Imágenes de página
PDF
ePub

dera pas non plus la suppression de la chambre haute, mais il désire qu'elle représente des intérêts et non des priviléges; s'il ne tenait qu'à lui, il en ferait une chambre de grands propriétaires. Quant à la question allemande, il n'a garde de compliquer son programme par de trop longues prévoyances, par de précoces inquiétudes. Il estime que les petits états n'ont qu'un moyen de sauvegarder leur indépendance : c'est de prouver qu'ils vivent et qu'ils aiment à vivre en faisant de bonnes lois, en attachant surtout une extrême importance aux intérêts économiques et aux réformes ad→ ministratives, et ce ne lui est pas une médiocre satisfaction d'avoir réussi à doter le Wurtemberg d'un réseau de chemins de fer supé– rieur à ce qui se voit ailleurs, entreprise qu'il a conduite avec une habileté financière que personne ne conteste. « Après tout, dit-il, et ceci n'est pas un des mots qu'on lui prête, pourquoi sacrifier le présent à l'avenir? Tout dans ce monde est provisoire. Si la grande crise qu'on redoute éclate, elle remettra en question toutes les existences, petites ou grandes, à commencer par celle de l'assureur. »

Arrivons enfin au grand-duché de Baden, qu'un publiciste appelait le pays des imbroglios et des mystères. S'il s'est trouvé un état du nord pour reprocher à la Prusse d'avoir trop respecté les droits de souveraineté de ses confédérés, parmi les états du sud il en est un à qui son indépendance pèse, qui a hâte de se délivrer de sa li– berté, et qui sollicite incessamment et opiniâtrément son accession au Nordbund, comme s'il ne lui était possible de vivre et de respirer que sous le sceptre tutélaire de la Prusse. La politique badoise a donné lieu à bien des appréciations diverses; on en a cherché le secret. Les uns prétendent que le grand-duché n'est qu'un instrument entre les mains de la Prusse, qu'il ne fait qu'exécuter les ordres qu'il reçoit de Berlin, enfant perdu qu'on lance en avant, quitte à le désavouer, s'il devient compromettant. Quoi que fasse le gouvernement grand-ducal, quoi qu'il désire, quoi qu'il propose, ces esprits soupçonneux voient toujours M. de Bismarck derrière le ministère Jolly, lequel ne ferait que répéter les paroles du grand souffleur, et se chargerait de demander à ses voisins ce que la Prusse n'ose demander elle-même. N'a-t-on pas vu dernièrement, dans les conférences sur les forteresses du sud, la Bavière et le Wurtemberg obligés de rejeter des propositions de Carlsruhe qui eussent réduit l'Allemagne du sud à reconnaître en temps de paix la suzeraineté militaire de Berlin? Baden nous donne beaucoup d'ennuis, disait à ce propos un homme d'état.

D'autres assurent au contraire, avec plus de raison, que Baden ne reçoit point son mot d'ordre de Berlin, qu'il agit et parle de son chef; ils ajoutent que ses instances indiscrètes ont souvent embarrassé la Prusse, que maintes fois ce solliciteur intempestif a frappé

secrètement à la porte et que cette porte ne s'est point ouverte, qu'en 1867 M. Matthy, le prédécesseur de M. Jolly, a mis en quelque sorte M. de Bismarck en demeure, et que M. de Bismarck n'a pas même daigné répondre, estimant que l'annexion isolée de Baden lui procurerait peu d'avantages et de grands embarras. Ils soutiennent encore que cette convention, récemment passée, par laquelle les Badois ont acquis le droit de faire leur service militaire en Prusse, loin d'avoir été désirée à Berlin, y fut d'abord repoussée, et que le cabinet prussien ne céda que malgré lui à d'opiniâtres obsessions, dont il ne se pouvait délivrer. Ceux qui pensent ainsi ne voient dans les agissemens de la cour de Carlsruhe que les conséquences naturelles de relations de famille, et ils expliquent tout par une politique de sentiment (1). Ils allèguent que ce que femme veut, Dieu et les ministères le veulent aussi, et qu'une princesse charmante, spirituelle et d'une rare intelligence prend bien de l'ascendant sur tout ce qui l'entoure. Il faut convenir en effet qu'il y a dans la politique badoise je ne sais quoi d'agité, de nerveux et de passionné qui donne beaucoup à penser. Quand on palpe et qu'on ausculte cette politique, on croit sentir le battement fébrile et précipité d'un cœur de femme.

