté de Médée, fe terminent

par

* C'est une erreur. Égée a une autre épouse. Médée dit qu'elle habitera avec Égée, qu'elle se retirera chez lui; elle ne parle pas de

Pépoufer.

E e iij

cette amère dérifion. « Va rendre les derniers

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devoirs à ta nouvelle époufe. Tu ne fens pas » encore tous tes maux. Le temps & la vieillesse » me vengeront de plus en plus » ; & choses femblables. Il y a encore quelques fentimens trèsfins, comme ceux ci.

JASON. O enfans chéris!

MEDEE. Oui, chéris d'une mère, mais non pas de toi.

JASON. Cruelle ! & c'eft vous qui les avez égorgés!

MEDEE. C'étoit pour ton fupplice.

JASON. Hélas! ne pourrai-je au moins les embraffer!

MÉDÉE. Careffes tardives! hé, ne les as-tu pas bannis?

JASON. Au nom des dieux, accordez-moi cette trifte confolation.

MÉDÉE. Non: tes efforts font vains.

Jafon, en proie à son désespoir, prend les dieux à témoin d'un refus fi barbare. En effet, l'on ne fçauroit trop remarquer combien un pareil refus devoit être douloureux à Jafon, dans l'idée des anciens, eu égard à leur manière de penfer fur les morts & les funérailles. Nous avons vu l'exemple d'un refus femblable dans les PHÉNICIENNES. C'étoit-là le dernier trait que Médée réservoit à Jafon, & le plus haut comble de l'action tragique.

Médée, après avoir ainsi fait languir fon époux par une lente vengeance, fe fait enlever fur fon char

volant

* Telle eft la tragédie d'Euripide, fondée fur l'histoire Grecque de fon temps, ou plutôt fur des traditions fabulcufes. Car, au rapport d'Hérodote (CLIO ou 1. I.) les hiftoriens de Perse rapportoient bien différemment des Grecs l'enlèvement de Médée par Jafon, & généralement tous les rapts des femmes qui causèrent une haine irréconciliable entre les Grecs & les Asiatiques. Le premier enlèvement (difent les Perfes) fut celui d'Io, fille d'Inachus, roi d'Argos, par des marchands Phéniciens, qui la conduifirent en Egypte. Le fecond eft celui d'Europe, fille du roi de Tyr, que des Crétois enle vèrent, pour rendre la pareille aux Phéniciens. Médée fut la troifième enlevée à Colchos par Jafon, & vainement redemandée par le roi fon père, à qui les Grecs alléguèrent le rapt d'lo, dɔnt ils n'avoient point reçu de réparation. Au fiècle fuivant, Fâris, fils de Priam, s'avifa de fon côté d'enlever Hélène aux Grecs, qui, les premiers, crurent devoir s'en venger, ce que ne faifoient pas lea Afiatiques. De là les haines mutuelles qui mirent l'Europe & l'Afie en combuftion dans la fuite des fiècles.

1 La traduction de la MÉDÉ■ d'Euripide sera placée à la fuite des extraits relatifs à ce même fujet, fuivant le plan que nous nous fommes tracé dans cette édition. Comme ces extraits font nom breux, la traduction fe trouve rejetée au volume fuivant.

MÉDÉ E,

TRAGÉDIE DE SÉN É QUE.

LE

ACTE PREMIER.

E premier acte confifte en deux fcènes, å fçavoir, un monologue de Médée, & un autre du chœur. Médée explique le fujet en s'adressant aux dieux vengeurs de la foi conjugale, violée par un ingrat époux. P. Corneille a traduit prefque mot pour mot cette fçène, & toutes celles de Sénéque qui font un peu intéreffantes. Voici la première de Sénéque, travaillée les mains de ce grand par

homme.

Souverains protecteurs des lois de l'hymenée,
Dieux, garans de la foi que Jafon m'a donnée,

Vous qu'il prit à témoin d'une immortelle ardeur,
Quand par un faux ferment il vainquit ma pudeur, &c *.

Sénéque nomme tous ces dieux ; ce que fon habile imitateur ne fait pas.

Et vous, troupe fçavante en noires barbaries,
Filles de l'Achéron, peftes, Larves, Furies,

* P. Corneille, MÉDÉE, acte I. sc, VI.

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