Que l'esprit de famille exerce quelque influence sur la conduite des affaires, cela s'est vu trop souvent pour qu'on s'en étonne, et de tels mobiles sont trop respectables pour qu'on les discute; mais on ne saurait admettre que dans les affaires badoises tout s'explique par une politique de sentiment: - à la raison de famille se joint la raison d'état. S'il est naturel que le gouvernement grand-ducal désire l'accession de Baden à la confédération du nord, il reste à expliquer pourquoi, en dépit des froideurs de Berlin, il poursuit l'accomplissement de son désir avec de fiévreuses impatiences qui embarrassent tout le monde, comme s'il y avait péril en la demeure, et qu'il sentît la terre lui manquer sous les pieds. Est-ce à dire que, limitrophe de la France, il se sente plus exposé, qu'il tremble chaque soir de voir le lendemain à son réveil un régiment français entrant dans Carlsruhe enseignes déployées? A supposer qu'il fût en proie à des craintes aussi chimériques, ne peut-il s'endormir en paix sur cet oreiller qui s'appelle le traité d'alliance, lequel, en pareille occurrence, serait valable et très valable? Qu'ajouterait donc à sa sécurité son adjonction politique à la Prusse? Non, ce n'est pas la France qui excite ses alarmes; c'est la question intérieure, ce sont les embarras du dedans.

La maison de Zahringen a traversé, en 1849, des crises et des orages qui ne se sont point effacés de son souvenir. La révolution

(1) Le grand-duc de Baden a épousé en 1856 la princesse Louise, fille du roi Guillaume.

l'avait dépossédée; c'est l'épée de la Prusse qui lui a rendu sa couronne et ses états. De telles épreuves prédisposent à l'inquiétude. Assurément la maison de Zæhringen n'a pas à craindre le prochain retour de dangers si pressans; mais elle gouverne un pays où les passions sont vives, où les partis sont violens, et quand on a pris Î'habitude de craindre, on redoute non-seulement les périls, mais les difficultés et les embarras. Baden est un état mixte de 1 million 500,000 habitans, dont les deux tiers sont catholiques et se partagent en libéraux et en ultramontains. Les rapports de l'église et de l'état sont dans le grand-duché la question principale et dominante, problème plus difficile à résoudre en pays catholique qu'en pays réformé. Ce que l'église demande à un gouvernement protestant, c'est la liberté; ce qu'elle demande à un gouvernement catholique, c'est de la laisser gouverner. De là d'inévitables conflits, plus graves dans les petits états où le pouvoir impose moins, et, se défiant de sa force, se protége quelquefois en attaquant. Baden est un aimant dont les deux pôles sont l'archevêché de Fribourg et l'université de Heidelberg; mais cet aimant n'a pas de ligne moyenne. Ce qui manque au grand-duché, c'est un parti mitoyen, qui, se posant en arbitre entre des prétentions extrêmes, ferait sa part à la minorité, et appliquerait les principes dans un esprit de sagesse politique. Craignant de ne pouvoir maîtriser une situation tendue, redoutant ces agitations de la vie publique, qui sont, après tout, la marque et l'honneur d'un pays libre, la cour inquiète de Carlsruhe ne rêve que de s'atteler à plus fort qu'elle; il lui tarde de se sentir protégée par le bras puissant de la Prusse, et au besoin par cet article 68 qui autorise le président de la confédération du nord à rétablir la sûreté publique dans les états où l'ordre est compromis. Quand pourra-t-elle atteindre à ce port, où il lui sera permis de se reposer et de respirer à l'abri des tempêtes, sans avoir à redouter les anathèmes de l'archevêque de Fribourg et les violences des feuilles ultramontaines, sans avoir aussi à compter avec les hommes de Heidelberg, dont elle a dû rechercher l'appui, amitié de circonstance qui lui est souvent incommode?

Entre les deux partis qui se disputent le grand-duché, le choix de la cour ne pouvait être douteux. Le nom prussien est en horreur aux ultramontains comme aux démocrates. Il fallait avoir pour soi les libéraux et s'assurer leur concours. Donnant donnant; une telle alliance ne pouvait reposer que sur des concessions réciproques, et plus d'une fois elle a été pour le gouvernement grand-ducal un fardeau lourd à porter. Ce qu'on désirait dans les hautes régions de Carlsruhe, c'est de contracter avec la Prusse tous les engagemens possibles, de se modeler sur elle, d'adopter son système militaire dans son immaculée pureté, de confier à un Prussien le portefeuille

de la guerre, d'envoyer les cadets badois faire leur noviciat dans les écoles militaires d'outre-Mein. En attendant qu'on pût s'unir politiquement à la Prusse, on aspirait à se rapprocher d'elle, à lui ressembler, à diminuer dans la mesure du possible la différence qu'il peut y avoir entre un Prussien et un Badois. Le malheur est que les libéraux n'entendaient pas se donner sans conditions, et, quoi qu'ils en disent, ils sont Allemands du sud, comme leurs voisins de Stuttgart et de Munich. Ils acceptaient le programme de la cour dans la question allemande, ils votaient la réforme militaire, les graves charges qu'elle allait faire peser sur le pays. En retour, il fallut leur accorder bien des choses dont on se souciait peu. On promettait, on ne se pressait pas de s'acquitter; mais ils revenaient à la charge, et il fallait finir par céder. Ils ont demandé et obtenu l'extension des prérogatives parlementaires, le droit d'initiative substitué au simple droit de motion, une loi sur la presse, une loi sur la responsabilité ministérielle, un commencement de réforme électorale. Étrange effet d'une alliance contre nature! Un cabinet qui aurait voulu faire du grand-duché une annexe politique de la Prusse s'est vu contraint, dans la question capitale, celle du modus vivendi de l'état et de l'église, de faire tout le contraire de ce qui se fait en Prusse. A Berlin, l'état s'unit étroitement à l'église, la protége et lui assure une part considérable d'influence dans le gouvernement des esprits et de la société, estimant que l'église est une grande école de respect et d'obéissance, et que le dogme est le vrai fondement du principe d'autorité. C'est un système tout opposé que les libéraux badois ont fait triompher dans le grand-duché. Ils professent le principe de la séparation absolue des deux puissances. Ils entendent renfermer l'église dans le cercle des affaires ecclésiastiques et lui interdire toute immixtion dans les affaires civiles; leur mot d'ordre est l'état moderne, neutre en religion ou laïque, formule qui épouvante Berlin. La sécularisation de l'état civil, le mariage civil obligatoire, l'école entièrement soustraite au contrôle de l'église, les institutions de bienfaisance distinguées rigoureusement des établissemens religieux et remises aux mains des communes ou de l'état, voilà les réformes qu'ils ont obtenues, et c'est ainsi qu'une cour prussienne de cœur a inauguré une politique qui prend en toutes choses le contre-pied de la Prusse.

Cette alliance n'a pas seulement l'inconvénient d'être onéreuse, elle est précaire. Bien des orages l'ont troublée et la troubleront encore. Au commencement de l'année 1868, le gouvernement badois présenta aux chambres une série de projets de loi qui avaient pour objet d'introduire dans le grand-duché la législation militaire prussienne, code pénal, procédure, loi sur les tribunaux d'honneur des officiers. La commission parlementaire chargée d'examiner ces pro

jets déclara au gouvernement que l'introduction des lois prussiennes ne lui paraissait pas une conséquence nécessaire des traités, que l'entrée de Baden dans le Nordbund résoudrait la question, que jusque-là il n'y avait pas de raison d'adopter un code qui inspirait aux populations une insurmontable répugnance, qu'en tout cas il le faudrait considérablement amender, et que mieux valait s'abstenir de débats compromettans et dangereux pour la politique nationale qu'on entendait suivre. Le ministère retira ces projets; mais peu après il promulguait une loi provisoire de procédure militaire. Le pays se récria, tout fut remis en question. Ainsi finissent les lunes de miel, Au défi qu'on leur portait, les libéraux répondirent par l'assemblée d'Offenbourg et par une circulaire qui fit du bruit. Ils déclaraient dans ce manifeste que désormais l'ultramontanisme n'était plus le seul péril à conjurer, que le parti libéral avait d'autres craintes et d'autres soucis, qu'en prêtant les mains à l'augmentation du budget militaire et des impôts il avait compromis sa popularité, que le gouvernement, trop peu reconnaissant des services rendus, avait manqué d'égards aux chambres, qu'on l'avait vu récemment remanier le cabinet sans daigner se mettre d'accord avec le parti libéral, que la confiance réciproque était morte et que l'alliance était rompue. Les signataires du manifeste ajoutaient que l'accession de Baden à la confédération du nord serait toujours l'objet de leur plus cher désir, mais que, cette accession n'étant point prochaine, la grande affaire était de poursuivre activement l'œuvre commencée des réformes intérieures, en revenant à des traditions de sage économie et en se gardant de copier ou d'imiter la Prusse, dont les traditions et les erremens, en tout ce qui touche à la question des cultes, étaient jugés par eux « contraires à l'esprit du siècle et propres à compromettre les intérêts intellectuels de la nation allemande. » Irrité de ce vote de méfiance qui ressemblait à une déclaration de guerre, le gouvernement répliqua d'abord par des hauteurs, par des défis. Cependant, l'agitation croissant, on entra en pourparlers; on tâcha de s'entendre; les promesses et les sourires réussissent quelquefois où les menaces ont échoué. Dans la seconde assemblée qu'ils tinrent à Offenbourg le 27 décembre 1868, les libéraux firent entendre un langage plus conciliant ils s'engageaient à ne point faire d'opposition systématique; ils soutiendraient le ministère dans toutes les mesures conformes à leurs principes, ils le combattraient dans les autres. On ne se boudait plus, on ne devait pas tarder à se réconcilier, grâce à l'imprudence des ultramontains, qui, trop ardens à profiter des dissentimens de leurs adversaires, conclurent un pacte avec les démocrates, et, entrant en campagne, organisèrent une agitation populaire pour obtenir la réforme de la constitution et l'élection d'une constituante par le suf

« AnteriorContinuar »